Lundi 8 Septembre 2025
Vendanges au domaine Henriot ©wearegoodchildren
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Date
08.09.2025
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Les derniers coups de sécateur ont lieu en ce moment en Champagne, mais la plupart des maisons et des vignerons ont déjà rentré leur raisin. Le bilan ? Une très belle vendange, même si les rendements sont un peu décevants dans les blancs. On parle même d’un millésime chimérique avec un degré potentiel particulièrement élevé combiné, contre toute attente, à une belle acidité, ce qui a de quoi surprendre pour une année chaude, différant en cela des profils de 2022, 2020, 2019, 2018 ou encore 2015.
Les Champenois savaient que la vendange 2025 ne serait pas très volumineuse. La floraison en 2024 avait été difficile et l’initiation florale n’avait pas été bonne, compromettant le potentiel de la campagne viticole de l’année suivante alors même que celle-ci dans l’ensemble s’est très bien déroulée.
Car 2025, c’est un peu le contraire de la campagne éprouvante de 2024 où il était tombé plus de deux fois la quantité d’eau habituelle. Le printemps a été sec et chaud, avec un débourrement précoce. Il n’y a pas eu d’épisode de gel majeur pour compromettre la récolte, si ce n’est un refroidissement fin mai qui a retardé un peu la fleur pour le pinot noir et le meunier et gêné celle du chardonnay qui avait commencé à débuter provoquant du millerandage. Voilà pourquoi, une fois n’est pas coutume, les rendements sont un peu décevants cette année sur les chardonnays. C’est ce qui explique le "décuidage", avec un rendement global probablement entre 9 et 10.000 kilos, loin des 11.000 qui avaient été préalablement annoncés.
Le mois de juillet a été doux et humide, mais sans provoquer de pression sanitaire. Cette conjonction a juste permis d’avoir un beau feuillage et une réserve hydrique, si bien que lorsque le soleil est revenu au mois d’août, la vigne était dans les meilleures conditions et cela a accéléré encore la maturation. La vigne a pu ainsi retrouver l’avance qu’elle avait au débourrement et que le léger refroidissement de fin mai lui avait fait perdre. Sébastien Debuisson, directeur qualité au Comité Champagne, raconte : « Le 5 août, lorsque nous examinons le degré potentiel, nous sommes déjà à 5, puis la progression est de deux/trois degrés par semaine, ce qui nous oblige à avancer le ban des vendanges du 23 au 20 août. Les premiers coups de sécateur ont même eu lieu le 19 ! » Pour autant, la véraison tarde, mais lorsqu’elle s'opère, elle survient d’un coup, au lieu de s’étaler sur deux semaines.
Si d’un point de vue analytique, le raisin semble mûrir très vite, la bascule aromatique, elle, se fait beaucoup attendre. Alice Tétienne, cheffe de caves de la Maison Henriot, témoigne : « Lorsque l’on a commencé les dégustations de baie, le 16 août, ce n’était pas prêt, même si sur le papier on avait des parcelles où le degré potentiel était là. Il ne faut pas oublier les bases, un fruit a besoin de mûrir sous tous ses aspects : souplesse de la peau, aromatique… L’excitation préalable s’est donc calmée. Il a fallu beaucoup de temps entre le moment où on a atteint le degré minimum et celui où on quittait le règne végétal. Et après cette étape, il a fallu encore patienter, car on était sur quelque chose de neutre, avant que l’aromatique fruitée ne vienne enfin. »
Cette attente a amené un niveau moyen de degré potentiel particulièrement élevé, qui a sans doute battu tous les records. « Lorsqu’au Comité Champagne, nous avons annoncé au début des vendanges que pour les chardonnays, il fallait viser les 11 degrés, cela a tiqué un peu » confie Sébastien Debuisson.
Si les degrés potentiels élevés sont un classique des vendanges d’août, ce qui est en revanche plus atypique, c’est de les voir accompagnés d’une belle acidité. Sébastien Debuisson observe : « Début août, le niveau d’acidité n’était pas très élevé, mais étonnement, il s’est maintenu malgré la chaleur, si bien qu’on a obtenu des raisins avec à la fois beaucoup de fraîcheur, de densité et de richesse, un très bel équilibre ». Bien que l’itinéraire de la campagne viticole soit très différent, le profil des raisins ne serait pas sans rappeler celui de 2012, une année connue pour conjuguer à merveille verticalité et horizontalité.
Bref, de quoi avoir le sourire, si on en croit Julie Perry, cheffe de vignes de la Maison Veuve Clicquot : « Nous n’avons pas de problème de sous maturité, et pas non plus de problème de sur maturité, pas de lourdeur, pas d’aromatique qui dégringole et qui va vers des notes désagréables. On a cueilli parce que l’état sanitaire des grappes risquait de se dégrader mais on aurait pu encore attendre. » Un constat confirmé par Sébastien Debuisson : « Il y a une charge en antocyanes très élevée, mais cela n’a pas coloré. Donc cela signifie que les baies étaient mûres, mais pas trop mûres. »
Sur les trois cépages, la qualité est très intéressante, y compris les meuniers, comme l’explique Julie Perry. « Le meunier, c’est le cépage le plus sensible au réchauffement climatique. Il est complètement sorti de sa typologie depuis quelques années. On le présentait comme rustique, parce qu’il résistait bien au gel de printemps. Aujourd’hui, en réalité, il est très délicat. Alors qu’il produisait autrefois des petites grappes, avec le réchauffement ses grappes sont devenues grosses et très compactes de sorte qu'elles ont tendance à se dégrader plus vite. Cette année, le meunier s’est maintenu, parce qu’il n'y a pas eu de chaleurs extrêmes après les pluies, ni de gros orages pendant la maturation d’août, au moment où les grappes sont les plus fragiles. Des pluies sont survenues pendant l’été mais elles ont toujours été suivies de vent pour sécher les vignes. »
Le cépage qui semble avoir le mieux tiré son épingle du jeu semble être le pinot noir. Selon Julie Perry, «du point de vue quantitatif, il a été très généreux et du point de vue qualitatif aussi, avec une balance sucre acide très prometteuse, ce qui tombe bien pour la Maison Veuve Clicquot dont c’est le cépage iconique. Les chardonnays sont intéressants, mais pèchent peut-être par une acidité légèrement en retrait. Les pinots noirs que l’on destinait aux rouges étaient aussi très beaux. Il n’y avait pas de problème de pourriture grise, ce qui est important lorsque l’on fait des macérations. L’année dernière, on avait moins osé patienter, car la quantité était faible, on ne pouvait donc pas se permettre de perdre du raisin. Cette année sur le pinot noir destiné au rouge, on s’est vraiment donné le temps d’attendre parcelle par parcelle. Et je dois dire que l’intensité colorante des pellicules des raisins cueillis est prometteuse. »
Côté logistique, la vendange s’est déroulée elle aussi sans heurt, même si deux hôtels surbookés ont quand même été fermés pour des raisons de sécurité. Quelque part, c’est bien la preuve que les dispositifs de contrôle fonctionnent désormais. Le fait que les vendanges aient eu lieu en août a facilité le recrutement de la main-d'oeuvre, notamment celle des étudiants qui n’avaient pas encore fait leur rentrée. En revanche, cela a pu compliquer la logistique. Sébastien Debuisson explique : « la vendange était prévue initialement une semaine plus tard, il a fallu tout réarranger début août alors que tout le monde était en congés, or les vendanges ce ne sont pas seulement les vendangeurs, mais aussi les traiteurs, les boulangers, les camions citernes et leurs chauffeurs etc… Beaucoup n’avaient pas planifié de rentrer aussi tôt.»
Globalement, la cueillette s’est déroulée dans une relative sérénité, même s’il a fallu revoir en permanence les itinéraires. Alice Paillard, présidente du champagne Bruno Paillard, raconte : « On a démarré le 25 août par certains de nos blancs sur les parcelles court-nouées où les très petits rendements amènent beaucoup de concentration aux raisins qui grimpent très vite en degré. On a laissé le reste des blancs patienter et on a très vite bifurqué vers les pinots noirs des grands crus de la face Nord de la Montagne, où il y avait des choses magnifiques. Ensuite, on est retourné dans la Côte des blancs, puis vers les meuniers qu'il a fallu attendre un peu. On a beaucoup changé les plans en fonction des pluies et de l’état sanitaire. La semaine du 25, c’était splendide partout. La semaine d’après, on avait envie de rentrer tout en même temps, le risque c’était de voir des très beaux pinots commencer à s’abîmer ou des meuniers un peu fragiles. »
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