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La Champagne pétrifiée par le gel

Une spectaculaire vision de protection contre le gel par aspersion. Propulsée au bon moment, l’eau, en se transformant en glace, absorbe les frigoris et protège la plante en dessous. (photo CIVC)

Auteur

Joëlle
W. Boisson

Date

25.04.2017

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Les 3 nuits consécutives de gel la semaine dernière ont eu des répercussions diverses, mais concernent l’ensemble du vignoble. Alors que Météo France prévoit un nouvel épisode négatif dans les nuits de mercredi et de jeudi, le vignoble retient son souffle. Tous les moyens de lutte antigel sont activés.

C’est la semaine du Printemps des champagnes, l’équivalent des primeurs bordelais, où les vignerons reçoivent leurs clients cavistes et importateurs pour leur faire déguster vins clairs 2016 et champagnes. C’est aussi l’occasion pour échanger les dernières nouvelles du vignoble. Et elles ne sont pas optimistes.

La semaine dernière, alors que la vigne enregistrait deux voire trois semaines d’avance de la végétation, les températures sont passées en négatif à trois reprises, en particulier dans la nuit du 19 au 20 avril où l’on a enregistré – 4°C dans la vallée de la Marne, dans l’Aube, dans la Côte des blancs, – 5°C à Mailly ou Rilly au nord de la Montagne de Reims, et jusqu’à – 7°C à Lhéry dans la vallée de L’Ardre.

La nuit a été fatale à plus d’un vigneron. « Toute la partie basse du coteau où nous avions nos cépages blancs a été entièrement grillée, déplore Benoît Tarlant, vigneron à Oeuilly dans la vallée de la Marne. C’est comme si la vendange avait déjà eu lieu, cette année, nous ne produirons pas tout ceci, indique-t-il en désignant plusieurs références de la gamme. » Les meuniers, plus tardifs, et les pinots noirs, plantés plus haut pourraient quand à eux avoir été touchés à 30 %. Plus en aval de la Marne, du côté de Château Thierry, Olivier Belin évalue les dégâts à 60 % de son exploitation, mais se garde bien de généraliser. Tout le monde semble avoir été touché, mais à des degrés très divers. « Le gel s’est comporté curieusement cette année, comme s’il y avait eu du vent et des mouvements de masses d’air au sein même des villages, remarque une vigneronne de la Montagne de Reims ouest. Même écho disparate à l’est du massif, où les villages de Mailly et Rilly ont payé un lourd tribut, tandis que Villers-Marmery et Trépail semblent avoir évité le pire cette année. Ironie du (mauvais) sort, les parcelles enherbées, les plus méritantes, ont été davantage touchées.

Investissements anti-gel

L’Aube, qui avait connu un grave épisode de gel en 2016, voit malheureusement son spectre revenir. Olivier Horiot, vigneron aux Riceys, se désole : « nous ne sommes que 4 vignerons à avoir pu produire du rosé des Riceys en 2016 ; qu’en sera-t-il cette année ? ». Non loin de là, Vincent Couche, à Buxeuil, a perdu l’année dernière 80 % de sa récolte et investi cette année dans une éolienne. Un investissement lourd de 37 000 €, mais qui lui a sauvé la mise, jeudi dernier, sur 3 parcelles. Dans cette partie du vignoble champenois qui tutoie le chablisien, on pratique également l’aspersion, comme à Celle-sur-Ource où Lionel Carreau montre tout le coteau maillé d’un réseau d’asperseurs. Une association a été créée avec tous les vignerons du village pour créer les infrastructures, la station de pompage, les entretenir et les mettre en action au moment opportun avec un système commun de vigilance.

Ci-dessous : Les échanges sur les réseaux sociaux sont nombreux. Fabio Marti, directeur technique chez Champagne Cattier, publie « ce matin, la Champagne tremble ».

Tout, ensuite, est question de calcul. L’assurance contre le gel est si chère qu’elle est rédhibitoire pour plus d’un vigneron. D’autant qu’existe en Champagne le mécanisme ingénieux de la réserve qualitative, mais qui lui aussi se tarira si les années de vaches maigres se suivent.

Alerte demain et après-demain

Quel est l’ampleur du gel sur l’ensemble de la Champagne ? Certains vignerons pronostiquent 30 à 35 %, surtout sur les cépages blancs. « Aucun secteur, aucun village même ne semble avoir été épargné, quand l’année dernière, l’Aube avait de loin payé le plus lourd tribut, constate Thibaut le Mailloux, directeur de la communication du Comité Champagne. » Mais l’interprofession se refuse à émettre un chiffre. D’abord car il faut remonter les informations des 319 communes du vignoble. Mais aussi et surtout car Météo France prévoit à nouveau des épisodes à -1, -2°C dans les nuits de mercredi et jeudi. Le tout après des pluies, rendant la plante particulièrement vulnérable. Le vignoble est figé dans une froide attente jusqu’aux saints de glace (du 11 au 13 mai), où les risques de gelée printanière devraient prendre fin. D’ici là, tous les systèmes de protection contre le gel sont en alerte rouge.

EDIT : Selon un communiqué du Comité Champagne, qui établit un bilan provisoire au 25 avril 2017, 20 à 25 % des bourgeons ont été détruits sur la moyenne du vignoble champenois. Les secteurs les plus touchés (35 % et plus) se situent dans la Côte des Bar, la vallée de l’Ardre, la Montagne de Reims nord et Ouest, ainsi que le secteur ouest de Château-Thierry. Le Sézannais et le Vitryat ont été plutôt épargnés (moins de 10 % de dégâts) tandis que les autres communes se positionnent dans la moyenne.