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[Incendie dans l’Aude] Les mots puissants de Gérard Bertrand

(photo : Ulrich Lebeuf)

Auteur

Lucie
de Azcarate

Date

08.08.2025

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Alors qu’un incendie d’une ampleur inédite ravage les Corbières, Gérard Bertrand, figure incontournable de la viticulture languedocienne, plaide pour un sursaut. Sans eau, la viticulture et l’économie de toute la région sont condamnées. Parce que sa voix porte haut et parce que l'heure est grave, nous l'avons interrogé.

Vous avez pris position sur le réseau social LinkedIn suite à l’incendie qui ravage les Corbières et son vignoble, pourquoi ?

Il est temps d’afficher nos convictions. Le mois dernier, dans la presse, j’avais évoqué la menace des incendies, qu’un prochain feu ferait probablement des morts, que ce serait une catastrophe. Nous y voilà. Cela fait dix ans que je le répète, dans la hiérarchie des priorités, le sujet de l’eau doit être le premier. Aujourd’hui nous avons perdu trop de temps c’est pour ça que je parle de négligence et de manque d’ambition. Ce qui se passe depuis quelques jours dans la région me bouleverse.

Vous parlez d’eau comme facteur limitant, pouvez-vous développer ?

Nous n’avons pas anticipé que, dans les Corbières, l’eau doit être le sujet numéro un. Sans eau, rien n’est possible, ni agriculture, ni viticulture, ni industrie, ni tourisme. Il faut aussi que l’eau soit disponible partout et qu’elle soit correctement distribuée aux habitants.

Et quelles sont les solutions que vous préconisez pour avoir de l’eau disponible ?

Nous avons la chance de disposer de l’eau du Rhône qui déverse 60 à 70 milliards de mètres cube à la mer. Nous ne prélevons que 200 millions de mètres cube, nous pouvons donc doubler le réseau Aqua Domitia et apporter de l’eau sur nos territoires. Cela fait dix ans que ce projet est en suspens. Aujourd’hui acheminer cette eau est une urgence absolue.

Il faudrait également organiser un réseau de retenues collinaires. S’il y avait des retenues, les pompiers pourraient s’approvisionner plus facilement et plus rapidement. Cela créerait aussi des espaces de biodiversité, des écosystèmes et connecterait les cours d’eau pour avoir de l’eau disponible, en plus de l’eau du Rhône, pendant la période estivale.

Concrètement pour la vigne, qu’est-ce que cette eau apporterait ?

Avec le réchauffement climatique, nous avons des températures de 5°C supérieures à celles que nous connaissions il y a dix ans. Donc les personnes qui avaient une vision angélique des choses, qui prétendaient que la vigne n’a pas besoin d’eau, étaient dans l’erreur. À 35°C, la vigne survit, à 40°C, sans eau, elle meurt. Le paradigme a changé, on ne réclame pas d’irrigation pour produire davantage mais pour que la plante ne meure pas. À travers le monde, nous ne serions pas les seuls à irriguer la vigne. Dès que nous aurons réglé le problème de l’eau, les gens resteront sur le territoire, non pas seulement pour la viticulture, mais pour toutes les cultures, les pistachiers, les oliviers, les amandiers, le maraîchage, ce sera positif pour la souveraineté alimentaire. C’est pour ça que je dis que l’Occitanie doit devenir un Eldorad’eau !

Un tel projet requiert des investissements…

Il y a urgence, il nous faut un plan Marshall pour la région. Nous allons dépenser 5.5 milliards pour la LGV Montpellier-Perpignan, on peut dépenser 500 millions pour l’eau. Pour que le projet se fasse, il faut aussi que les professionnels soient à la table de la discussion parce nous avons les réponses.

Pensez-vous qu’il y a, de la part des pouvoirs publics, une forme de résignation face aux conséquences du réchauffement climatique ?

Certainement, mais un événement d’une telle ampleur oblige un sursaut. Les responsables politiques ont sous-estimé l’impact du réchauffement climatique et, d’une manière générale, l’importance de l’économie, qu’elle soit locale, régionale ou internationale. La LGV ne servira pas à grand-chose si la région n’est pas un pôle d’attraction. C’est cette ambition qu’ils doivent avoir. Or, on ne peut pas créer de la richesse et entretenir la biodiversité sans eau. Si le feu a progressé de manière vertigineuse c’est parce que la moitié des vignes a été arrachée et que les friches accélèrent la progression du feu. 

N'a-t-on pas prévu une culture de substitution ?

Sans eau ces terres n’ont aucune valeur marchande. Si demain l’eau est accessible, des jeunes viendront s’installer dans les Corbières.

Vous gardez donc espoir ?

Je suis optimiste parce que j’y crois. Dans les Corbières les gens sont vaillants, courageux, ce sont des combattants qui ne lâchent rien. Donc, si demain on achemine de l’eau dans les territoires on recréera de la richesse avec le pastoralisme, la vigne, les cultures, le maraîchage. Avec de l’eau la région restera une destination touristique, sans doute desservie par une LGV dans quelques années. Nous pourrons ainsi partager nos richesses, notre patrimoine culturel, notre gastronomie et notre art de vivre.