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Classement : « Prise illégale d’intérêts » à Saint-Emilion ?

Auteur

La
rédaction

Date

22.04.2013

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Sensation dans la citadelle de Saint-Emilion. Après avoir saisi le tribunal administratif, trois viticulteurs évincés du dernier classement déposent plainte contre X pour prise illégale d’intérêts.

Comment empêcher qu’un intérêt personnel puisse venir influencer, ou soit susceptible de le faire, les décisions prises par une personne dans le cadre de ses fonctions ? Le débat sur les conflits d’intérêts qui fait rage depuis plusieurs mois rebondit contre toute attente aujourd’hui à Saint-Émilion, l’un des terroirs d’exception de la viticulture girondine. La semaine passée, les propriétaires des Châteaux Croque-Michotte, Corbin Michotte et La Tour du Pin Figeac ont déposé plainte contre X pour prise illégale d’intérêts auprès du procureur de Bordeaux. Une décision mûrement réfléchie, prise après la publication au mois d’octobre dernier du nouveau classement des grands crus classés de Saint-Émilion, classement dont ils ont été évincés. Sur 96 candidats en lice, 82 avaient été admis.

Deux personnes visées

Dans leurs écritures, les plaignants mettent en cause deux des personnalités les plus en vue de l’appellation : Hubert de Boüard et Philippe Castéja. « Tous deux sont membres du comité national de l’Inao, l’Institut national de l’origine et de la qualité, souligne Me François de Contencin, l’avocat des trois viticulteurs. À ce titre, ils ont eu à la fois un pouvoir d’administration, de surveillance, d’approbation des opérations de classement. À notre connaissance, ils ne se sont jamais abstenus de participer aux délibérations essentielles. »

Ancien président du Conseil des vins de Saint-Émilion, président du groupement des premiers grands crus classés, Hubert de Boüard est l’un des gagnants du classement 2012. Château Angélus, dont il est copropriétaire, a rejoint les premiers grands crus classés A, le nec plus ultra des saint-émilion. Et les sept domaines qu’il conseille ont été promus ou maintenus. Idem pour le Château Trotte Vieille, propriété de Philippe Castéja, qui reste premier grand cru classé après avoir fusionné avec le Château Bergat, seulement grand cru classé.

Les deux hommes ne sont pas, loin s’en faut, les seuls à tirer profit du nouveau palmarès. Ce dernier entérine une augmentation sensible des surfaces classées de l’appellation. De 1996 à 2012, elles ont bondi de 800 à 1 300 hectares, le nombre de châteaux distingués passant de 68 à 82. De quoi ramener, pensait-on, le consensus dans les chais. Il y a quelques mois, au moment de dévoiler le tout nouveau classement, Jean-Louis Buër, le directeur de l’Inao, ne cachait pas son optimisme. « Notre souci était d’être objectif, de ne pas prêter le flanc aux attaques juridiques. » Il se trompait.

Révisé toutes les décennies, le palmarès des vins de Saint-Émilion fait l’objet de contestations depuis plusieurs années. En 2009, la cour administrative d’appel de Bordeaux, saisie par cinq propriétaires de crus déclassés, avait annulé le classement promulgué en 2006. Motif invoqué : la procédure de dégustation favorisait les crus déjà classés et portait atteinte à l’indispensable égalité de traitement entre les candidats. Un sacré fiasco. Mais, au regard des retombées économiques générées par ce classement, il n’était pas pensable de tout laisser tomber.

Nouveau règlement

Revisité, le règlement impulsé par Hubert de Boüard et Jean-François Quenin, l’actuel président du Conseil des vins de Saint-Émilion, comportait deux nouveautés de taille. La création d’une commission de classement composée de sept personnalités extérieures à la région bordelaise et la désignation, à l’issue d’un appel d’offres, d’organismes certificateurs chargés d’examiner les propriétés et de goûter les vins. La grille de notation comprenait quatre critères : dégustation, notoriété, terroir et visite des crus.

Plusieurs enquêtes réalisées dans la presse du vin ont révélé les sourdes luttes d’influence ayant présidé à la rédaction de ce règlement. Les premiers grands crus classés, les plus connus, avaient obtenu un traitement de faveur, la dégustation ne comptant que pour 30 % dans la note finale au lieu de 50 % pour les grands crus classés.

Établissement public placé sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, l’Inao a joué un rôle déterminant dans la procédure. Les membres de la commission de classement appartiennent ou ont appartenu au comité national de l’Inao, où siègent Hubert de Boüard et Philippe Castéja. Cette proximité participe-t-elle d’une prise illégale d’intérêts ? C’est désormais à la justice pénale de dire si Pierre Carle, le propriétaire de Croque-Michotte, a raison quand il soutient que « les dés étaient pipés ».

Dominique Richard