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Interview de Grégory Patriat des Vins de Jean-Claude Boisset

Auteur

La
rédaction

Date

22.03.2010

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La Bourgogne ouvre aujourd’hui le ballet de ses Grands Jours, une semaine de dégustations réservée aux journalistes et aux acheteurs, à la rencontre des vins de Bourgogne, du nouveau millésime et des millésimes déjà sur le marché. Le vignoble bourguignon est divisé en cinq ensembles et chaque ensemble se voit dédié un jour du programme : Chablis et l’Auxerrois, le lundi 22 mars ; la Côte de Nuits, le mardi 23 ; le Mâconnais, le mercredi 24 ; la Côte Chalonnaise, le jeudi 25 et la Côte de Beaune le vendredi 26.
Depuis 2002, Grégory Patriat est le « Viniculteur », le « trait d’union entre le vin et la vigne » de la maison Boisset. Grégory Patriat fête son huitième millésime chez Boisset alors que les Grands Jours de Bourgogne fêtent leur dixième édition (à raison d’une tous les deux ans, mais restons dans l’esprit « dizaine »): c’était le moment de faire un petit point sur dix ans de viniculture en Bourgogne.Quel est le changement qui vous frappe en premier lieu si vous examinez l’évolution de la Bourgogne vinicole sur dix ans ?
Grégory Patriat : « Tout d’abord, d’une manière générale, les déchets qualitatifs ne trouvent plus preneurs, même à bas prix et c’est une bonne chose. Ensuite, cette évolution de la qualité s’est accompagnée d’un mouvement de convergences des métiers à la production : beaucoup de vignerons sont devenus négociants et beaucoup de négociants sont devenus vignerons. Les vignerons qui ont acquis une belle notoriété par leur travail sur de petites surfaces se trouvent vite à manquer de vin et à acheter des raisins, tandis que nous, négociants, sommes de plus en plus exigeants sur nos approvisionnements, au point d’acheter des vignes…

A l’arrivée, le niveau moyen de qualité n’a jamais été aussi élevé, il répond à une exigence des acheteurs et des marchés et correspond à un énorme travail en amont. »

La viticulture et les vignes ont-elles beaucoup changé en dix ans ?
GP : « Cet énorme travail en amont commence par la viticulture, celui où les marges de progression sont encore les plus importantes malgré le chemin déjà parcouru. On a compris que le bon vin se faisait d’abord à la vigne. Les viticulteurs ont connu une vraie prise de conscience en faveur du raisin, ils sont attentifs à sa maturité et à maintenir des rendements en dessous de 50 hl/ha. C’est rentré dans les mœurs, il n’y a plus à se battre avec les viticulteurs pour faire des vendanges en vert et des tailles courtes. Il reste des us et coutumes du vingtième siècle à bannir, notamment en terme de gestion du feuillage : je vois encore aujourd’hui des vignes rognées à 80 ou 90 cm de haut, or il faut de la feuille aussi pour faire du beau raisin. Il reste des progrès à faire, sans investissements lourds, en utilisant son sens de l’observation et le bon sens vigneron.

En terme de respect de l’environnement, on parle de lutte raisonnée, un concept aux contours flous, alors qu’on a les moyens et les connaissances pour aller beaucoup plus loin. L’usage de pesticides et d’engrais a été également revu à la baisse sur dix ans, mais il faut passer la cinquième dans ce domaine. Nous avons une trentaine d’hectares qui sont cultivés en bio, cela demande d’aller dans ses vignes les observer avec attention sans compter ses heures et sans craindre de traiter le dimanche. A ce prix, si on en a la volonté, travailler en bio n’est pas un problème en Bourgogne. »

Comment décririez-vous l’évolution des styles des vins de Bourgogne ?
GP : « J’aimerais surtout parler d’un retour de balancier. On assiste depuis quatre ou cinq ans à un retour vers des vins plus purs, avec plus de fruit. Les vins de pinot noir démonstratifs de la fin des années 90 et du début des années 2000 ont vécu. Les bêtes à concours sont en train de disparaître et c’est très bien. On revient à l’essence du pinot noir : des vins peu colorés, avec fraîcheur, acidité, finesse et complexité aromatique.
La chance de la Bourgogne, c’est que nous avons peu de bonnes copies à travers le monde : on me parle des pinot noir d’Oregon ou de Nouvelle-Zélande comme étant les plus proches des bourguignons mais, tout esprit chauvin mis à parti, aucun n’en a l’acidité ou la finesse. Le pinot noir n’a pas donné les mêmes résultats à l’étranger que le cabernet ou le merlot… C’est un avantage pour la Bourgogne, qui tient le haut du pavé en terme de complexité organoleptique. Du coup les vins plus ronds, plus démonstratifs, ne sont pas forcément des compétiteurs des vins de Bourgogne : ils permettent d’ouvrir un public au vin, d’amorcer la pompe d’une nouvelle consommation. La prochaine étape pour ce public est d’aller progressivement vers des vins de plus en plus complexes, suivant une hiérarchie dont la Bourgogne occupe le sommet.
Cela ne signifie pas que la Bourgogne n’est pas attentive à son consommateur : cette décennie a aussi été marquée par l’arrivée en Bourgogne du marketing, avec des habillages qu’on modernise, des capsules à vis aussi, j’y crois, pour les blancs comme pour les rouges. Boisset a été le premier à capsuler à vis un grand cru rouge… »

Partagez-vous l’enthousiasme de la filière sur le millésime 2009 ?
GP : « Le discours officiel veut que 2009, avec sa richesse en alcool, soit un excellent millésime. Moi, j’ai un faible pour 2008, surtout en blanc, où la minéralité, l’acidité est exemplaire et où les rouges ont également beaucoup de charme et de finesse. J’aime les vins qui ont de l’acidité et de la complexité. 2009 offre de très beaux volumes en bouche, il est avenant et sera vite prêt à boire, mais la météorologie de 2009 a engendré un cycle de maturation très court qui ne correspond pas à l’idéal du pinot noir… En revanche, 2009 offre un niveau qualitatif beaucoup plus homogène que 2008 : 7 ou 8 vins sur dix seront de très bons niveaux en Bourgogne en 2009 ; le rapport est un peu plus faible en 2008, si on veut boire ces vins aujourd’hui ; mais ils nous réservent, je pense, d’énormes surprises à l’avenir. »

Quelles sont vos recommandations en terme d’appellations ?
GP : « Contrairement aux millésimes récents où la côte de Nuits rayonnait, la côte de Beaune tire vraiment bien son épingle du jeu en 2008 pour les rouges, avec de superbe Beaune, Savigny –les-Beaune et Santenay. En blancs, les Saint Aubin et Puligny sont d’une grande finesse, ils iront très loin !

En 2009, pour les rouges je dirais que le niveau qualitatif est très homogène avec une petite préférence pour les Chambolle-Musigny en Côte de Nuits et les Savigny-les-Beaune en Côte de Beaune. En blancs les vignobles à forte « minéralité naturelle », comme une fois encore Saint Aubin ou Chassagne-Montrachet vont faire des étincelles. »