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L’homme tranquille

Auteur

La
rédaction

Date

22.05.2012

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À la tête depuis sept ans du Château Beauséjour, en Montagne-Saint-Emilion, Pierre Bernault signe des vins à son image : délicats, élégants, à l’épreuve du temps. Rencontre avec un vigneron libre.

Évacuons d’emblée le passage obligé qui accompagne tout reportage sur Pierre Bernault : oui, Pierre Bernault ressemble à Sean Connery. Certes sans l’accent écossais, avec un certain nombre de millésimes en moins au compteur, mais avec, indéniablement, le charme poivre et sel et l’assurance virile qui ont façonné la légende du plus célèbre des James Bond. Voilà qui est dit. Maintenant, il convient de reconnaître qu’au milieu de ses vignes et de ses chais, Pierre Bernault n’arbore pas le smoking de 007, mais la panoplie parfaite du « paysan vigneron » qu’il revendique être.

C’est à la fin de l’année 2004 que Pierre Bernault a racheté le Château Beauséjour, en appellation Montagne-Saint-Emilion, sur la rive droite du vignoble bordelais. Une totale reconversion pour cet expert et pionnier des réseaux informatiques qui, après avoir œuvré – notamment – de longues années chez Microsoft, a décidé de ranger souris et clavier pour amorcer un salutaire « retour à la terre ». Le vin, cette vieille passion, est devenu une raison de vivre : s’en sont suivis une formation au CFPPA (Centre de Formation Professionnelle et de Promotion Agricole) de Beaune, en Bourgogne, puis plus d’un an et demi de recherches pour trouver la bonne propriété.

Des vignes de 1901

Le coup de cœur pour Beauséjour fait partie de ces rencontres improbables dont sont faites les plus belles aventures humaines. Lorsqu’il arrive à Montagne, Pierre Bernault découvre une propriété en ruine : château délabré, chais insalubres, vignes épuisées, sols martyrisés… Les propriétaires précédents ont mis le vignoble de Beauséjour au supplice. Néanmoins, conseillé par un « sherpa » local, Pierre Bernault soupçonne le beau potentiel derrière le triste spectacle. Il se tourne alors vers Stéphane Derenoncourt. Le célèbre œnologue-consultant lui donne son sentiment, sans détour : le vignoble est dans un tel état qu’il ne produira certainement pas de bon vin avant cinq ans, et les investissements pour le redresser s’annoncent très importants. Derenoncourt et Pierre Bernault établissent alors une « feuille de route »… qui va se concrétiser finalement plus vite que prévu, à cause de – ou plutôt grâce à – une donnée essentielle, qui se confirme inlassablement : les grands terroirs résistent à toutes les épreuves.

Les vignes de Beauséjour s’étendent sur douze hectares de terroirs de haute qualité, où la roche affleure sous 45 cm de croûte argilo-calcaire. Un ensemble remarquable au sein duquel se distinguent quelques exceptions notables : ainsi, huit parcelles abritent des vignes datant de 1901… Très vite, s’impose l’évidence de vinifier séparément ces parcelles qui couvrent environ le quart du vignoble, et où l’encépagement assure l’équilibre parfait entre merlot et cabernet franc (sur les terroirs secondaires, le merlot domine à 70%). Elles donneront la cuvée « 1901 », le grand vin du domaine. Il est à noter qu’après trois ans de recherches, l’ampélographie permettra d’identifier, parmi les vignes centenaires, 31 pieds « parfaits » destinés à être clonés et replantés en collaboration avec Alain Vauthier du Château Ausone.

Au plus près de la nature

Afin de sublimer ses terroirs d’exception et redonner sa pleine vitalité au vignoble, Pierre Bernault décide de s’orienter vers une viticulture raisonnée : plus d’insecticides, plus de désherbage, une réduction drastique du dispositif phytosanitaire, et une priorité donnée au griffage des sols, au compost… Pierre Bernault se veut « à l’écoute de sa vigne », de ses besoins, il l’accompagne pour lui donner la possibilité d’exprimer au mieux la nature du sol : « quand vous travaillez bien la vigne, vous n’avez presque plus rien à faire au chai ».

A contre-courant de l’excès de maturité et d’extraction, Pierre Bernault – toujours conseillé par Stéphane Derenoncourt – recherche l’élégance, l’équilibre, la tension. Cela passe par l’attention portée à la vigne, la dégustation scrupuleuse des baies pour décider de la date des vendanges (manuelles), un recours prioritaire aux levures indigènes, une vinification en cuves ciment anciennes (la thermorégulation étant la seule concession aux nouvelles technologies du vin), et un élevage tout en douceur. Huit à vingt mois en barriques selon les cuvées, avec une part de moins en moins importante accordée au bois neuf (40% sur la cuvée « 1901 » et 20% sur Beauséjour pour le millésime 2011). Les sulfites sont utilisés avec parcimonie, les vins ne sont ni filtrés ni collés… « Mon désir est de faire un produit alimentaire sain, digeste, exprimant le caractère de son terroir, dans le respect de l’environnement », défend tout simplement Pierre Bernault, qui annonce une production moyenne de 55 000 bouteilles par an (dont 6000 de « 1901 »).

Les vins sont d’une droiture magistrale, arborant un fruit éclatant et un élevage noble. Le Château Beauséjour (22 € à la propriété pour le millésime 2009) est une superbe entrée en matière, mais il est impératif de goûter la cuvée « 1901 » (45 € à la propriété pour le millésime 2009), monument d’élégance qui promet d’affronter les années avec grâce. Pour déguster ces vins, il suffit de sortir des sentiers battus de la Rive Droite et de s’aventurer jusqu’à Montagne. Ici, dans cette petite propriété, Pierre Bernault prend le temps de recevoir les visiteurs, de leur faire partager sa passion, sa conviction, et de leur faire ressentir la force impavide de son vignoble, qui lui ressemble tant.

Mathieu Doumenge
Photos © Christophe Goussard et Marilyn Johnson