Lundi 17 Novembre 2025
Gamme famille Ferrando | Guillemette Ferrando ©FHermine
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17.11.2025
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Guillemette Ferrando, qui a rejoint sa mère Isabel au domaine Saint-Préfert de Châteauneuf-du-Pape, présentait les vins de Famille Isabel Ferrando sur les plats de Jean-François Rouquette, au restaurant Pur du Park Hyatt Paris-Vendôme. L'occasion d'une longue interview avec la jeune femme aussi charismatique et dynamique que sa mère.
J’avais cinq ans quand ma mère a acheté des vignes à Châteauneuf, en 2002. Mais à l’adolescence, même si j’étais toujours très fusionnelle avec elle, j’ai eu besoin de me détacher. Mon idée était de partir le plus loin possible de Châteauneuf-du-Pape, et à l’époque, le plus loin pour moi, c’était Paris. Elle a eu l’intelligence de me laisser faire sans pression. J’ai fait hypokhâgne et khâgne, deux ans d'incroyable stimulation intellectuelle, avant d’intégrer Dauphine pour faire de l’économie appliquée au développement. Après deux ans à Londres, un an à Paris, j’ai fait un master à l’ESCP en développement durable à Berlin. Et le Covid est arrivé. Tous mes amis étaient partis en cabinet de conseil, dans la finance. Mais moi, j’avais envie de revenir à quelque chose de plus concret.
Pas encore. J’ai déposé mon dossier pour un BTS viti-oeno à Beaune sans rien dire à ma mère et en pensant que si je trouvais l’alternance de mes rêves, ce serait un signe. J’ai envoyé mon dossier, au culot, à Jean-Marc Roulot, à Meursault. Il venait de recevoir la démission de sa stagiaire, on s’est rencontré et il m’a embauchée. Pour moi, c’était une star, mieux que Beyoncé. Et j’ai donc passé ma première année dans le vin avec un grand monsieur, charismatique, élégant, exigeant et d’une grande ouverture d’esprit. Il y avait une incroyable émulation. Ce fut une révélation.
Je suis partie d’abord pour faire des expériences, à Eisele Vineyard dans la Napa Valley, chez les Mullineux, en Afrique du Sud, chez Telmo Rodriguez en Rioja, chez Alvaro Palacios dans le Priorat. J'ai choisi les expériences avec toujours là même idée : apprendre des cépages sudistes dans des domaines familiaux, travaillant en bio, avec une recherche d’excellence. Je serais bien repartie ensuite en Argentine, mais ma mère commençait à fatiguer et m’a demandé de rentrer pour qu’elle puisse prendre du recul. J’avais vu tellement de maisons merveilleuses, j’avais la tête remplie d’idées, et envie de me mettre au travail. Ça commençait à me titiller.
Quand je suis rentrée, nous avons pris un coach spécialisé dans la transmission pour nous aider dans la transition. Il nous avait été conseillé par la famille Marcon. Il est parfois difficile de travailler avec les gens de sa famille : il faut savoir mettre son ego et son affect de côté. Cela m’a pris quelques mois avant d’accepter une critique de la part de ma mère. Elle voulait que j'apprenne à comprendre le domaine. On ne peut pas arriver et vouloir casser les murs. Une maison a un esprit. J’ai donc passé un an en apprentissage, même si, par la force des choses, elle m’a tout de suite délégué le commercial France-Export. Je me suis beaucoup déplacée, en rencontrant d'abord nos clients pour entretenir les liens.
La plus importante est sans doute le passage du nom de Saint-Préfert à Famille Isabelle Ferrando. Question de revendication. Toutes les grandes maisons portent le nom de leur créateur. Avec le temps et la force de l’histoire, ça deviendra sans doute Famille Ferrando. De toute façon, Saint-Préfert venait de nulle part; ce n’est pas un vrai saint, ni même un lieu-dit, juste l’idée du propriétaire Fernand Serre dans les années 30. C'était le premier à commercialiser ses bouteilles à Châteauneuf, avec un slogan du style « Saint-Préfert, le vin que l’on préfère ». L’idée de « famille » permet aussi de m’inclure, de marquer mon arrivée. J’avais aussi en tête de créer mon vin. Ce choix a aussi accompagné l’élaboration d’une cuvée unique au lieu des trois précédentes (Classique, Auguste Favier, Charles Giraud) avec l’idée de revenir au principe de l’assemblage châteauneuvois. Nous trouvons le nouveau vin meilleur, plus complexe, et cela nous donne plus de marge de manœuvre au regard du réchauffement climatique. Et puis, le domaine a doublé de surface — il est passé de 12 hectares à 25 à Châteauneuf, sans compter les 8 de Côtes-du-Rhône.
Nous avions une parcelle de counoise que ma mère détestait car elle n’arrivait à en tirer un vin qui lui plaise. La counoise est ingrate au début : acide, amère, compliquée à équilibrer. Nous la revendiquions en vrac. Mais beaucoup de vignerons disaient qu’il fallait l’attendre au moins dix ans. C’était un vrai défi. Donc en 2023 avec Adrien Coste, notre responsable technique, nous avons travaillé sur les assemblages en infusion pour limiter l'extraction et nous avons crée Philia, un vin plus jeune, plus frais, avec moins de tannins. L'idée était aussi d’utiliser un cépage ancien que peu de gens connaissent. Il y a toujours eu de la counoise à Châteauneuf, mais elle restait très marginale dans les assemblages. Nous avons donc vinifié 50 % de counoise avec du grenache pour la sensualité et le croquant, du cinsault pour la fraîcheur et la légèreté. Mon challenge, avec cette bouteille à l’étiquette jeune, est de séduire ma génération. Je vais beaucoup dans les grandes écoles pour raconter le vin qui fait partie du patrimoine français, expliquer, faire de la pédagogie, même si je pense que l’appréciation du vin vient avec un certain niveau social, puisque les bouteilles coûtent cher.
Quand je suis revenue, j’ai commencé à organiser des dégustations au domaine, à recevoir des clients particuliers. J’ai ouvert tout un pan de vente directe aux consommateurs — ma mère était plutôt de l’école de la Bourgogne, portes closes, car elle n’avait pas le temps et cela nécessite toute une logistique. J’ai aussi créé un wine club comme la plupart des grands domaines aux États-Unis pour proposer des allocations en direct aux particuliers. Aujourd’hui la part de ventes sur le marché français est remonté à environ 50% mais il faut continuer à aller voir les clients, rencontrer les sommeliers, et j’envisage d’accueillir plus de monde au domaine.

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