Accueil Paz Espejo du Château Lanessan, Haut-Médoc : Je trouve aujourd’hui mon plaisir dans le Médoc avec des vins croquants, plus mûrs et plus charnus

Paz Espejo du Château Lanessan, Haut-Médoc : Je trouve aujourd’hui mon plaisir dans le Médoc avec des vins croquants, plus mûrs et plus charnus

Auteur

La
rédaction

Date

22.07.2010

Partager

Après treize ans de direction technique dans le négoce bordelais, chez Calvet puis chez Cordier-Mestrezat, l’oenologue espagnole Paz Espejo a pris en 2009 les rênes du Château Lanessan, Cru Bourgeois Supérieur en Haut-Médoc.

Comment définissez-vous le terroir de Lanessan ?

C’est un terroir de graves profondes, le royaume du cabernet sauvignon. Il y a aussi des endroits où le petit verdot est exceptionnel, ou de vieux merlots qui donnent de très beaux résultats sur des graves argileuses, où ils puisent une alimentation en eau plus régulière que celle dont ont besoin les cabernet. Le vignoble de Lanessan ressemble à une ampoule en forme de semelle de chaussure, avec de profondes graves garonnaises en son centre et des graves argileuses sur les côtés. Les propriétaires ont beaucoup planté par le passé, nous nous consacrons aujourd’hui à la complantation des vieilles vignes, en particulier des cabernet et sur les beaux endroits à merlot.

L’assemblage permet de révéler une expression du terroir harmonieuse, extrêmement complète, sur le croquant. Le consommateur recherche ça, il commence à s’éloigner des vins de garage super musclés, sur-mûris, sur-extraits et souvent trop boisés. Le Médoc, à cause ou grâce à son superbe isolement, a su conserver une certaine pureté d’expression, au-delà de ces modes. On est resté, ici plus qu’ailleurs, près du terroir, avec des expressions très variées. Ces vins sont appelés à revenir dans les petits papiers des consommateurs. Le cabernet est un cépage, certes adapté au vieillissement, mais qu’on peut vinifier différemment. Par le passé, on ramassait trop tôt, en laissant le temps faire son œuvre sur le vin en bouteille. Ce n’est pas ma vision du vin mais je me sens bien aujourd’hui dans le Médoc pour y trouver mon plaisir dans des vins croquants, plus mûrs, plus fruités, plus charnus. Ce sont les vins que j’aime et je suis le consommateur du vin que je fais. Les consommateurs étrangers aussi sont en train de redécouvrir ce Médoc, fort de tous les efforts qui se sont faits depuis dix ans, sur tous les segments de prix : les Bordelais, dans leur ensemble, ont mis du temps à le comprendre, mais ils s’y sont enfin mis.

Après avoir travaillé pour de grandes maisons de négoce, vous vous consacrez au Château Lanessan, pourquoi ce choix ?

Cela faisait presque treize ans que je travaillais pour le négoce, d’abord pour Calvet, qui n’existe plus aujourd’hui, puis pour Cordier. Ce furent des expériences intenses auprès de négociants dynamiques et pionniers dans la création de marque. J’ai ainsi pu pousser très loin la question de l’expression d’une marque, d’un style, sur plusieurs continents.

A un moment dans ce parcours, j’ai eu envie de me consacrer à un seul cru pour en extraire la totalité de ce qu’on peut faire de plus beau pour un vin, de la vigne au verre. Révéler le potentiel d’un terroir par l’intermédiaire de ses vins, m’intéresser aux pratiques de culture comme au relationnel avec les clients, à la communication, au marketing et à la stratégie de la propriété. Je ne touchais pas à tout ça en tant que directrice technique dans le négoce et c’est ce dont j’avait besoin. La proposition de la famille Bouteiller est arrivée au moment où j’étais prête à franchir ce pas, avec une expérience suffisamment étoffée derrière moi.

Et puis il y a eu un coup de cœur : je l’ai eu pour Lanessan, pour son potentiel extraordinaire. J’ai voulu apporter mon empreinte sur une histoire de trois siècles (rires), sur ce joli assemblage entre une tradition familiale très forte et la volonté de cette même famille d’explorer pleinement ce potentiel en restant à un très bon rapport qualité/prix. Je me suis aussi sentie en phase avec la famille Bouteiller, avec son projet de donner une nouvelle vie à Lanessan, de révéler son terroir, salué déjà sur les belles années. Il faut à présent que toutes les années soient belles ou du moins donnent un vin qui parle de son terroir.

Le millésime 2009 est-il aussi grand qu’on l’entend partout actuellement ?

On a toujours envie de dire que le millésime qu’on vient de faire est le meilleur. Les 2009 sont des vins très complets, très plaisants, déjà expressifs, très ronds. Ils n’ont pas la grosse complexité d’un 2005 mais donneront beaucoup plus vite infiniment plus de bonheur. Le millésime se goûtait déjà bien en primeur, avec des tannins de très belle facture. De là à vous dire qu’il est meilleur que 2005, personnellement je ne le pense pas, mais c’est un des très grands de ces dernières années, c’est certain. On dit que les vins qui se goûtent bien en primeur n’ont pas un long avenir devant eux, mais je n’en suis pas du tout sûre sur 2009. On peut penser, au regard de sa structure, qu’il puisse être d’une moins longue garde que le 2005, on verra, mais le potentiel reste quand-même très intéressant. Pour avoir goûté de très beaux millésimes anciens à Lanessan, je peux vous dire que 2009, avec sa belle trame fraîche et ses tannins tout en finesse, est parti pour une bonne vingtaine d’années.

Il faut savoir qu’en 1855, le propriétaire du Château Lanessan, Monsieur Delbos, lui-même négociant, avait refusé de présenter son vin pour le fameux classement. A l’époque son vin figurait dans plusieurs écrits au niveau des quatrièmes ou cinquièmes crus classés. Aujourd’hui, quand on déguste Lanessan à l’aveugle, en particulier sur des verticales, on lui trouve une vraie classe. Il fallait faire l’effort d’investir car c’est un cru magnifique, qui n’arrivera peut-être jamais au prix de ses grands crus voisins mais qui restera un très bon choix pour le consommateur. Sur cette année 2009, les négociants ont tout de suite senti ce potentiel et nous ont suivis. Je pense que mon arrivée à la tête du domaine a aussi été l’un des facteurs de cet intérêt. Si ma renommée a pu attirer des amateurs, je me dis tant mieux : le succès d’un vin comme Lanessan, à l’image d’autres illustres exemples médocains, naît d’un ensemble de facteurs. Si mon nom permet d’attirer pour mieux montrer que le terroir est d’enfer, ça me va !

Vous sentez-vous aujourd’hui pleinement bordelaise ou vos racines espagnoles vous permettent-elles de garder un point de vue extérieur, peut-être plus objectif sur les vins de Bordeaux ?

Je suis bordelaise dans le sens où j’aime les vins et Bordeaux mais ma chance est d’être toujours une étrangère dans le sens où je vois les choses autrement, où je m’engage sans craindre ce qu’on va en dire. Je m’engage à fond pour pousser ce potentiel, être espagnole m’apporte beaucoup de fraîcheur. Devenir bordelaise m’enlèverait peut-être cette spontanéité…

Quand vous êtes étranger, vous mettez un point d’honneur à montrer la plus belle facette de ce que vous offre celui qui vous accueille. C’est un débat très à la mode, cette histoire d’intégration. L’intégration est à mes yeux une histoire d’amour : il faut qu’elle soit réciproque. On m’a fait confiance, je me dois de donner le meilleur de moi-même, d’apporter tout ce que j’ai en moi. S’intégrer c’est aimer celui qui vous accueille et attendre de celui qui vous accueille qu’il vous aime en retour.

En tant qu’œnologue, je suis un instrument et je veux être à cette place : j’admire les œnologues pas du tout médiatisés qui mettent en avant le terroir et pas leur patte. C’est pour ça que j’adore travailler avec Eric Boissenot. Je veux suivre cette route : à Lanessan, je fais du Lanessan, dans le Chianti j’ai fait du Chianti. C’était chez Isole e Olena, mon tout premier travail. Paolo de Marchi m’y a appris, justement, l’amour de la vigne. Avec le sangiovese, c’est incontournable, comme avec le tempranillo ou le pinot noire : la moindre erreur de culture est beaucoup plus difficile à rectifier que sur un merlot. Je pense qu’il est sain de commencer par là, pour comprendre une fois pour toute que, pour faire parler un terroir, il faut être un très bon viticulteur avant d’être un bon œnologue.

Comment se présente le millésime 2010 ?

2010 se présente très bien. Côté maladie, il ne nous a donné aucun souci, on se demanderait presque où est passé le mildiou (rires) ! A Lanessan, la fleur a été beaucoup plus homogène et rapide qu’ailleurs peut-être, ce qui est une excellente chose ! Il y aussi une belle sortie, qu’il faut contrôler. Actuellement nous effeuillons… On voit que la vigne répond déjà au travail du sol, il suffit de la comprendre et de l’écouter. Il est vraiment tôt encore pour dire ce que va donner 2010 et de mon côté, j’attends : on a vu se terminer très bien des années qui ont moins bien commencé ! Pourquoi pas deux bonnes années de suite ?