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Primeurs de Bordeaux, la bulle se dégonfle ?

Auteur

La
rédaction

Date

02.04.2012

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Les acheteurs internationaux de vin convergent vers Bordeaux pour l’annuelle Semaine des Primeurs qui ouvre ses portes aujourd’hui, à la découverte d’un millésime hétérogène qui pourrait être l’occasion de faire redescendre sur terre des prix stratosphériques.

Cette année, l’organisateur principal de l’événement, l’Union des Grands Crus de Bordeaux (UGCB) espère accueillir 5 000 professionnels du vin dans la capitale girondine. Alors que les aléas climatiques auraient pu conduire à un désastre en ce qui concerne la qualité du raisin, l’ambiance était enjouée juste avant les dégustations en barriques qui vont donner le coup d’envoi de la semaine des primeurs.

« Comme amoureux de vin, je me sens toujours très privilégié de pouvoir jeter un œil sur tous ces bébés », a confié le négociant londonien Simon Staples de Berry Bros & Rudd. Le consultant Denis Dubourdieu, directeur général de l’Institut des sciences de la vigne et du vin, nous a donné une appréciation positive du millésime 2011 : aléatoire pour les rouges mais quelques blancs surprenants. « Les vins blancs secs sont étonnamment bons, les vins rouges comptent de nombreuses et magnifiques réussites sur les deux rives et pour tous les cépages – compte tenu de leur hétérogénéité », dit-il.

Les premières impressions des principaux clients sont similaires. « C’est irrégulier bien sûr mais j’ai été agréablement surpris par la qualité », déclare Chris Adams, PDG du détaillant de Manhattan, Sherry Lehmann. « Mais si les prix ne baissent pas, nous ne pourrons pas acheter », prévient-il.

Le dilemme bordelais

C’est le dilemme bordelais. Ces dix dernières années, les prix se sont envolés, repoussant les clients habituels d’Amérique et d’Europe au profit de l’avide appétit des super-riches chinois. Château Latour, par exemple, a mis son millésime 2010 sur le marché de négoce à 780 € la bouteille, en hausse par rapport au 2009 à 600€… et 110 € en 2008.

Etant donné que Bordeaux a eu une année record avec des exportations d’une valeur de 1, 97 milliard d’euros, les négociants estiment qu’avec ce millésime qui est bon mais pas exceptionnel, c’est le moment de baisser les prix. « Logiquement, les prix devraient baisser et cela permettrait aux Européens et aux autres de revenir sur le marché après avoir été court-circuités par les Asiatiques et en particulier les Chinois » déclare le courtier Max de Lestapis.

« Ce n’est pas un millésime spéculatif – c’est le moment de ramener vers nous les clients qui boivent notre vin, déclare Antoine Darquey, PDG de Les Vins de Crus. Les châteaux qui ont profité des millésimes 2009 et 2010 doivent faire un effort dans l’intérêt des clients habituels. »

La Chine est maintenant le partenaire commercial numéro un de Bordeaux, et un tout nouveau fond d’investissement chinois dans le domaine du vin prévoit de dépenser 100 millions d’euros dans les cinq prochaines années. Peu de gens prévoient de l’intérêt de la part des acheteurs chinois pour les primeurs de cette année, ce qui jouera un rôle important pour fixer le prix du vin vendu dans les prochaines semaines.

Sur le fil du rasoir

Ce système unique, appelé « en primeur », permet aux acheteurs d’investir dans des étiquettes convoitées en payant 12 à 18 mois avant la livraison. L’année dernière, les Chinois ont lancé leur première incursion dans les primeurs de Bordeaux, mais ils ont perdu de l’argent dans leur investissement quand les prix se sont effondrés dans la seconde moitié de 2011.

« En Asie, le concept en primeur est sur le fil du rasoir cette année, déclare Staples. Un client m’a raconté qu’après la coûteuse, ridicule et interminable campagne de l’an dernier, il se sentait comme une oie grasse trop gavée. »

« Nos investisseurs chinois ne voient pas ce millésime comme celui avec lequel commencer à acheter en primeur, confirme Philippe Larche, PDG de Vintex et Les Vignobles Gregoire et conseiller du Dinghong Fund. La situation économique mondiale les inquiète et ils ont entendu que ce n’est pas une grande année. »

Avec des Chinois mitigés sur les primeurs, Adams croit que « c’est une belle opportunité pour revenir au fonctionnement habituel, avec des clients qui font des affaires ». Les prix sont déterminés par la demande, la qualité de l’année – et l’orgueil. « A Bordeaux, l’évaluation du prix est souvent une question d’égo, constate un courtier. Ils fixent les prix eux-mêmes en fonction de ce que fait le gars d’en face ».

Pour cette raison, beaucoup regardent les premiers crus classés – les noms légendaires comme Lafite, Margaux ou Mouton – pour donner l’exemple aux petits producteurs en baissant les prix pour éviter l’erreur de la longue et médiocre campagne des ventes de l’année dernière. « Ce doit être rapide et ce doit être une affaire. Rien d’autre ne marchera », affirme Staples.

Mais pour le moment, les châteaux restent silencieux sur leur stratégie. « C’est difficile de parler de prix et trop tôt pour mesurer l’intérêt – d’abord nous devons leur montrer les vins, déclare Paul Pontallier, directeur général de Château Margaux. Chaque année, nous essayons de faire plaisir à tous nos clients. La difficulté est d’ajuster le prix à la demande ».

Suzanne Mustacich