Accueil Terroirs et Vignobles Pour leurs 40 ans, les vins AOP du Roussillon veulent se refaire un nom

Pour leurs 40 ans, les vins AOP du Roussillon veulent se refaire un nom

Auteur

Idelette
Fritsch

Date

29.05.2017

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Plus que jamais conscient du potentiel de ses terroirs, le Roussillon opère en 2017 un repositionnement stratégique ambitieux. Objectif pour les 40 ans des appellations Côtes du Roussillon et Villages ? Gagner une nouvelle bataille marketing auprès du réseau des cavistes, et pourquoi pas une place dans les linéaires de la grande distribution.

Pour les 40 ans des appellations Côtes du Roussillon et Côtes du Roussillon Villages, l’heure est au bilan. Gérard Gauby, vigneron-star de la vallée de l’Agly révélé à Paris il y a plus de vingt-cinq ans par le dénicheur de vins Bruno Quenioux (alors responsable de la sélection vins au Lafayette Gourmet, à droite, photo ci-dessous), est depuis longtemps une révélation éventée. Sa cuvée Muntada a certes marqué les esprits, ouvrant la voie à la découverte dans les années 90, des domaines fer de lance (Gardiès, Le Clos des fées d’Hervé Bizeul, Roc des Anges, Olivier Pithon, domaine de L’Horizon, etc.), mais la dernière décennie peine à maintenir ce rythme de nouveautés.

« Autrefois réputé produire des vins très concentrés, le Roussillon existe aujourd’hui chez les cavistes parisiens grâce à ces ténors de l’appellation, mais il manque l’arrivée de nouvelles pépites pour booster la notoriété de cette région », témoigne Thomas Wolfman, caviste-responsable des Caves de Prague à Paris, au sortir d’un « Eductour » cavistes et sommeliers, lundi 22 mai en Roussillon, où la nouveauté faisait tristement défaut (lire le post de Marie-Louise Banyuls des 5 du vin).

Opération séduction auprès des cavistes

Comment alors, en 2017, séduire les prescripteurs en révélant de nouvelles pépites sur ce vignoble mouchoir de poche (les AOP vins secs y représentent 2% de la production hexagonale), et apporter la preuve que le Roussillon est, plus que jamais, une terre de grands vins ? La réponse est marketing.

« Notre notoriété, cet escalier qu’il nous reste à franchir, se fera d’abord auprès du réseau des cavistes », constate Xavier Hardy, responsable formation et communication au Conseil interprofessionnel des vins du Roussillon (CIVR). De fait, les vins du Roussillon sont encore trop faiblement représentés au plan national. Présents chez 75% des cavistes avec 4937 références majoritairement en AOP vins secs (pour 83%), la région Sud concentre 43% de l’offre référencée, devant l’Île-de-France (11%) et le Nord-Ouest (11%). C’est peu, et très peu satisfaisant si l’on considère que « beaucoup de ces cavistes ont des armoires dédiées au Bordelais et à la Bourgogne, mais présentent les vins du Roussillon en les assimilant aux vins méditerranéens », toujours selon Xavier Hardy.

Pour sortir de la masse, l’interprofession engage en 2017 avec le Syndicat des cavistes professionnels, les bases d’une réflexion pour le repositionnement de l’image de ses vins. Plusieurs opérations seront menées dans l’année avec ce syndicat-vitrine, fort de 1300 points de vente sur les 5700 commerçants français de vins et spiritueux. « Il y a un vrai besoin de redécouverte de cette région peu connue des consommateurs et sous-représentée chez les cavistes, analyse Nathalie Viet, directrice du SCP. Le Roussillon a besoin de retravailler son image en s’appuyant sur le réseau des prescripteurs qui sont en première ligne dans la relation avec le consommateur. C’est un territoire où il y a un fort potentiel de pépites à cavistes, avec un terroir tellement puissant que ce matériau brut, ciselé, ne peut donner que de grands vins d’artistes. »

Un potentiel image énorme

Ce potentiel de vins d’auteurs n’est pas inconnu des principaux opérateurs français, qui ont certains de longue date, posé un pied en Roussillon : Michel Chapoutier avec le domaine Bila-Haut à Latour de France, les Bordelais François Lurton (vallée de l’Agly) et Bernard Magrez (Latour de France). Après avoir investi les terroirs du Languedoc, le négociant audois Gérard Bertrand s’est implanté il y a une douzaine d’années sur les AOP Côtes du Roussillon Villages Tautavel et Les Aspres ; les vignobles Bonfils sont propriétaires depuis 2012 du château de l’Esparrou ; le groupe AdVini s’est porté acquéreur des domaines Cazes et tout récemment, au cours de l’été 2016, les domaines Paul Mas ont acquis le domaine de Lauriga sur le territoire des Aspres.

« Dans le vin, on se nourrit des histoires du passé qu’il faut ensuite réinventer, justifie Jean-Claude Mas. Pour le négociant-vinificateur propriétaire de 19 châteaux en Languedoc, le Roussillon allie charge historique et tellurique. La garantie d’un binôme détonant en terme de communication. « Sur cette terre des Cathares bénéficiant d’un terroir magnifique, les traditions viticoles très ancrées ont donné des vins au caractère aussi trempé que celui des Catalans, qui ont marqué l’histoire. Les paysages de banyuls, Collioure, y sont ce qu’il y a de plus proche de la riviera française localement. L’histoire étant affaire de cycle, il y aura un nouveau cycle pour le Roussillon dans les prochaines années », prédit-il.

« Le Roussillon a un potentiel image énorme auprès de la presse et des consommateurs éduqués, admet Emmanuel Cazes, vice-président du CIVR et responsable technique Maison Cazes (groupe Advini). C’est ce que viennent chercher ces opérateurs-là, friands de vins flatteurs et décalés, élaborés dans une stratégie premium valorisant tous les atouts du Roussillon et produits à quelques dizaines de milliers de bouteilles. » Si ce marché de niche contribue, selon le vice-président, à la notoriété des vins Roussillon, il n’a malheureusement que peu d’impact sur l’économie locale.

La GD : une locomotive à travailler

La raison en est un manque de notoriété commerciale des vins de cette région sur les marchés à volume (GD et export), en partie expliqué par les faibles rendements du Roussillon (entre 30 et 35 hl/ha). Ainsi pour les AOP Côtes du Roussillon rouge, 36% des volumes commercialisés ces douze derniers mois en hypers et supermarchés (à un prix moyen hors promo de 5,40 € le litre), l’ont été dans le département de production, devant Île-de-France (8,7%) et PACA (8,4%). Or Pyrénées-Orientales, les vins du Roussillon sont la grande inconnue en GD.

« On le voit à l’export sur les marchés de monopole, en Europe du Nord où le mot Roussillon n’existe pas, observe Emmanuel Cazes. Exceptés Michel Chapoutier et Gérard Bertrand qui par leurs achats négoce (entre 10 000 et 15 000 hl chacun, NDLR) influent sur ces réseaux de diffusion, il n’y a pas d’effet locomotive en GD pour les vins du Roussillon. Il faudrait donc, pour Emmanuel Cazes, « d’autres Chapoutier, d’autres Gérard Bertrand pour initier une réelle dynamique. Car même si le cours de nos AOP Côtes du Roussillon et Côtes du Roussillon Villages a évolué à la hausse, on est encore loin d’une situation économique pérenne pour nos vignerons. »