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11 novembre : le Pinard de la Victoire

(crédits photos : DR et collection de l'Union des Maisons de champagne)

Auteur

Yves
Tesson

Date

11.11.2020

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La France célèbre l’armistice du 11 novembre 1918, et salue la mémoire de ses valeureux poilus, mais elle doit aussi rendre hommage au « Père Pinard » sans qui, peut-être, la victoire n’aurait pas été acquise.

Les Français auraient-ils gagné la guerre sans le pinard des poilus ? Le maréchal Pétain ne s’y trompait pas et confiait : « Pour se procurer du pinard, le poilu bravait les périls, défiait les obus, narguait les gendarmes. Le ravitaillement en vin prenait une importance presque égale à celle du ravitaillement en munitions. Le vin a été pour le combattant le stimulant bienfaisant des forces morales comme des forces physiques. Ainsi a-t-il largement concouru, à sa manière, à la victoire. » Selon l’historien Gilbert Garrier, au lendemain de la victoire, en 1919, des députés voulurent même citer le vin à l’ordre de la nation !

Jusqu’à un demi-litre par jour et par soldat

De fait, pendant quatre ans, l’intendance de l’armée va déployer des moyens logistiques extraordinaires, appuyés par 4000 wagons foudres, pour acheminer vers le front des dizaines de millions d’hectolitres de vin. Les soldats auront parfois faim dans les tranchées, ils ne manqueront jamais de pinard. Si la guerre vient éponger la surproduction du vignoble languedocien, les vignerons ne se comportent pas pour autant en profiteurs de guerre : en 1914, le Midi viticole fait cadeau de 200.000 hectolitres, en signe de solidarité nationale. Très vite, le vignoble français n’y suffit plus et il faut acheter des vins en Espagne, en Grèce et même au Chili et en Argentine. Les rations accordées sont vertigineuses, officiellement un quart de litre par jour, puis un demi-litre en 1915, sans compter le vin que les soldats achètent à tous ces petits commerçants, plus ou moins escrocs, qui suivent comme des charognards les colonnes militaires jusque dans les zones de contact. Il y a enfin les rations spéciales, pour lesquelles les généraux gardent des réserves supplémentaires, lorsqu’il faut mener des opérations dangereuses et mettre la baïonnette au canon : l’alcool et son effet désinhibant est alors le bienvenu.

Bien-sûr, ce n’est pas un vin délicat. On ne lui demande qu’une chose : atteindre les neuf degrés, et c’est souvent un assemblage maladroit de différentes régions, trafiqué à grand renfort de mouillage par les négociants qui le livrent, comme le montre la chanson de Max Leclerc en 1915 : « Salut, Pinard de l’Intendance,/ Qu’a goût de trop peu ou goût de rien/Sauf les jours où t’aurais tendance / à puer le phénol ou bien le purin/ » Quelques-uns, goguenards, s’amusaient : le Christ avait changé l’eau en vin aux noces de Cana, la guerre avait réussi à transformer le vin en eau. Max Leclerc oublie de mentionner un autre additif, le fameux « bromure », qu’on mettait parfois dans les rations des soldats pour calmer leurs ardeurs sexuelles…

Du champagne pour les jours exceptionnels

Malgré cette qualité déplorable, pour les soldats, le vin quotidien est une grande préoccupation et celui qui sera chargé de corvée de pinard doit savoir resquiller auprès de l’intendance, par exemple en tirant à blanc au préalable dans le bidon, pour en élargir la contenance… Quand un assaut a été particulièrement meurtrier, on se console : pour quelques jours, en attendant la relève, cela fera plus de vin par soldat. Et puis il y a ces occasions rares, le 1er janvier et le 14 juillet, où l’armée octroie à ses soldats une bouteille de vin fin, souvent du champagne. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils peuvent en déguster et ce sera le souvenir de toute une vie. Ils ne manquent d’ailleurs jamais d’évoquer cette expérience incroyable dans leurs lettres envoyées à leurs fiancées restées à l’arrière.

On peut être surpris par cette alcoolisation générale de la nation encouragée par le gouvernement. Mais à l’époque, on considérait le vin comme un aliment, une « boisson hygiénique » pour reprendre Pasteur. Selon les responsables politiques, le vin français, issu de la fermentation de raisin frais, était même le meilleur allié de la tempérance, le véritable responsable de l’alcoolisme étant l’alcool distillé, industriel, justement celui que prenaient « les boches » (le schnaps…), rappelle l’historien Christophe Lucand, auteur d’une très belle exposition au Château du Clos de Vougeot en 2018 sur « Le Pinard des poilus ».

Pour écouter la conférence de Christophe Lucand à la Cité du vin : https://www.laciteduvin.com/fr/le-vin-des-poilus-0