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Billecart-Salmon : Jean-Roland Billecart décédé

Jean-Roland Billecart, ancien président de la Maison Billecart-Salmon 1923-2025, Copyright Mathieu Garçon

Jean-Roland Billecart, ancien président de la Maison Billecart-Salmon 1923-2025, Copyright Mathieu Garçon

Auteur

Yves
Tesson

Date

25.11.2025

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Lorsque l’on rendait visite à la Maison Billecart-Salmon, malgré son grand âge (102 ans !), Jean-Roland Billecart n’était jamais très loin, et jusqu’à une époque encore récente il participait au comité de dégustation, faisant bénéficier à toutes les équipes de sa longue et belle expérience, que ce soit sur le plan commercial ou œnologique. L'ancien président qui assura la direction de 1963 à 1993 s’est éteint hier,  laissant derrière lui un magnifique héritage porté aujourd’hui par la septième génération de la famille, toujours aux commandes depuis 1818.

Pour tout le monde dans la Maison, c’était tout simplement « Monsieur Jean ». Et son histoire représente à elle seule la moitié de celle de Billecart-Salmon, puisqu’il a vécu 102 ans, alors que la maison fondée en 1818 est tout juste bicentenaire. Il était l’archétype du patron à l’ancienne, au sens positif du terme. Membre de la famille fondatrice, il n’en était pas moins rentré par la petite porte, à l’âge de 17 ans, le 7 octobre 1940, pour un stage complet de 3 ans dans les caves, où il passera selon l’usage par toutes les tâches, tirage, dosage, bouchage, dégorgement. Il y a quelques années, il nous avait confié qu’une seule lui avait résisté, le remuage : « au bout de 48 heures, mes poignets avaient doublé de volume, je ne pouvais plus rien faire avec ».

En 1943, comme beaucoup de jeunes de son âge, il est contraint de rejoindre le STO. Il reste un an dans la banlieue berlinoise pour travailler dans une imprimerie. Un séjour périlleux alors que Berlin subit les bombardements quotidiens des Alliés. Mais il y apprend l’Allemand grâce aux cours du soir dispensés par la secrétaire de l’imprimerie aux jeunes Français.  A son retour, il suit une formation par correspondance de l’ESSEC, son père voulant lui confier ses première responsabilitsés commerciales à la tête de la région lyonnaise, le premier grand marché historique de Billecart-Salmon, ce qui ne l'empêchera pas d’ouvrir en même temps un certain nombre de marchés à l’export.

Un grand vinificateur qui a forgé le style de la Maison

Pourtant, bien plus qu’un commercial, Jean Roland-Billecart était d’abord un fondu d’œnologie. Et c’est sur ce plan qu’il a marqué le plus l’histoire de la maison en rénovant complètement le style de ses vins grâce à une série d’innovations techniques très audacieuses pour l’époque. Contre toute attente, son inspiration viendra du monde de la bière, et des suggestions de son beau-père, M. Simon, brasseur dans la région de Douais. Au début des années 1950, ce dernier lui rend visite au moment des vendanges et des premières fermentations. Il est très surpris par les méthodes employées. Toutes les vinifications se font en effet dans des fûts, et une partie des vins bouillonnant ont tendance à déborder et inonder le sol. M. Simon engage son gendre à imiter les brasseurs et à opérer des fermentations dans des cuves réfrigérées, ce qui permettra de mieux diriger les fermentations.

Suivant les conseils de son beau-père, M. Jean mène son enquête. Il entre en contact avec M. Petitjean de l’Institut œnologique de Champagne et avec M. Geoffroy, le directeur du service technique du CIVC. L’aventure va conduire la petite équipe en Suisse, dans la région des Trois lacs, un vignoble producteur de vins très fins dont le secret est justement la fermentation à basse température.

M. Jean achète d’abord trois cuves en brauthite à une société allemande. Il fait des premiers essais en utilisant un petit groupe réfrigérant installé dans la pièce et teste des fermentations qui ne dépassent pas 13 degrés. Puis, il observe le résultat après une seconde fermentation en bouteille. Pour convaincre son père, il lui présente deux échantillons, l’un élaboré selon l’ancienne méthode, l’autre selon la nouvelle. Charles Roland-Billecart est conquis et en dépit de l’investissement nécessaire pour construire la nouvelle cuverie, il s’engage sans hésiter dans la nouvelle voie proposée par son fils.

Il n’est pas un seul vin de la gamme de la maison qui échappe à cette méthode aujourd’hui, y compris ceux élaborés sous bois. Elle est le cœur de l’identité de la marque. C’est cette lente fermentation qui donne toute la précision aromatique des champagnes de la Maison. Chez Billecart-Salmon, pour mieux en comprendre l’impact, on recourt souvent à l’analogie de la cuisson vapeur, par opposition à une fermentation classique qui, à l'image d'une cuisson à la flamme donne un côté plus grillé, puissant et gras.

M. Jean crée aussi la première cuvée spéciale de la Maison, la cuvée Nicolas-François, du nom du fondateur. Elle est tirée dans une bouteille reprenant le dessin d’un vieux flacon qu’il a découvert dans les fonds du musée d’Epernay. Celui-ci date de 1818, une coïncidence qui ne s’invente pas ! Composée de 60 % de pinots noirs et de 40 % de chardonnays de grands crus, le champagne est élaboré à partir du millésime 1964 et sortira pour la première fois sur le marché en 1968.

Une nouvelle approche du rosé

M. Jean est aussi l’un des tout premiers à croire au champagne rosé, à l’époque considéré comme un sous-genre lorsqu’il n’est pas perçu comme un champagne raté, qu’un manque de maîtrise au pressurage a laissé se tacher. Lorsque M. Jean révèle son intention de travailler cette cuvée, son père le rabroue d’ailleurs, lui rétorquant que c'est là « un vin de charretier ». Pas de quoi décourager le jeune homme qui a une vision précise de ce qu’il recherche : obtenir un champagne à la couleur très pâle et dont le goût se distinguera à peine de celui du Brut si ce n’est par sa fraîcheur et un arôme discret de fruit rouge. M. Jean joue alors sur les chardonnays pour atténuer la teinte de la robe. Le risque d’une couleur aussi légère est de la voir se dégrader rapidement. Aussi, le président de Billecart-Salmon a-t-il la clairvoyance de recourir à des vins rouges de réserve déjà stabilisés.

Ce travail d’orfèvre obtient une première consécration au milieu des années 1970. La cuvée est alors classée première par le Gault et Millau dans un comparatif des différents champagnes rosés. Mais son succès commercial sera surtout l’œuvre d’Alexandre Bader, l'actuel directeur général, qui relancera la mode des champagnes rosés en déposant en consignation quelques flacons dans les grands hôtels au début des années 1990. À charge pour les sommeliers de les vendre à la coupe. La rupture de stock sera presque immédiate. Une version millésimée verra aussi le jour en 1988, la cuvée Elisabeth Salmon. Comme cette fois on ne peut recourir pour les rouges à des vins de réserve, il faut une parcelle de choix, plantée de vieilles vignes et exposée plein sud, à même de fournir des vins à la fois fins et d'une couleur prononcée qui tiendra dans le temps. Ce sera celle de Valofroy, à Mareuil-sur-Aÿ, au pied de Notre Dame du Gruguet.

L'art de bien s'entourer

Le talent de M. Jean, c'est enfin d'avoir su s'entourer, en s’appuyant sur une succession de chefs de caves de grand talent. D’abord René Lamarle qu’avait recruté son père et qui était un ancien ouvrier caviste de la maison de Venoge. Ensuite, M. Caron, l’ancien chef de caves de Georges Goulet que lui avait recommandé René Chayoux, le patron d’Ayala. Puis M. Prudhomme qui sortait de la maison Burtin. Ce dernier a particulièrement marqué la maison par son courage. Atteint d’un cancer des os, il persévéra jusqu’à son dernier jour au service de la maison. Les ouvriers cavistes devaient le descendre sur sa chaise afin qu’il puisse venir inspecter les caves. A sa mort, James Coffinet prit sa relève. Ce jeune diplômé en œnologie venait d’une maison de mousseux qui faisait de la cuve close. Après son passage au sein de la maison Billecart-Salmon, la qualité de son travail lui valut d’être recruté chez Pol Roger. Enfin, en 1985, M. Jean embaucha François Domi qui travaillait chez Charles Heidsieck. Il a pris sa retraite récemment, non sans avoir formé auparavant un brillant successeur en la personne de Florent Nys.

Entre temps, au début des années 1990, Jean Roland-Billecart a passé les rênes à ses deux fils Antoine et François Roland-Billecart, ce dernier a assuré la présidence jusqu'en 2018 avant de transmettre à son tour les commandes à son neveu Mathieu Roland-Billecart. La même année, Jean-Roland Billecart âgé de 95 ans quittait la présidence du Conseil de surveillance pour la céder à son fils François.

Notre équipe s’associe à la peine de sa famille et de ses anciens collègues et leur présente ses plus sincères condoléances.