Accueil Le crédo de Crémade : savoir attendre

Le crédo de Crémade : savoir attendre

Auteur

Frédérique
Hermine

Date

27.05.2016

Partager

Avant on ne connaissait de Palette que la belle Simone, grande séductrice de la famille Rougier aux vins aussi rares que flatteurs. Désormais la petite appellation Palette (46 ha sur 3 communes) peut s’enorgueillir d’avoir attiré sous sa montagne Sainte-Victoire la charmante Sophie au château Crémade.

C’est une belle endormie avec 9 ha de vignes que rachète en 1997 la famille Baud (les parents de Sophie). Le vignoble est d’ailleurs exploité en fermage depuis plus de 30 ans par le Château Simone. Si la famille a fait fortune dans la Grande Distribution (Jean Baud est le fondateur de Franprix et Leaderprice), elle compte aussi quelques vignerons, notamment à Mâcon-Lugny. Sophie fait d’abord des études scientifiques agro avant de choisir l’option viticulture en dernière année ; la route est désormais tracée. Entretemps, elle rencontre Philippe Moquet, issu d’une famille de maraîchers et de bucherons, qui travaille dans la bioénergie et dans l’entreprise de taille de son père. Ils partagent le même amour de la terre ; la raison de la nature étant toujours la meilleure, nous l’allons montrer tout à l’heure…

Un tandem dynamique et joyeux

Car le château Crémade fonctionne bel et bien en tandem : Sophie, tout sourire et discrétion, au vignoble et à la vinification ; Philippe, pas moins souriant mais plus volubile, à la commercialisation. Ils ont pris le relais en 2002 et Sophie signe son premier millésime sous les grandes chaleurs de 2003. C’est d’ailleurs Philippe, qui en parle le mieux : « Sophie a vraiment trouvé l’identité de ses vins à partir de 2006, quand elle a estimé connaître vraiment son terroir, commente-t-il. Aujourd’hui, elle fait des vins comme elle, tout finesse et en élégance mais aussi en rondeur ». L’identité de la Crémade réside aussi dans des vins de garde et à moins de 20 €, plus accessibles que ses fameux voisins « car il a fallu faire nos preuves, aller à la rencontre des sommeliers et des cavistes pour expliquer nos vins : les rouges qui représentent 60% de notre production, nos blancs atypiques avec des millésimes plus âgés et les rosés que Crémade ne produisait pas avant Sophie ».

Vieux millésimes à la vente

Les rouges élaborés à partir de la quinzaine de cépages autorisés dans l’AOC sont élevés 18 à 22 mois en fûts petit grain-moyenne chauffe, les blancs à partir d’une dizaine de cépages passent sous bois 14 à 16 mois, les rosés, à partir de jus de presse et de saignée avant assemblage, restent 9 mois dans les fûts qui ont servi aux blancs. Sophie vient de mettre son rosé 2015 en bouteille mais chose étonnante en Provence, elle déconseille fortement de déboucher la bouteille… avant septembre. « Il faut expliquer notre philosophie, faire goûter, donner à comparer avec les derniers millésimes pour faire comprendre l’intérêt de ne pas ouvrir trop vite nos vins ». Aujourd’hui, La Crémade est dans la belle restauration, chez les cavistes et vend près d’un tiers de ses 42 000 bouteilles dans son caveau plein de charme, en pleine campagne… aux portes d’Aix en Provence. Le crédo de Sophie est aussi de travailler sans désherbant chimique ni pesticides, en bio avec quelques principes de biodynamie mais sans certification, « inutile quand on connaît bien ses clients », estime Philippe. Car la renommée de La Crémade a enflé avec les années et s’est diffusée de bouche à oreille comme une trainée de poudre.

25 cépages à ruban

Le vignoble bénéficie des 25 cépages autorisés dans l’appellation (La Crémade est même le seul vignoble à avoir encore du muscat d’Alexandrie), vendangés manuellement en petites cagettes. Une diversité défendue ardemment à la réécriture des décrets par Jean Rougier dont Sophie est toujours friande des histoires et des anecdotes retraçant l’histoire de Palette. « Chaque cépage a ses avantages, réfléchit souriante l’œnologue. Mais la syrah se plait particulièrement bien chez nous. J’aime aussi beaucoup mes vieux carignans, la rareté du terret, la finesse de mes cinsaults, la couleur qu’apporte le cabernet sauvignon… ». Dans les vignes enherbées, des petits rubans identifient les cépages en complantation pour pouvoir envoyer des bois en greffage chez les pépiniéristes et remplacer les manquants. Et c’est à l’automne qu’il faut revenir quand les grandes portes du chai s’ouvrent sur les vignes multicolores, dans un dégradé flamboyant de jaune, rouge, vert et orangé qui ferait rosir Cézanne de plaisir.