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Retour des îles : l’étonnante cuvée voyageuse de château Le Puy

©JM Brouard

Auteur

Jean-Michel
Brouard

Date

28.03.2023

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Cette cuvée très rare produite par le château Le Puy est le fruit d’une expérimentation : celle de faire voyager les vins pendant plusieurs mois à travers les océans de la planète pour les patiner et les éduquer différemment. Un résultat surprenant confirmé lors d’une dégustation récente.

Entrer dans l’univers des vins de château Le Puy s’avère toujours être une expérience différente, unique. La famille Amoreau n’a pas entendu que la viticulture respectueuse de l’environnement devienne un enjeu de société pour suivre cette voie. Se reposer sur ses acquis ? Voilà exactement ce qui ne risque pas d’arriver à cette famille vigneronne sans cesse en quête de compréhension du vivant dans sa globalité. Et si l’on connaît principalement la cuvée Emilien (150 000 bouteilles par an), déjà excellente avant qu’elle ne soit consacrée comme « meilleur vin du monde » par le manga « Les gouttes de Dieu », le château produit également une cuvée plus confidentielle nommée Barthélémy. Celle-ci est issue de la parcelle historique « les rocs » qui était déjà la préférée du grand-père de Pascal Amoreau, aujourd’hui aux commandes. 1,2 hectare devant la propriété, planté de vieilles vignes de plus de 60 ans sur un sol calcaire. Produite bon an mal an à 15 000 bouteilles, Barthélémy est un assemblage de 85% de merlot et 15% de cabernet-sauvignon relativement classique sur cette rive droite voisinant avec Pomerol et Saint-Emilion. Chaque année, la famille choisit après dégustation collégiale, les 4 barriques de ce vin qui goûtent le mieux à cet instant. L’objectif est ensuite de les expédier en fond de cale sur un bateau à voile pour faire le tour des océans. En recréant ce que les Anglais appelaient « les vins de roulis », l’idée est de retrouver ce processus de vieillissement qui, curieusement, rendait traditionnellement les vins meilleurs. Un constat réalisé par les marchands anglais qui se sont aperçus au fil des siècles passés que le long transport en mer bonifiait les barriques reçues. Ce Barthélémy voyageur porte un nom, Retour des Îles, dont seules 1200 bouteilles sont produites depuis 2012 et pas systématiquement chaque année.

Une forme de transmutation

Avant de faire l’expérience de la dégustation, on pourrait penser qu’il ne s’agit ici que d’un coup de communication visant à faire parler plutôt qu’à révéler. Eh bien, force est de constater que la récente comparaison effectuée par la famille Amoreau lors du salon Raw Wine à Paris entre la cuvée Barthélémy et son pendant voyageur « Retour des Îles » a marqué les esprits. Il faut imaginer les barriques, voguant à travers l’océan Atlantique en direction des eaux chaudes des Caraïbes, descendant parfois au Brésil, remontant vers la Scandinavie. 8 mois au cours desquels les vins subissent les changements de températures, le mouvement constant, les dépôts réguliers de sel sur les barriques, le tout sans être ouillés. D’après les règles traditionnelles de conservation, il semble que l’on tiendrait là une combinaison de tout ce qu’il ne faut pas faire pour maintenir la qualité du vin. Eh bien, tout contre-intuitif que cela puisse paraître, le résultat est édifiant. Sur les 4 millésimes présentés (2012, 2014, 2016 et 2018), 3 offraient un Retour des Îles plus éclatant, plus frais, doté d’un milieu de bouche plus profond. Le 2012 était ainsi d’une plus grande suavité et d’une plénitude plus aboutie que le Barthélémy resté dans les chais du château. Même profil pour le Retour des Îles 2014 présentant pour sa part une sensation de caresse en bouche encore plus charmeuse, accompagnée d’un fruité plus éblouissant et d’une fougue certaine. Et si la robe du Retour des Îles 2018 paraissait plus évoluée que celle du Barthélémy, souplesse et éclat lui apportaient une dimension supérieure tout en conservant profondeur de fruit et densité de matière. Une forme de transmutation de la matière au cours d’un voyage au cours duquel les barriques perdent 15% à 20% du volume de vin contenu. Ce dernier est toutefois en permanence en contact avec ses lies qui, grâce au soufre naturel qu’elles apportent, tendent à protéger le vin. Seul pas de côté, le retour des Îles 2016, là encore totalement différent de son pendant classique mais cette fois-ci avec une aromatique surprenante de beau vermouth, avec un côté presque racinaire. Un vin plus radical, à l’acidité plus affirmée et in fine moins consensuel que Barthélémy. Mais ce vin, contrairement aux autres, est resté 3 semaines à quai au Sénégal lors d’une escale. La chaleur et l’immobilité expliquant certainement cette évolution atypique. Quoi qu’il en soit, les amateurs curieux devront débourser 3 fois le prix d’une cuvée Barthélémy pour avoir la chance de vivre une expérience pour le moins différente.