Accueil Actualités La route de l’appellation Corbières n’a pas été sans encombre depuis 40 ans

La route de l’appellation Corbières n’a pas été sans encombre depuis 40 ans

Auteur

Frédérique
Hermine

Date

23.12.2025

Partager

En 1985, la nouvelle AOC Corbières incarnait une viticulture de masse, structurée autour de la coopération et du marché du vin en vrac. Quelques décennies plus tard, le modèle, avec ses impératifs de production, a volé en éclats. L’histoire récente de Corbières est celle d’un long resserrement, parfois subi, souvent choisi, et qui a profondément redéfini l’identité de l’appellation sur le chemin de la qualité.

Il y a quarante ans, Corbières devenait une AOC, la quatrième de France et la première du Languedoc-Roussillon en superficie et en volume, avec environ 15 000 hectares revendiqués, ramenés aujourd'hui à 8300. Nichée au cœur du plus grand massif viticole régional, dans un triangle entre Béziers, Carcassonne et Perpignan, ses ambitions étaient à la mesure de son territoire.

Une course aux hectares

Les premières années en appellation voient Corbière s'envoler pour atteindre son apogée productive dans les années 90. Elle représente plus d'un tiers du vignoble du Languedoc et revendique une production annuelle de plus de 600 000 hectolitres. Les volumes sont considérables, portés par une dynamique d’expansion foncière et un modèle économique largement tourné vers le négoce. « On produisait alors beaucoup de vrac pour des négociants nationaux et régionaux qui avait besoin de volumes importants et réguliers », se souvient Olivier Verdale, actuel président de l’appellation. « Cette période est aussi celle d’une course aux hectares, les caves rachetaient à tout va». La surface devient un marqueur de réussite, parfois au détriment de la viabilité économique à long terme et de la valorisation. Les vins en 6 litres étoilés et en cubis étaient surtout commercialisés en grande surface. Olivier Verdale se souvient que  « Corbières bénéficiait d'une forte notoriété sans être synonyme de qualité. Dans les années 90, l'appellation communiquait dans Playboy et Le Chasseur français. Ça correspondait à nos consommateurs de l'époque, plutôt masculins, des chasseurs et des bandes de copains gros buveurs ». Un marché peu valorisant surtout en hard discount où les deux tiers des vins étaient vendus dans les années 2000 sous la barre des 2,50 €. L'appellation se retirera progressivement de ce circuit à partir de 2010.

bouchon publicité corbières
Ancienne campagne d'affichage de l'AOC Corbières ©DR
affiche carte AOC cobières
Affiche carte de l'appellation Corbières, années 1990 ©DR

Une hémorragie des volumes

À partir du début du siècle, la consommation recule, les stocks s’accumulent, les trésoreries s’assèchent. « Il a fallu s’adapter, réduire la voilure, arracher dans de nombreuses exploitations, souvent sans repreneur », explique Olivier Verdale. La déprise financière s’installe, accélérant un mouvement de réduction des surfaces. Alors qu'à la fin des années 1990, Corbières oscillait encore entre 12 000 et 14 000 hectares, elle passe sous la barre des 10 000 hectares en 2014 avec environ 1700 producteurs (dont près de 1500 coopérateurs). En parallèle, les volumes chutent : environ 560 000 hl en 1998, 403 000 en 2014, avant de tomber sous les 300 000 hl en 2022, 207 000 en 2023. En 2024, l’appellation atteint un niveau historiquement bas avec seulement 130 800 hl produits sur 7 809 hectares. Cette contraction n’est pas seulement économique : elle accompagne une profonde transformation technique et culturelle.

Une réputation de vins rustiques

À la naissance de l’appellation, l’assemblage devient une règle structurante de l’AOC mais le carignan domine alors largement, parfois à plus de 70 ou 80 %, complété par des cépages dits “améliorateurs” : syrah, grenache, mourvèdre.... « Le carignan avait plutôt mauvaise réputation, longtemps accusé de produire des vins rustiques, loin du profil recherché aujourd’hui », avoue volontiers Olivier Verdale. « Mais on a su le retravailler, le maîtriser et l'intégrer dans des assemblages plus fins ».

La palette des couleurs évolue de manière spectaculaire. En 1985, 95 % de la production est en rouge (encore 90% il y a 15 ans). « On ne savait pas faire les rosés, et on en était aux balbutiements des blancs». Aujourd’hui, Corbières produit environ 5 % de blancs et près de 20 % de rosés, avec davantage de fraîcheur, moins de couleur, et plus de buvabilité. « Avant, on ne nous parlait jamais d’élégance, ni de finesse pour décrire nos vins », reconnaît Christophe Gualco vigneron du Château Sainte-Colombe. « Nous souffrons encore d'un déficit d'image mais à la dégustation, les consommateurs sont souvent agréablement surpris par la qualité de nos rouges et par la fraîcheur des blancs et des rosés ».

Des investissements à la vigne et en chai

Cette mutation qualitative s’est accompagnée de lourds investissements dans les chais et les outils de vinification. Parallèlement, l’appellation a renforcé ses équipes techniques et son dispositif de contrôle à la parcelle et au chai, avec des prélèvements aléatoires. « Chaque année, environ 1 200 hectares sont contrôlés, soit près de 20 % du vignoble, garantissant qu’en cinq ans, l’ensemble des opérateurs est audité », détaille Aurélie Giron, directrice du syndicat. L’ODG, certifiée ISO 26 000 depuis une quinzaine d'années, affiche aujourd’hui 80 % des surfaces engagées dans une démarche environnementale, tous labels confondus.

La sociologie du vignoble s’est profondément recomposée. Le nombre de coopératives est passé de 35 -40 il y a quatre décennies à 20 aujourd’hui, tandis que l’appellation compte désormais 244 caves particulières. Les exploitations se fragmentent : la moyenne se situe désormais autour de 25-30 hectares, avec une montée en puissance des structures de moins de 20 hectares. « La nouvelle génération cherche à renouer avec la polyculture et à réduire les surfaces en vigne », observe Aurélie Giron. Cette évolution va de pair avec la hausse d'une commercialisation en direct et le renforcement d'une identité de plus en plus portée par le nom du vigneron.

Après l'incendie

Depuis 2021, toutefois, un nouvel équilibre précaire s’est imposé : celui du dérèglement climatique. Gel, sécheresses récurrentes, stress hydrique bouleversent la donne. « On a connu des épisodes de sécheresse depuis le début du siècle mais la fracture date vraiment de 2022 », affirme Christophe Gualco. « Il faut au minimum 600 mm de pluie par an pour assurer l’enracinement. En 2024, nous n’en avons eu que 200 ». L’irrigation, longtemps taboue, devient un sujet central : « Elle n’est pas là pour produire plus, mais pour permettre au végétal de survivre et d’atteindre une maturité correcte » insiste Olivier Verdalle.

L’été 2025 marque un traumatisme sans précédent avec un incendie d’une ampleur exceptionnelle. « 20 000 ha sont partis en fumée, dont 17 000 en une seule journée », raconte Olivier Verdale, encore bouleversé. Environ 1 000 ha de vignes en AOP Corbières, un millier supplémentaire en IGP, ont été détruits ou gravement impactés. « Des vignes censées servir de pare-feu ont brûlé, on cherchait même les souches. Les pompiers ont enregistré des températures de 800 à 1 000 degrés. À cinq jours des vendanges, les peaux des raisins ont été très marquées par la fumée, compromettant la commercialisation de nombreux vins. On verra les dégâts réellement au printemps. Il faut attendre le redémarrage pour savoir si l'on arrache. C 'est finalement double peine, en termes de culture et de marché. En 2026, on va vendanger sans assurance de mise en bouteille et il faut s'attendre à un choc économique majeur début 2027 ».

portrait Aurélie Giron et Olivier Verdale AOC Corbières
Aurélie Giron, directrice et Olivier Verdale président de l'AOC Corbières

Face à cette succession d’épreuves, l’appellation se trouve aujourd’hui à un carrefour décisif. Réduction des volumes, adaptation des styles, réflexion sur l’irrigation et recomposition du vignoble : Corbières n’a jamais autant questionné son avenir. « Il faut repenser ce territoire, éviter la déprise foncière qui augmente les risques d’incendie », insiste Olivier Verdale. Quarante ans après sa naissance, l’appellation a perdu en puissance ce qu’elle a gagné en lucidité. Elle planche désormais sur cinq projets de DGC (Dénomination Géographique Complémentaire) : Montagne d'Alaric, Port Mahon, Durban, Terrasses de Lézignan et Lagrasse, les deux dernières étant les plus avancées.