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Loire : la méthode Bretaudeau

Auteur

Lucie
de Azcarate

Date

03.11.2025

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L’expérience visionnaire aurait pu tourner court face aux rigueurs du marché et aux aléas climatiques. À Gétigné, près de Clisson, Jérôme Bretaudeau a tenu le coup. Depuis plus de vingt ans, il produit un muscadet singulier et d’autres vins atypiques, selon une méthode qu’il a rodée, un millésime après l’autre.

Clisson compte deux enfants terribles, Ben Barbaud, le fondateur du festival de musiques extrêmes Hellfest, et Jérôme Bretaudeau. Fort heureusement pour la tranquillité du voisinage, il paraît qu’ils s’entendent. Et si tous deux ont contribué à la notoriété du muscadet, Jérôme ne s’est pas cantonné à son cahier des charges : « Dès le départ, c’était très important pour moi de ne pas faire que du melon de Bourgogne, le cépage de l’appellation. Je devais maîtriser les deux couleurs, faire de grands blancs et de grands rouges. »

Bien lui en a pris puisque la clientèle est d’abord venue à lui pour les rouges, « sans doute par attrait pour la nouveauté et la différence ». De toute façon, « il n’a jamais été question de trahir le muscadet ». Aujourd’hui, la production du domaine se répartit entre une majorité de muscadet et 40 % de vins de France. « L’appellation Vin de France autorise plus de liberté, n’enferme pas dans un cahier des charges. Je fais les meilleurs vins possibles et laisse les clients juger. »

« Je veux seulement élaborer un grand vin »

Sans héritage vigneron, sans protocole et surtout sans garantie de réussite, Jérôme Bretaudeau a commencé par une mise à l’épreuve : « Je me suis lancé seul, dans un petit domaine. En 2001, j’ai repris quelques hectares. Je tenais à tout faire, conduire la vigne, vinifier et vendre. J’ai appris sur le tas. »

©Mathieu Martines
©Mathieu Martines

Pinot noir, planté pour satisfaire une sensibilité bourguignonne, merlot, savagnin : son intérêt pour les cépages, Jérôme l’attribue à sa première expérience professionnelle chez un vigneron-pépiniériste. « Le matériel végétal est la clé de compréhension pour élaborer des vins très singuliers. Je fais mes propres sélections massales et les vignes plantées au début sont devenues des vignes-mères. » Ensuite, il faut identifier un îlot sur lequel s’acclimatera le cépage et un contenant pour le vinifier. Pour le savagnin, planté il y a plus d’une décennie sur 50 ares, la vinification se fait en demi-muid et le vieillissement se prolonge deux ans, sans ouillage. « Avant d’expérimenter, je ne sais pas quel vin faire ni à qui le vendre. Je veux seulement élaborer un grand vin. »

Si le résultat ne lui plaît pas, il renonce sans état d’âme : « J’ai abandonné les amphores pour le pinot gris, elles n’apportaient rien. J’ai aussi arraché le cabernet franc, pas assez singulier, afin de resserrer ma gamme. » Mais quand les planètes sont alignées, il obtient un vin hors de tout standard, une pépite, disponible exclusivement sur allocation. Son savagnin ne ressemble pas à ceux du Jura et le merlot, méconnaissable, exprime une légèreté de pinot noir. 

Un domaine taillé pour des vins singuliers

« Sur le long terme, une exploitation réduite à quelques hectares est trop vulnérable en cas de mauvaise récolte et au regard des investissements consentis. » Aujourd’hui, l’équilibre du domaine se situe autour de 22 hectares qui permettent d’amortir les coups durs. Parmi eux, Jérôme se remémore la succession des millésimes 2016 et 2017, avec « des pertes de rendement de 60 à 70 % ». Dernièrement, c’est le millésime 2024, marqué par le filage (avortement de boutons floraux avant floraison) qui a amputé la vendange de moitié. Outre le fait d’obtenir une production suffisante, il est également nécessaire de la valoriser : « Tirer la qualité vers le haut est aussi une question de survie économique. » 

Cependant, Jérôme ne souhaite pas s’agrandir indéfiniment de peur de diluer l’identité de ses vins. Désormais, son ambition se porte sur la construction d’un nouveau chai, semi-enterré, qui permettra de quitter la zone artisanale de Gétigné pour rejoindre un domaine de 40 hectares en polyculture. Dans ce projet, qui devrait être prêt pour la vendange 2027, la vigne et le vin seront intégrés à un écosystème diversifié en adéquation avec la biodynamie, le label Biodyvin figurant sur les étiquettes des vins du domaine depuis 2016. 

©Mathieu Martines

Transmettre sans succession 

En fin de compte, l’expérience en solitaire n’aura été que transitoire. Afin d’assurer la pérennité de son domaine, Jérôme a compris très tôt qu’il ne devait pas s’isoler. Au contraire, il est allé au-devant des clients pour expliquer sa démarche. Puis, à mesure que le domaine s’est étendu, il a su s’entourer. Aujourd’hui, sept personnes travaillent avec lui : « Chaque membre de l’équipe a choisi de travailler avec moi. Tous sont venus me trouver. Formés au domaine tout en conservant de l’autonomie, ils contribuent aussi à son évolution. » Lorsque la maison Billecart-Salmon est entrée au capital, en tant qu’actionnaire minoritaire, les salariés lui ont fait part de leur surprise, vite dissipée : « Avec Billecart-Salmon, ils peuvent envisager leur avenir au sein du domaine, même si je n’ai pas de successeur. » Aussi originale soit-elle, la méthode Bretaudeau ne néglige pas le défi de perdurer. 

Terre de Vins aime

Sui Generis 2020 - Vin de France - Biodynamie

Comme son nom l’indique, cette cuvée n’a pas son pareil. Ce 100 % savagnin, mis en bouteille après deux ans d’élevage en demi-muid, sans ouillage, déborde d’énergie, avec des éclairs dorés dans le verre et un nez plein de fraîcheur sur la pierre à fusil et les épices du curry. Sa minéralité traçante électrise le palais puis se double d’une matière enrobante qui prolonge la persistance. À réserver pour une côte de veau à la crème.
95/100 – 90 €

Cet article est issu du magazine « Terre de Vins » n°105, « Le vin de mères en filles », paru en mars 2025.