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Entre menaces sanitaires et défi climatique, la Champagne tient la barre

assemblée générale des vignerons de champagne

©ClaireAmadei

Auteur

Claire
Amadei

Date

19.12.2025

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L’épidémie de flavescence dorée s’est imposée comme l’enjeu sanitaire majeur, lors de l’assemblée générale 2025 de l’Association Viticole Champenoise. La filière affiche une mobilisation collective renforcée dans un contexte économique et sanitaire complexe, qui promet toutefois un millésime d’une qualité exceptionnelle.

Réunie à Troyes pour son assemblée générale annuelle, l’Association Viticole champenoise a dressé le bilan d’une année viticole remarquable, mais aussi des défis d’ordre environnementaux, climatiques et sanitaires majeurs auxquels le vignoble champenois doit faire face. La menace de la flavescence dorée demeure au centre des préoccupations, imposant vigilance et actions coordonnées de tous les acteurs afin de préserver l’avenir du vignoble champenois.

Vigilance dans le vignoble

Communication très attendue par les acteurs de la filière viticole, l’AVC a annoncé les chiffres liés à la lutte contre la flavescence dorée.  Celle-ci a conduit à prospecter 22 350 hectares de vignes en 2025. L'hiver dernier, ce sont près de 20 hectares de vignes qui ont été arrachés en Champagne. Cette année, la situation demeure préoccupante avec près de 10 000 ceps détectés et de nouveaux foyers identifiés. Au total, un peu plus de 18 hectares ont été arrachés pour contenir la maladie.

Un signal encourageant émerge néanmoins :  l’AVC a tenu à souligner que les mesures mises en œuvre semblent avoir enrayé la progression du nombre de ceps contaminés. De nouveaux leviers de gestion de la prospection ont été évoqués (détection satellitaire utilisation l’infrarouge, détection olfactive). À ce jour, la stratégie de lutte contre la flavescence dorée repose sur trois piliers indissociables : la détection précoce, l’arrachage systématique des ceps infectés et le recours à des traitement insecticides ciblés. En cas de découverte d’un foyer, un arrêté préfectoral impose l’arrachage de la parcelle concernée dans des délais très courts.

Un millésime 2025 d’exception

L’année 2025 restera marquée par la précocité exceptionnelle des vendanges, débutées dès le 20 août dans l’Aube, et par la qualité remarquable de la récolte. Sébastien Debuisson, directeur de l’AVC, qualifie ce millésime de « hors normes » et « exceptionnel ». Allant plus loin, il estime que 2025 s’avère être un « millésime singulier, porteur des marqueurs du changement climatique ». La campagne 2025 s’est déroulée sans avoir eu affaire au mildiou ni à l’oïdium ou bien encore à la pourriture.  On retiendra que 2025, année solaire, est le millésime le plus précoce des dix dernières années avec une prise de degré historiquement rapide. « On n’avait jamais observé de tels niveaux de degrés aussi tôt au mois d’août », souligne-t-il. En effet, cette année, les chiffres du titre alcoométrique volumique potentiel (TAVP) donnaient une moyenne de 10,7°, avec des niveaux de 11,1° pour les Chardonnays, 10,6° pour les Pinots noirs et 10,5° pour les Meuniers.

L’acidité, elle, demeure remarquable sur l’ensemble des cépages, offrant un équilibre rare pour une année qui a bénéficié de fortes chaleurs. Les valeurs de début août témoignaient d’un haut potentiel avec 22 grammes par litre début août, puis ont chuté en raison des températures élevées. À degrés équivalents, les niveaux observés dépassent ceux de 2018 et 2020 et se rapprochent de ceux de 2022. La question de la bascule aromatique, qui est bien plus longue à se déclencher que les années précédentes, était également présente dans toutes les têtes ! Les toutes premières dégustations de vins clairs confirment une matière de grande qualité, désormais confiée au temps et au savoir-faire des œnologues. Tous les indicateurs sont au vert pour faire des grands vins.

Le cap est dépassé en matière de bilan carbone

La Champagne a franchi un cap intermédiaire vers le Net Zéro carbone attendu pour 2050. La filière s’est dotée en 2003 d’un plan climat ambitieux visant une réduction de 75% de ses émissions à l’horizon 2050 avec un point d’étape de -25 % en 2025. Celui-ci est désormais dépassé avec une baisse significative de -27% au total, soit 580 583 tonnes équivalent CO₂. Une performance collective saluée par l’AVC. Cette performance repose sur des progrès significatifs dans l’ensemble des composantes de la filière :

  • - 37 % pour la viticulture, malgré une augmentation des surfaces de 11 %,
  • - 46 % pour l’œnologie à volume tiré constant,
  • - 33 % pour la fabrication des bouteilles grâce à leur allègement et à l’augmentation du verre recyclé (qui comptent toujours pour 24,3% du bilan carbone)
  • - 20 % pour l’ensemble du poste emballage, qui représente aujourd’hui 35 % du bilan carbone.

Seule ombre au tableau : la commercialisation, pénalisée par la hausse du fret international et des déplacements, en progression de 8 % depuis 2023.

Néanmoins, la Champagne confirme sa capacité à réduire sa dépendance aux énergies fossiles et à sécuriser sa trajectoire vers le Net Zéro carbone. La filière s’attache à voir plus loin pour s’adapter aux mesures environnementales et au changement climatique. Parmi les initiatives phares on retiendra :

  • La culture en vignes semi-larges : avec des rangs espacés de 1,80 à 2,20 mètres, celle-ci doit favoriser l’enherbement, contribuant à réduire les intrants et les passages. Elle permet également une meilleure résistance au gel printanier et à la contrainte hydrique.
  • La création variétale : la Champagne participe aux programmes Inrae-ResDur et CepInnov sur le développement de variétés naturellement résistantes aux maladies et aux contraintes climatiques.

Stocks et production : la régulation comme ligne de crête

Sur le plan économique, la prudence demeure de mise. Les co-présidents du Comité Champagne ont dressé un constat partagé : les stocks demeurent élevés. Ils atteignent 1,279 milliard de bouteilles, un niveau inédit. Ils constituent à la fois une sécurité et un point de vigilance majeur. Afin d’éviter le sur-stock, le rendement commercialisable a été fixé cette année à 9 000 kg/ha et la production à 270 millions de bouteilles (décision du bureau exécutif du Comité Champagne du 23 juillet 2025). Cette décision a permis la réduction du sur-stock d’un peu plus de 10 millions de bouteilles. 

Malgré la stabilité des volumes, les marges subissent la pression de la hausse des coûts de production et du vieillissement des stocks, comme l’a souligné David Châtillon auprès de l’interprofession. Et d’ajouter « nous devrions avoir touché le fond, sauf évènement imprévisible, mais sans perspective de rebond significatif en 2026 ». Une touche d’optimisme est permise à l’évocation des ventes de brut sans année, qui se maintiennent à des niveaux estimés correct notamment sur les marchés américain et asiatique.

Hausse des coûts de production, renchérissement du financement des stocks et limites d’acceptabilité des prix par les consommateurs pèsent sur les résultats. Pour Maxime Toubart, le président du Syndicat des Vignerons de champagne, la situation appelle une véritable réflexion de fond, « pour que le Champagne redevienne l’effervescent qui fait rêver le monde, qui sait se réinventer, et pour que la filière reste un modèle d’ambition ».

Dans ce paysage mouvant, un mot est revenu avec insistance : collectif. Dans un contexte sanitaire et climatique contraignant, la filière a démontré une capacité d’adaptation collective renforcée. Quant aux tensions économiques, l’Assemblée a appelé à resserrer les rangs, soulignant que la force de la Champagne réside dans sa capacité unique à décider ensemble. À Troyes, la Champagne a ainsi donné l’image d’une filière viticole fidèle à sa philosophie séculaire, que l’on pourrait résumer par cette maxime de Montaigne : « La plus grande chose du monde, c’est de savoir être à soi. » Autrement dit, rester maître de son rythme, de ses choix et de son avenir.