Mardi 3 Décembre 2024
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02.06.2022
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Cinq personnalités incarnant la "nouvelle génération" du monde du vin bordelais ont été réunies en couverture du n°77 dédié aux Primeurs du millésime 2021. À cette occasion, "Terre de Vins" organisé une table ronde pour leur demander d'échanger leurs visions sur la "désirabilité" de Bordeaux, en trois thématiques.
Anne Le Naour, directrice exécutive de CA Grands Crus (Château Grand Puy Ducasse, Château Meyney...), Laure Canu, directrice générale des châteaux Cantemerle et Grand-Corbin, Aymeric de Gironde, directeur général du château Troplong-Mondot, David Suire, directeur du château Laroque, et Pierre-Olivier Clouet, directeur technique du château Cheval Blanc, sont en couverture du n°77 de "Terre de Vins" sorti en kiosques il y a quelques jours. Un numéro largement dédié aux Primeurs 2021, un millésime "cousu main" où le savoir-faire de cette nouvelle génération de professionnels s'est avéré décisif. À l'occasion de la réalisation de cette couverture, nous avons demandé à ces cinq personnalités de se prêter au jeu d'une table ronde autour de la "désirabilité" des vins de Bordeaux. "Trop cher", "trop classique", "trop ringard", "trop boisé", "trop parkerisé"… Pendant plusieurs années, Bordeaux a beaucoup perdu de sa superbe auprès des amateurs internationaux, et son image a été écornée dans le monde entier. Le Bordeaux Bashing a prospéré, pourtant aujourd’hui Bordeaux se réveille et se réinvente. Bordeaux est-il de nouveau désirable ?
Troisième partie : les Primeurs, toujours un temps fort pour Bordeaux ?
Pierre-Olivier Clouet : plus que jamais les Primeurs sont un temps très fort de la vie commerciale de Bordeaux, d'abord par le coup de projecteur que cela donne sur le vignoble et sur le millésime. Mais surtout, on ne mesure pas assez l’énorme avantage que représente le fait que la distribution mondiale vienne à Bordeaux pendant un temps donné pour déguster les vins. Certes, c’est fatigant sur le moment, le rythme est très soutenu, mais quand on sait que les plus grands vignerons du monde passent le tiers de leur année en voyage pour faire goûter leurs vins aux distributeurs, on ne va pas se plaindre que ce soient les professionnels de la planète qui viennent à nous. Cela veut dire que les 11 mois qui restent, on se consacre à nos vignes, à nos vins ! C’est aussi une force considérable car c’est le moment pour le consommateur où il va acheter le vin au meilleur prix.
Le bémol, c’est que ce moment des Primeurs a tendance à catégoriser un millésime de façon un peu trop généraliste, sans parfois tenir cas des différences entre les propriétés. Et du point de vue de ces dernières, les techniciens et dirigeants ont la tentation de « trop vendre » le millésime en cours, sans prendre le temps d’expliquer en détail et en nuance. Le coup du millésime du siècle tous les ans, c’est létal pour Bordeaux. Dans le cas d’un millésime comme 2021, il faut prendre le temps d’expliquer, raconter, mais ça ne sert à rien de le ranger dans une case, et surtout de le résumer trop hâtivement. Il faut réapprendre à parler plus et mieux du déroulement de la construction de nos vins…
Laure Canu : on le constate, il y a toujours un engouement pour les Primeurs, même sur un millésime comme 2021. Les professionnels sont venus en masse, sauf les asiatiques qui n’ont pas pu à cause des restrictions sanitaires, mais on a vu un retour en force des acheteurs, qui confirme le pouvoir d’attraction des Primeurs. Après la pandémie de Covid-19 on était tous dans le flou, et on a eu la réponse : Bordeaux est toujours désirable, même sur un millésime perçu comme « compliqué ».
David Suire : ce temps des primeurs est une chance pour Bordeaux, et pour nous tous qui pouvons prendre le temps d’accueillir, d’expliquer les identités et particularités de nos vins. Nous, vignerons, quand on fait du vin on s’engage, on y met notre amour-propre, notre fierté. Quelles que soient les conditions du millésime, on donne le maximum. C’est pourquoi le rendez-vous des Primeurs est essentiel pour nous, pour expliquer le travail que l’on a fait. Et pour l’amateur, c’est le moment où il a les vins au meilleur prix (et dans certains cas, où il a les vins tout court…)
Aymeric de Gironde : pour rebondir sur ce que disait Pierre-Olivier, il faut sortir de la notion de performance intrinsèquement liée au système des Primeurs, où l’on a une surenchère à faire croire que le millésime est forcément meilleur que le précédent. Les Bourguignons, ils ne font pas ça… ils expliquent leur vin, point. Sur le plan du business, tous les millésimes se valorisent de façon différente dans le temps, et c’est aussi de cela qu’il faut tenir cas. Chaque cru a son moment, sa stratégie, beaucoup d’éléments entrent en compte au moment de définir le prix d’un vin en primeurs. En moyenne, oui il y a des années où le vin n’a pas réalisé une énorme plus-value mais en général, les vins gagnent en valeur avec le temps : l’acheteur en primeurs fait rarement une mauvaise affaire. Mais au-delà de ça, on n’est pas là pour que le consommateur spécule et s’enrichisse, ce que l’on veut c’est qu’il boive le vin et y prenne du plaisir, c’est d’abord fait pour ça !
Anne Le Naour : présenter des vins en primeurs est un exercice de style qui n’est jamais simple, on montre les vins à un stade encore inachevé, embryonnaire, or les enjeux sont énormes car on est noté pour une fois et souvent, à jamais, car il est rare que les critiques reviennent sur leur avis. C’est un exercice qui demande une grande honnêteté intellectuelle. Par ailleurs, il y a une question de positionnement et de notoriété, et sur la façon dont on peut bousculer une hiérarchie, des préjugés… C’est ce que je me suis appliquée à faire depuis mon arrivée à la tête de CA Grands Crus avec Grand Puy Ducasse comme Meyney. Pour des crus comme les nôtres qui ne sont pas spéculatifs mais distributifs, et qui sont bus, il faut permettre à tout le monde dans la filière de gagner de l’argent, donc rester prudent dans l’augmentation des prix, pour consolider et fidéliser notre réseau d’amateurs. Cela demande du temps long, de la constance, et examiner avec précision l’évolution de l’image du cru. Au final, à Bordeaux, il y a de bonnes affaires pour tout le monde.
Le n°77 de Terre de Vins "spécial Primeurs" est depuis le 18 mai 2022 dans les kiosques.
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