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Joseph Perrier fête ses 200 ans à Cumières

© Michaël Boudot Jean-Claude Fourmon et son fils Benjamin Fourmon célèbrent les 200 ans de la Maison Joseph Perrier

© Michaël Boudot Jean-Claude Fourmon et son fils Benjamin Fourmon célèbrent les 200 ans de la Maison Joseph Perrier

Auteur

Yves
Tesson

Date

20.06.2025

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Ça n'arrive qu'une fois par siècle alors, pour fêter ses deux cents ans, la Maison Joseph Perrier avait convié à Cumières dans l'une de ses propriétés familiales, le ban, l'arrière-ban et même l'"arrière-arrière ban". C'est qu'il faut remonter loin pour convoquer les souvenirs des deux cents dernières années écoulées ! Retour sur une saga familiale à travers le XXème siècle qui se déroule, une fois n'est pas coutume en Champagne, à Châlons, et dont le dernier rebond s'écrit aujourd'hui. 

La Maison Joseph Perrier a le sens du symbole. Il y a d’abord le menu proposé pour célébrer ce bicentenaire d’une histoire familiale pas comme les autres : tout simplement le même que celui servi à l’occasion du centenaire en 1925, réinterprété par le très contemporain Philippe Mille (chef de l'Arbane)! Pour mieux montrer la profondeur historique de la Maison, on n’a pas hésité à sortir de très vieux millésimes, dont un Réserve Héritage 1975. Cela laisse songeur sur l'incroyable oenothèque que possède la maison, car il fallait en avoir suffisamment pour régaler les quelques 300 invités.

© Michaël Boudot

Le lieu n’a lui aussi pas été choisi au hasard : une demeure familiale située à Cumières dans la vallée de la Marne. « Edifiée en 1810 par Monsieur Dessaint, député à la Constituante, cette maison acquise par la famille Pithois surplombe la Marne et son parc de deux hectares. Entouré de 224 tilleuls, ce jardin à la mesure de l’Assemblée nationale servait autrefois de théâtre aux discours déclamés depuis le perron. Depuis 1861, cette demeure familiale, transmise de génération en génération, incarne l’âme viticole de la maison Joseph Perrier ». Le pressoir historique est toujours là et fonctionnel de même que les 300 mètres de caves et le matériel viticole qui servent à l’entretien des vignes de Cumières, Hautvillers et Damery. Les clins d’œil à l’identité chalonnaise de la Maison n’en étaient pas moins très présents lors des festivités. A commencer par le spectacle des acrobates de l'école du cirque de Châlons qui a clôturé le repas.

© Michaël Boudot

Enfin, la Maison, aussi vénérable et ancienne qu’elle soit, a voulu résolument s’ancrer dans l’avenir en proposant plutôt que le traditionnel feu d’artifice, des illuminations formées par une escadrille de drones qui ont dessiné dans le ciel l’histoire de la Maison.

© Michaël Boudot

Retour sur l’histoire de la Maison

Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’épopée du champagne Joseph Perrier, en voici les grandes étapes. Le rôle de Châlons dans l’histoire de la Champagne est trop souvent oublié. Et pourtant, quel héritage ! C’est à Châlons que furent expérimentés les premiers muselets métalliques, et c’est également un pharmacien de Châlons, Jean-Baptiste François, en 1837, qui, le premier, a mis au point une méthode pour évaluer la quantité de sucre nécessaire au tirage et parvenir à une seconde fermentation optimale. Une innovation majeure qui a mis un terme au fléau de la casse. Alors que l’élaboration du champagne était jusque-là une spéculation risquée dans laquelle on n’engageait jamais tout son capital, de nombreux négociants décident alors de s’y consacrer complètement, ouvrant la voie à une première industrialisation de la production. Porté par cette belle dynamique, Joseph Perrier creuse ainsi dans les années 1830 des galeries géométriques à flanc de coteau, sur un seul niveau, avec un accès de plain-pied donnant sur la route de Paris et la voie ferrée. Elles sont éclairées de manière astucieuse grâce à des réflecteurs en fer blanc placés au fond des puits d’aération. Cette organisation fait l’admiration de ses contemporains et notamment du journal « L’Illustration », qui décrit, dans son édition du 23 août 1862, une maison où règnent « les meilleures conditions d’ordre, de surveillance et d’économie ».

© Michaël Boudot

L'entrée en scène de la famille Pithois

En 1888, la maison est vendue à Paul Pithois, cousin de Joseph Perrier. Chantal Latapie, son arrière-petite-fille, raconte : « Son père, négociant en vins rouges, avait fait fortune en fournissant l’intendance de l’armée à Châlons. Il possédait aussi des vignes à Cumières, dont j’ai hérité et qui sont toujours exploitées par la maison. » Paul Pithois fera briller la marque sur le marché anglais, devenant en 1889 fournisseur de la reine Victoria. La maison échappe aux affres de la Première Guerre mondiale, ce qui n’empêche pas Paul de se montrer solidaire de ses confrères rémois en hébergeant chez lui, à l’abri des bombes, les vins de la maison Krug.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, sa belle-fille Lucie se retrouve seule aux commandes. « Son mari, Roger, était décédé en 1938, son beau-frère Pierre était prisonnier de guerre, son fils aîné était mort au combat en 1940, son second fils, Georges, était parti au STO, et son dernier, mon père, avait rejoint le maquis. Sans elle, les Allemands auraient fait main basse sur le stock. » À son retour, Georges reprend les rênes. « Passé au préalable par tous les métiers des caves, c’était un patron social. Dans beaucoup de maisons, il existait une jalousie entre les ouvriers vignerons et les ouvriers cavistes, les cavistes étant un peu les seigneurs, alors qu’on a besoin de bon raisin pour faire du bon champagne. Chez Joseph Perrier, Georges veillait à les considérer de la même façon et, lorsqu’il organisait des baptêmes de l’air à l’occasion de la remise d’une médaille du travail, les deux catégories étaient invitées ensemble. »

Georges n’a pas d’enfants mais un neveu, Jean-Claude Fourmon, le fils de Claude Fourmon, ancien directeur général de Moët & Chandon. « Je suis né au 9 bis, avenue de Champagne, chez Moët & Chandon. Sans avoir rien demandé, j’ai été baptisé avec un doigt de Moët et un doigt de Joseph Perrier. Après Polytechnique Lausanne, je suis parti faire ma coopération en Amérique latine. Je m’y serais volontiers installé, mais la famille a dépêché ma sœur et mon meilleur ami en Colombie pour me dire que le devoir m’attendait en Champagne. Après un stage chez Chandon en Californie, je suis donc rentré. C’était en 1978, l’une des plus petites vendanges de la Champagne, les prix flambaient ! »

© Michaël Boudot

Parmi les pionniers du Vitryat

Dans cette guerre du raisin, la maison a un atout. Alors que la famille venait de planter une dizaine d’hectares supplémentaires dans la vallée de la Marne, autour de Verneuil, à l’emplacement d’anciens vergers, le Vitryat est reclassé en zone viticole en 1968. D’un seul coup, Châlons se retrouve à nouveau au cœur de la Champagne. « Des agriculteurs qui possédaient des terres éligibles cherchaient des négociants pour bénéficier de leurs droits de plantation. Ils ont pris leur voiture pour se rendre à Reims, mais, sur la route qui passe par Châlons, ils ont vu de la lumière chez Joseph Perrier et sont entrés ! » se rappelle Jean-Claude Fourmon. À l’époque, la maison fait figure de pionnière. Personne ne croit à la qualité du Vitryat, malgré les sols crayeux. Joseph Perrier fera même partie des membres fondateurs de la coopérative Renaissance.

Aujourd’hui les chardonnays du Vitryat représentent environ 15 % de ses approvisionnements. Ils contribuent à donner ce style aérien qui est la marque de fabrique de Joseph Perrier. « L’histoire nous a donné raison. Toutes les maisons ont suivi. C’est la région où le prix du raisin a le plus augmenté au cours des cinq dernières années. »

Jean-Claude se révèle un commercial hors pair, doué de cet art de se trouver toujours au bon endroit au bon moment, comme à ce tournoi local de polo non loin de Peterborough, à l’occasion duquel il rencontre le prince Charles, en 1981. Il en profite pour lui remettre un magnum de Joseph Perrier millésimé 1975 pour son mariage. « C’était improbable, extraordinaire, cet homme avait une élégance...» Côté vins, on lui doit la première cuvée parcellaire de la maison, La Côte à bras, une façon de prouver aux vignerons qu’ils n’ont pas le monopole du genre. « Elle est cultivée comme un petit jardin, avec ses rosiers, sa vue sur la Marne... » souligne Patrick Martin, le chef de culture, entré en 1983 comme simple ouvrier !

© Michaël Boudot

Le rapprochement avec la famille Thiénot, des cousins

Les années 1990 sont difficiles, la maison effectue alors un rapprochement avec la famille Thiénot, des cousins. La marque ne sera cependant jamais abîmée, résistant aux sirènes de la grande distribution. Elle devient au contraire de plus en plus sélective et trouve son public chez les chefs, heureux de pouvoir faire découvrir à leurs clients une maison à la fois historique et en même temps relativement confidentielle.

Une démarche qui s’accompagne de tout un travail pour affiner les vins. Depuis quatre générations, de père en fils, la même famille de chefs de caves se succédait. « Pour conserver le style, on ne peut rêver mieux ; pour innover, en revanche... » confie Jean-Claude, qui décide de rompre avec la tradition en recrutant une jeune œnologue, Nathalie Laplaige. « J’ai d’abord travaillé sur les dosages, toujours à l’aveugle, avec l’objectif d’obtenir des vins plus frais, plus élégants encore. Il existait aussi deux rosés dont les styles étaient trop proches, tous deux vineux et puissants. J’ai cherché à donner à la version non vintage une touche plus printanière et féminine. »

Un scooter et des bouteilles, Benjamin à la conquête de Paris

Dans le même temps, Jean-Claude prépare l’avenir en faisant entrer son fils Benjamin. « Je travaillais à Paris dans la finance. C’est ma grand-mère qui m’a encouragé à me former, à tout hasard. J’ai suivi les cours d’Avize à distance et je me suis dit : “Pourquoi pas ?” Je suis allé voir la famille, et nous avons défini des objectifs successifs. Avec un scooter et des bouteilles, j’ai commencé par m’occuper de la structure commerciale parisienne, un portefeuille alors composé de 95 % de petits clients, qui ne représentait que 30 000 euros. En deux ans, j’ai atteint 320 000 euros de chiffre d’affaires annuel. Tout cela sans jamais dire que j’étais membre de la famille. On m’a ensuite confié l’export, avant de récupérer toutes les fonctions support en 2017. »

C’est à ce moment-là que le père et le fils s’attellent au projet de rénovation de la maison en vue du bicentenaire. « Libéré de l’opérationnel du quotidien, mon père avait enfin le temps de se consacrer à la stratégie. » L’objectif ? Remettre en avant la spécificité châlonnaise de Joseph Perrier. « C’était presque devenu un gros mot de dire que nous étions à Châlons. La question s’était même posée de savoir si on y restait. Lorsque l’on souhaite rayonner, on s’installe avenue de Champagne ! Mais, en réalité, être châlonnais représente un atout. Je préfère être le roi chez moi qu’un petit prince ailleurs. » Il faudra d’abord reconquérir le cœur des Châlonnais, ces derniers devant être les premiers ambassadeurs de la marque. « Dans 80 % des restaurants de la ville, nous avions disparu. Aujourd’hui, nous sommes partout. »

Étape numéro deux, capitaliser sur l’originalité de cette implantation et de ce patrimoine historique en réaménageant le siège et les caves pour mieux accueillir le public. « Châlons était une ville sinistrée qui venait de perdre à la fois la préfecture de Région et l’armée. Il existait un plan de redynamisation et des fonds publics, ce qui nous a permis d’augmenter considérablement notre budget. Nous avons pu donner une nouvelle jeunesse à cet ancien relais de poste où la maison est installée, créer un jardin, rajeunir le parcours cave, construire une salle de dégustation dans l’ancienne cuverie en béton, imaginer un musée." Inauguré en 2019, au moment où Benjamin a repris la présidence, le nouveau circuit est devenu l’une des adresses préférées des œnotouristes !


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