Accueil Le Petit Verdot fait son retour en force dans le Médoc

Le Petit Verdot fait son retour en force dans le Médoc

Auteur

Michel
Sarrazin

Date

13.06.2020

Partager

Dans le Médoc, si le Cabernet Sauvignon joue les stars et le Merlot s’est imposé comme un second rôle de luxe, d’autres cépages reviennent en grâce et grappillent des pourcentages dans les encépagements et les assemblages. C’est le cas du Petit Verdot.

Le Petit Verdot tire son nom du fait qu’il restait longtemps vert (« petit vert ») et tardait à mûrir. D’origine béarnaise quant à sa souche, il a été identifié plutôt comme un cépage typiquement médocain au cours de son histoire. Longtemps mal aimé et dénigré à cause de sa maturité tardive et sa fragilité, presque abandonné, le Petit Verdot revient en grâce et tend à se développer un peu partout dans le monde. Il entre de plus en plus en plus dans les assemblages médocains depuis une dizaine d’années. Bien travaillé, il amène une richesse en arômes qui lui sont propres.

Un cépage intéressant mais considéré jadis comme capricieux

Conscient de ses atouts, les anciens le plantaient bien, mais certains disaient qu’il n’était mûr qu’une à deux fois par décennie. Pourtant, dans le calendrier des vendanges, le Petit Verdot s’intercale entre deux cépages rois qui ont toujours existé en Médoc : le merlot (le plus précoce) et le cabernet sauvignon (le plus tardif) dont il est le plus proche dans le calendrier. Sa maturité tardive et soudaine est une des causes du désamour dont il est victime : il demande une surveillance quotidienne pour saisir le moment de sa récolte. Jean Michel Baudrit, Directeur Technique aux Grands Chais de France (château du Cartillon) dit : « on le vinifiait comme du cabernet sauvignon et, par conséquent, on n’en retirait pas le meilleur ».

Franck Bijon du groupe les Vignobles de Larose (Château Arnauld, Larose Trintaudon) nous dit que « la chambre d’agriculture dans les années 1960 plaçait le cabernet sauvignon en haut de la pyramide et le Petit Verdot était relégué. Il était souvent planté sur des terroirs qui ne valaient rien » ou aux abords du château car sa maturité demandait une surveillance constante. Donc pas toujours sur des terroirs adaptés.
Une autre raison du désamour est « qu’il demande une main d’œuvre plus importante pour l’effeuillage et le relevag,e avec une attention supérieure car le bois est plus cassant », nous dit Antoine Médeville du laboratoire Œnoconseil à Pauillac. Yannick Reyrel du château Belle-Vue (récent Cru Bourgeois Exceptionnel en Haut-Médoc) parle de « vigne folle », très « broussaillante », qui demande « une taille sévère ». Mais « de nouveaux clones permettent de limiter » ce phénomène, précise-t-il.
Enfin on lui reprochait un apport tannique important. Mais sans doute que « les presses étaient trop brutales » selon Ludovic David du château Marquis de terme à Margaux (4ème Grand Cru Classé).

Un cépage désormais mieux apprécié

La surveillance de sa maturité est maintenant maîtrisée. Pour Franck Bijon, « il n’y a pas de règle » ou plutôt une seule : « le Petit Verdot a une peau très fine et quand le raisin commence à se fendre, c’est qu’il est à maturité ». Les contrôles techniques confirment très souvent l’analyse.
Si l’on pouvait douter de la conduite des macérations de jadis, l’œnologue et propriétaire Hubert de Boüard, intervenant au sein des Vignobles de Larose, a tout de suite préconisé de raccourcir les mécérations : « deux semaines est un grand maximum », avec des extractions douces. On ne recherche plus un objectif d’apport tannique mais plutôt une qualité des tanins. Jean Michel Baudrit (Château du Cartillon), confirme en disant « qu’on recherche la qualité variétale du produit car la couleur vient toute seule. Il n’y a plus forcément un apport tannique excessif si bien qu’on n’a pas cette sensation de puissance sur un versus négatif » qui a longtemps pénalisé le Petit Verdot. Ludovic David confirme : « on le vinifie de manière douce, travaillé en macération, sans pigeage et sans remontage. Cela reste un cépage rustique et pour lui donner un intérêt il faut le travailler avec subtilité ».

Le Petit Verdot ne donne le meilleur de lui-même que mûr. Les vins sont riches, colorés et tanniques. Et comme le dit Franck Bijon, « son acidité élevée contribue à la garde ». Et Yannick Reyrel d’ajouter que « son PH relativement bas, lui apporte fraicheur, vivacité, et tension ». Et ce cépage participe à la charpente et apporte de la complexité dans les assemblages.
Dans ses arômes on trouvera la violette, la framboise, la cerise noire, des notes épicées. S’ajoutent le menthol et la réglisse, la prune et la sauge : banane pour un vin jeune, violette et zan pour un vin un peu plus âgé.

Des utilisations diverses néanmoins

Beaucoup de crus classés, selon leur terroir, ont du Petit Verdot dans leur encépagement, entre 3 et 5%. Marquis de Terme a augmenté le pourcentage d’encépagement pour le monter à 7% de la surface, tout en admettant que dans les assemblages la proportion ne dépasse pas 5% : pour Ludovic David « cela reste un cépage d’assemblage ».
Mais certains vont beaucoup plus loin et osent des cuvées mono-cépage. C’est le cas de la cave des vignerons associés à Listrac où Virginie Caroço vante les mérites du Petit Verdot : « nous avons souhaité rendre hommage à ce cépage. Nous sortons environ 8000 bouteilles uniquement sur les bons millésimes ». Il a cette double caractéristique « que l’on peut le boire jeune, mais qu’on peut l’attendre aussi ». Et d’ajouter avec un certain enthousiasme que « ce petit verdot s’apprécie aussi avec les desserts tels que tarte au noix et les desserts à base de chocolat ». La cave de Listrac est allée jusqu’à aider financièrement certains vignerons qui souhaitaient planter du Petit Verdot. On mentionnera également la cave de Tutiac dans le même exercice de style.

Il faut citer enfin le château Belle-Vue en Haut-Médoc qui produit une cuvée mono cépage de Petit Verdot à partir « d’une vigne historique de 80 ans ». Une « sélection massale a permis de conserver ce patrimoine » nous dit Yannick Reyrel qui se félicite de ce « vin digeste et buvable ». Le secret est de « passer une partie de la récolte en amphore pour préserver le caractère fruité » confie-t-il. Le reste est « élevé en barrique de 400 litres : de ce fait le vin est peu boisé ».

Effet de mode ? Plus maintenant

Bien qu’il soit mieux considéré, la proportion de Petit Verdot n’augmente pas en Médoc. Sans doute y-t-il eu il y a quelque temps un engouement « effet de mode » pour reprendre l’expression de Ludovic David. Le Petit Verdot, ce cépage rustique, un peu mal aimé, intrigue encore. Les vinifications s’appuient sur des qualités mieux identifiées maintenant, jamais surestimées et ce cépage se plante désormais sur des terroirs plus adaptés, se travaille mieux et avec plus de justesse. Il a trouvé sa place. Pour les grands crus classés, il restera un cépage d’assemblage et pour les autres, un merveilleux terrain pour des cuvées monocépage originales.