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Les femmes et la vigne : le beau sexe… oublié

13 Octobre 1951, Vendanges dans le Médoc (photo Archives Sud-Ouest)

Auteur

Idelette
Fritsch

Date

19.10.2017

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Première étude de genre sur la place et la condition des femmes dans la vigne, le prix de l’OIV 2017 catégorie Histoire, remis lundi 16 octobre à Paris, éclaire d’un jour nouveau la construction de la « partition sexuée » des tâches viticoles dans l’histoire de la viticulture moderne. Un ouvrage édifiant sur la discrimination féminine, toujours d’actualité.

Si les femmes occupent une place aujourd’hui incontestable en œnologie et en viticulture, certaines parvenues à des postes clés dans la lignée des chefs de caves et veuves de la Champagne (Clicquot, Jeanne Pommery, Lily Bollinger), ou d’Anne-Rosine Noilly Prat (producteur de vermouth français), l’histoire de la viticulture française se ménage encore une triste part d’ombre : ombre portée sur les femmes employées, à partir du XIXe siècle, à des tâches saisonnières décrétées peu qualifiées et sur lesquelles s’appliquait ce qu’on appelait alors, le « tarif femme », c’est-à-dire la moitié du salaire masculin le moins rémunéré.

Jean-Louis Escudier, chercheur au CRNS de Montpellier et prix de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) catégorie Histoire pour son livre « Les femmes et la vigne : une histoire économique et sociale (1850-2010) » paru en 2016, a emprunté ce chemin inexploré, « là où il n’y a pas de lumière » confie-t-il, afin de dresser la première étude de genre sur ces femmes anonymes qui travaillaient au quotidien à la vigne. Recherches pionnières couronnées par l’OIV ce lundi 16 octobre, qui mettent en évidence des disparités tenaces dans l’histoire du développement de la viticulture moderne et interrogent la notion toute relative de qualification.

« Jusqu’en 1850, la vigne en France est résiduelle, c’est souvent un complément dans un cadre de polyculture qui ne nécessite pas d’organisation du travail clairement établie, retrace le chercheur. Mais la naissance de la viticulture moderne portée par l’arrivée du chemin de fer et un fort développement du marché viticole national, puis l’apparition des premières crises de la maladie de la vigne (l’oïdium) vont changer la donne : la vigne nécessite plus de culture, plus de main d’œuvre et donc plus d’argent. C’est à ce moment que se construit la « partition sexuée » des tâches viticoles. »

Des petits doigts agiles

Pourquoi tout au long du cycle végétatif de la vigne, les femmes ramassaient-elles les sarments mais ne taillaient pas la vigne ? traitaient l’écorce des souches contre le Pyrale de buis, une chenille invasive qu’elles échaudaient à l’aide de petites cafetières ? étaient employées à l’épandage du soufre, à l’ébourgeonnage, mais étaient interdites de cave ? interroge le chercheur. Pourquoi surtout, ces postes considérés comme non qualifiés, le devenaient dès lors qu’ils rentraient dans la part des tâches dévolues aux hommes ?

« La qualification est une construction sociale qui a été décrétée d’emblée masculine. Pour les femmes, ce sont les dispositions naturelles qui étaient prises en compte comme la patience ou l’agilité, explique Jean-Louis Escudier. On estimait certains travaux spécifiquement féminins parce que les femmes avaient des doigts plus agiles… Et dès lors qu’un travail était décrété féminin, il était deux fois moins payé que pour un homme non qualifié, et quatre fois moins en comparaison d’un poste masculin décrété qualifié ».

Les femmes interdites de cave

Pour le scientifique, cette division sexuée du travail participe d’une certaine hypocrisie. Ainsi au XXe siècle, les femmes sont-elles interdites de chai au moment de la fermentation, au prétexte qu’elles feraient tourner le vin pendant leurs menstrues. Mais de façon contradictoire, cet interdit social est levé pendant la seconde guerre mondiale (entre août 1914 et 1915), les femmes rentrent à nouveau en cave en l’absence des hommes. « Plus prosaïquement, on leur interdit l’accès à un endroit où les salaires sont plus rémunérateurs. La réalité, c’est que les hommes veulent rester entre eux et maintiendront au cours de l’histoire une chasse gardée sur les salaires les plus élevés ».

Interdites de formation jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, cantonnées à l’enseignement ménager agricole qui encourage le repli des femmes rurales sur la sphère domestique, ce sont les années 70 qui consacreront l’entrée massive des femmes en viticulture à des postes de qualification élevés. « A partir des années 90, les femmes deviennent majoritaires dans les promotions des écoles d’agronomie. Pour ces femmes, la parité est pratiquement acquise, même s’il y a encore des cas de discrimination pour certaines jeunes diplômées. »

En dépit de ces acquis sociaux, les disparités de genre persistent toutefois dans le vignoble français sur les postes les moins qualifiés. Ce triste constat, Jean-Louis Escudier a pu l’observer lors de ses recherches : « de façon générale sur les postes saisonniers, les femmes sont toujours les petites mains de la viticulture française, employées à des postes précaires avec un fort turn-over », insiste le chercheur.

« Les femmes et la vigne : une histoire économique et sociale, 1850-2010 », Jean-Louis Escudier, paru aux Presses Universitaires du Midi, Collection Ruralités Nord-Sud, 2016, 25 €