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Laure Canu, le nouveau visage de Cantemerle et Grand Corbin

Auteur

Michel
Sarrazin

Date

30.06.2021

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Laure Canu prend la direction des châteaux Cantemerle et Grand Corbin, deux crus classés dirigés depuis 28 ans par Philippe Dambrine qui prendra sa retraite le 1er juillet. Entretien avec une jeune femme au parcours brillant, qui a désormais un pied sur chaque rive du vignoble bordelais.

Vous étiez une avocate internationale spécialiste des fusions acquisitions dans un cabinet américain à Paris. Qu’est ce qui vous a poussée à changer de voie et pourquoi avoir choisi le monde du vin ?

J’avais une vie trépidante, j’étais assez assez jeune, sans enfant et sans maison. Je suis partie à New York chez une amie qui faisait le même métier que moi. On a fait les musées et on a rencontré beaucoup de monde dont des sommeliers dans des restaurants ou des bars à vins, ou des cavistes. On s’est posées toutes les deux et on a réfléchi à nos vies. Il fallait qu’on fasse des choses qui aient du sens. On a toutes les deux démissionné et nous nous sommes attachées à un projet qui nous tenait à cœur. J’ai postulé pour des écoles de commerces et j’ai été retenue à Kedge Bordeaux pour faire un master Management des Vins et Spiritueux. J’ai pu faire un emprunt aussi pour payer les études et mon loyer. Mon amie a continué toujours dans le métier d’avocat mais dans le droit international en aidant les entreprises à intégrer les questions sociétales.

Qu’est-ce qui vous prédisposait à aimer le monde du vin ?
Le prérequis lorsqu’on veut entrer dans le milieu du vin, c’est d’aimer le vin. Je suis rouennaise, pas vraiment le pays du vin, mais je voyais mes grands-parents ouvrir des bouteilles, lorsque j’étais enfant. Le vin favorise un lien. Plus tard, lorsque j’étais avocate à Paris, j’étais dans un milieu ou il y avait des repas et le vin m’apportait du plaisir. J’étais curieuse et je souhaitais prendre des cours de dégustation sans jamais pouvoir m’y mettre. C’est en arrivant à Kedge que j’ai pu développer mes connaissances. Le premier vin qui m’a marqué, c’est Beychevelle où j’ai fait mon stage, car j’ai compris toute la construction de la vigne à la bouteille. S’il y a un autre moment particulier dans mes rapports avec le vin, c’est celui où, récemment, Philippe Dambrine m’a ouvert un Cantemerle 1955. Ce fut un grand moment d’émotion.

Philippe Dambrine est votre prédécesseur et il prend sa retraite le 1er juillet. Un mot sur lui ?
SMA, la mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux public qui est propriétaire des deux châteaux, a souhaité me recruter avant le départ de Philippe Dambrine. Il a passé 28 ans et il était important qu’il me passe les clés avant qu’il ne parte. C’est quelqu’un qui pose et distille ses idées, choisit ses mots. Il a une forte connaissance des marchés et de la distribution. Sur la partie technique aussi. Quant à l’aspect humain, la gestion de l’équipe doit passer par la compréhension de l’équipe : le porteur de cette philosophie, c’est Philippe Dambrine. La SMA sera là pour le départ de Philippe et elle est très attachée depuis 40 ans à la propriété.

Vous venez de l’évoquer, les châteaux Cantemerle et Grand Corbin sont la propriété de la SMA, respectivement depuis 1981 et 1986. C’est sans doute une sécurité, mais ne vous demande-t-elle pas de rendre les châteaux autonomes et de financer eux-mêmes les équipements ou les constructions ?
La SMA a la volonté de poursuivre ses investissements. Il y a des choses qui doivent continuer à être amélioré. Pour ce propriétaire, mon arrivée est une opportunité de repenser certaines choses. C’est une gestion en bon père de famille et il y a une volonté d’aller de l’avant.

Justement, avez-vous une feuille de route de la part de la SMA ? Vous a-t-on demandé de faire des propositions ?
Je suis dans la phase de diagnostic et la SMA attend de moi que je propose une feuille de route. Ce sera à moi de la défendre. Philippe Dambrine participe à l’élaboration de cette feuille de route. Concernant le positionnement des vins sur le marché, nous n’avons pas de pression sur les prix, des prix qui seraient déconnectés de la réalité. C’est la philosophie de la SMA.

Vous êtes en culture raisonnée sur les 2 châteaux, avec une certification HVE 3. Avez vous le désir d’aller vers d’autres certifications ?
Il y a une réflexion là-dessus. A l’heure actuelle, je ne pense pas qu’on aille sur une certification bio. Par contre la RSE (la Responsabilité Sociétale des Entreprises) est un sujet important. Sur la question de la qualité, on a un stagiaire que l’on va embaucher à l’issu de son stage.

Un projet d’élargir la gamme des vins ? Rosé, blanc ? Notamment sur Cantemerle…
Tout est ouvert. Nous avons encore de la surface plantable. Mais il faut que, s’il y a un projet, cela soit du construit et que cela ait du sens. Et il faut que cela soit qualitatif.

A Cantemerle notamment, le château et le parc sont remarquables et émerveillent. Y-a-t-il un projet d’oenotourisme ?
La question reste posée. On a cinq chambres qu’on pourrait éventuellement professionnaliser. Ce serait du sur mesure et il faudrait que cela soit fait de manière professionnelle. ll faut trouver la bonne échelle. Cet oenotourisme serait une manière de recruter de nouveaux ambassadeurs de Cantemerle. Les atouts sont là, mais il faut veiller à rester dans l’âme de Cantemerle.

L’encépagement a fortement évolué à Cantemerle et est actuellement stabilisé à 68% cabernet sauvignon, 22% de merlot principalement. Allez-vous réinterroger le terroir pour savoir s’il y a une bonne adéquation terroir/encépagement ?
Il y a eu un fort travail d’adéquation entre le végétal et le terroir. L’étude de sol qui a été faite nous permet d’être serein. Nous avons un terroir de graves fines, très drainant, sur lequel on a la bonne proportion de cabernet sauvignon : et on est dans le Médoc ne l’oublions pas.

Voyez-vous une inflexion à donner sur la définition du vin de Cantemerle ?
Nos vins ont de l’élégance, de la distinction mais aussi de la complexité. Ils offrent une grande buvalité dans leur jeune âge mais aussi un potentiel de garde : une double aptitude. On peut ajouter que les vins ont de la fraîcheur, sont très aromatiques, et ont de la précision. C’est la signature des vins de Cantemerle. Il est important de la conserver pour que le consommateur puisse aborder ce vin assez jeune.