Vendredi 11 Octobre 2024
Ci-dessus : Cyril Basteau et Claire Moueix, Château Taillefer (Pomerol).
Auteur
Date
03.06.2024
Partager
Avec le millésime 2023, cette propriété discrète de Pomerol a célébré le centième anniversaire de son entrée dans le giron de la famille Moueix. Un anniversaire symbolique qui se double de nouvelles initiatives pour faire mieux connaître les vins de la maison, dotés d'une appréciable finesse.
Pour tous les connaisseurs de la rive droite de Bordeaux, le nom de Moueix résonne comme une évidence. Petrus, Trotanoy, La Fleur-Petrus, Bélair-Monange, Hosanna sont quelques-unes des propriétés les plus emblématiques de cette famille dont les différentes branches s'illustrent depuis plusieurs générations, aussi bien en tant que vignerons qu'en tant que négociants. L'histoire démarre il y a un siècle, en Corrèze. Comme un certain nombre de ses compatriotes, Antoine Moueix se prend de passion pour la commercialisation des vins du Libournais, qui ont le mérite d'être plus accessibles géographiquement que ceux du Médoc depuis sa terre natale. Il crée, en 1905, la maison Antoine Moueix & Fils, et fait l'acquisition en 1923 du château Taillefer, à Pomerol.
100 ans d'ancrage à Pomerol
Taillefer est, de fait, la première acquisition historique des Moueix dans le Bordelais (presque 10 ans avant Fonroque, à Saint-Émilion). À cette époque, le domaine jouit déjà d'une jolie renommée, remontant au moins au milieu du XVIIIe siècle. La famille Moueix s'enracine progressivement sur la rive droite : Jean-Pierre Moueix, neveu d'Antoine, va donner naissance aux établissements de négoce du même nom, acheter les prestigieuses propriétés précédemment citées, puis tendre le flambeau à ses fils, Jean-François et Christian. Du côté de la branche d'Antoine, Taillefer demeure la maison mère. Son fils Jean-Marie, ses petits-fils Marcel et Armand, son arrière-petit-fils Bernard poursuivent l'aventure. Le décès de ce dernier, en 1994, conduit son épouse Catherine à prendre seule les rênes de la propriété, qu'elle transmet à son tour à sa fille Claire, en 2013.
Claire Moueix incarne la cinquième génération à la tête de Château Taillefer. Elle qui travaillait initialement dans l'informatique à Paris, a fait son "retour à la terre" en reprenant une formation technique. C'est au cours d'un stage à Cheval Blanc qu'elle a fait la connaissance de son mari, Cyril Basteau, ingénieur agronome et œnologue, avec lequel elle dirige désormais la propriété familiale. Dix ans après leur arrivée aux manettes, Claire et Cyril célèbrent donc le symbolique centenaire tout en gardant les yeux grand ouvert vers l'avenir. Pour bien s'approprier les lieux, ils ont dès leur arrivée réalisé une carte des terroirs : très unitaire, le vignoble de Taillefer s'étend sur 12 hectares à la frontière sud de l'appellation Pomerol, sur des sols majoritairement sablo-limoneux et des sous-sols d'argiles bleues, riches en oxyde de fer - une caractéristique qui a donné il y a longtemps son nom à ce lieu-dit où "la charrue taille le fer". Cette matrice géologique donne naturellement de vins plutôt sur la finesse, qui ne sont pas les plus démonstratifs ni les plus puissants de l'appellation, mais s'avèrent dotés d'une jolie élégance et d'un beau potentiel de garde — voir la mini-verticale ci-dessous. L'encépagement est majoritairement composé de merlot (85 %), complété de cabernet franc. Une restructuration partielle du vignoble a été opérée ces dernières années, accompagnée d'une augmentation de la densité de plantation.
Un pomerol à prix accessible, et qui veut ouvrir ses portes
Parmi les projets d'avenir, Claire et Cyril misent fortement sur le développement de l'accueil à la propriété. L'œnotourisme est encore une activité balbutiante à Pomerol, malgré la force d'attraction de l'appellation et du village voisin de Saint-Émilion. Et la situation géographique du domaine, tout près de la départementale, constitue un indéniable atout. Depuis 2022, Château Taillefer propose donc une offre complète de visites et dégustations qui devrait continuer à s'étoffer cette saison, avec visites en trois langues et une importance toute particulière donnée aux accords mets et vins. La possibilité de déguster de vieux millésimes (l'œnothèque du château remonte à 1923, une vraie cave aux trésors) est un plus. L'ancien chai souterrain, situé sous la maison, a été réaménagé en lieu d'accueil des visiteurs. L'expérience est complétée par la dégustation des vins de l'autre propriété de Claire Moueix et Cyril Basteau, Château Tauzinat en Saint-Émilion Grand Cru. Ce sens de l'accueil doit contribuer à développer le faire-savoir autour du savoir-faire, et à mieux faire connaître les vins de la maison, qui méritent toute l'attention des amateurs — d'autant qu'ils restent à des prix très accessibles pour l'appellation, environ 30 à 35 euros en moyenne. Le millésime 2023, celui du centenaire, bénéficie d'un nouvel habillage spécial. Il est sorti tout récemment en primeurs au prix de 27,60 € et a reçu la note de 91-92/100 de la part de la rédaction.
La dégustation
Château Taillefer 1995 : robe légèrement tuilée, assez transparente, bel éclat. Le nez présente de fines notes fumées, âtre et confiture de vieux garçon. La bouche est signée par une chair ferme, un volume tubulaire, une sucrosité encore présente, soutenue par des tanins de caractère qui ont eu le temps de se fondre et une agréable acidité. Notes d'humus et de cuir annonçant les premières évolutions tertiaires. Persistance savoureuse en finale. 90/100
Château Taillefer 1998 : une robe profonde et brillante qui se pare de reflets cuivrés. Cuir, léger truffé, prune à l'eau-de-vie, crème de cerise, rose fanée, le nez a de la séduction et se montre encore vigoureux. En bouche, bonne jutosité, une construction sur la droiture, un certain velouté tenu par des tanins bien sculptés. Réglisse, griotte et fins amers grillés en finale. 92/100
Château Taillefer 2005 : nez précis, avenant, sur le fruit rouge compoté, soutenu par un boisé discret. On discerne aussi une certaine délicatesse florale, des notes de pivoine. Bouche bien centrée et savoureuse, une jolie trame acide étire le vin, les tanins ont du mordant, de la nervosité. La texture a un peu de grip, on retrouve un certain toasté, mais l'ensemble est digeste, ponctué par une finale sur l'orange amère. 91/100
Château Taillefer 2015 : la robe arbore une belle couleur d'un grenat dense et brillant. Il s'agit du troisième millésime de Claire Moueix et Cyril Basteau à la propriété. Un millésime solaire, généreux, ce qui se retrouve dans le caractère capiteux et épicé du vin : passé une légère réduction, on lui trouve des notes de tabac brun et de café torréfié. Le jus est franc, bâti sur un coulis onctueux, entre gelée de cerise et confiture de framboise, des tanins très finement griffus qui donnent du répondant à la sucrosité de la matière. Finale vibrante et poivrée, légèrement alcooleuse. 91/100
Château Taillefer 2018 : la robe d'un rubis intense annonce la couleur, qui se confirme avec le nez pulpeux, concentré, ample et caressant. Touche de camphre, ardoise chaude, mine de crayon sur le fruit noir. La bouche est concentrée, ramassée, sur un volume de fruit dense et mûr, escorté de tanins légèrement hérissés qui donnent de la "gnaque" à l'ensemble. 91/100
Château Taillefer 2019 : robe très élégante, d'un rubis tendre, délicat. Nez précis, pur et net, une ouate de cerise se profile, rehaussée d'une touche florale. On devine encore une légère touche vanillée nous indiquant que l'élevage doit se fondre. Le jus est droit, digeste, élancé, savoureux. Belle suavité des tanins, une arête acide bien fuselée vient tendre l'ensemble. Une réussite ! 92/100
Château Taillefer 2020 : robe profonde, entre rubis et grenat, une intensité certaine s'annonce. Elle se retrouve au nez, riche, énergique, déclinant un fruit noir pommadé, un boisé gourmand et une indéniable puissance. La bouche est d'une structure vigoureuse, portée par une matière juteuse, des tanins encore prégnants et un très bon équilibre d'ensemble. Un vin à fort potentiel qu'il faut savoir attendre... 92/100
Articles liés