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Deux figures emblématiques de la Loire en colère

Auteur

La
rédaction

Date

08.06.2015

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Jacky Blot et François Chidaine s’insurgent contre le récent déclassement de leurs vins AOC Vouvray en « vins de France ». En cause, la vinification des raisins produits à partir de vignes plantées à Vouvray, mais vinifiés à Montlouis-sur-Loire, hors de l’aire prévue par le cahier des charges de l’appellation Vouvray.

Depuis quelques jours, l’affaire fait grand bruit dans le monde du vin. Figures emblématiques de Montlouis-sur-Loire, Jacky Blot et François Chidaine sont en colère. Leurs vins produits à partir de vignes de Vouvray, jusqu’alors commercialisés en AOC Vouvray, viennent d’être déclassés en « Vins de France ». En cause, le lieu de vinification de ces crus, Montlouis-sur-Loire, de l’autre côté de la Loire, à 3 km de Vouvray. La commune n’est pas répertoriée par le cahier des charges comme lieu de production et vinification pour bénéficier de l’appellation Vouvray. Les deux hommes n’entendent pas se laisser faire.

Cette « conception restrictive » quant au lieu de vinification est une aberration pour Jacky Blot et François Chidaine. « Ce n’est pas comme si nous faisions 3 000 km avec la vendange ! Est-ce réellement primordial pour la qualité finale du vin d’avoir fait 3 km avec nos raisins ? » s’interroge François Chidaine, lui qui a transféré ses installations à Montlouis en 2013 pour raisons techniques. Pour le viticulteur, le point qualitatif essentiel n’est pas avant tout de vinifier strictement sur l’aire de production. « Je connais des vignerons en Bourgogne qui ont dix appellations différentes dans leurs caves. Il est plus important de dissocier les terroirs et de bien vinifier les vins, plutôt que d’avoir un chai sur chaque site. Ce fonctionnement est néandertalien! » Et Jacky Blot de s’insurger également : « je vinifie à Montlouis depuis toujours. En 1998, quand je suis arrivé à Vouvray, j’avais seulement un hectare (contre 5 aujourd’hui), et 15 hectares à Montlouis (contre 45 aujourd’hui). Il aurait été ridicule de m’installer pour si peu à Vouvray ! » Prudent, le vigneron dit d’ailleurs avoir obtenu en 1999 de l’INAO une autorisation sans limite temporelle pour vinifier ses vouvrays à Montlouis. Les deux hommes sont d’autant plus sceptiques sur le traitement de leur cas que « certaines communes, comme Nazelles-Négron, ont elles, eu l’autorisation. Pourtant, elle n’est pas comprise dans l’aire d’appellation, et en est encore plus éloignée que Montlouis » affirment-ils.

Querelles entre appellations ?

Les deux vignerons s’interrogent sur le réel mobile de ce déclassement, soupçonnant une certaine « jalousie » du syndicat de Vouvray à leur égard, eux qui ont contribué depuis trente ans à la renommée de Montlouis. « Je suis l’initiateur du passage sur l’autre rive. Avec François Chidaine, nous avons fait de Montlouis une perle de Loire. A tel point que Montlouis a désormais une image bien plus prestigieuse que Vouvray. » En réalité, pour le viticulteur, « c’est avant tout un problème de personnes. Ils ont voulu se payer Blot et Chidaine, et ont changé les règles du jeu. » Les deux hommes affirment notamment ne pas avoir été consultés lors de révision du cahier des charges de l’AOC, en 2011. « Nous n’avons donc pas pu défendre le bénéfice de l’appellation pour nos vins vinifiés à Montlouis » déplorent-ils.

Ces griefs, le président du syndicat de Vouvray et viticulteur Jean-Michel Pieaux, s’en défend férocement. « Contrairement à ce qu’affirment Jacky Blot et François Chidaine, le cahier des charges n’a pas été modifié depuis 2007 » explique-t-il. Pour lui, le déclassement n’a rien de surprenant. Il explique d’ailleurs les avoir prévenus l’an dernier des ennuis qui les menaçaient. « Pour bénéficier de l’AOC, les vins doivent être vinifiés dans l’aire de production. Des contrôles sont effectués tous les ans. François Chidaine a respecté cela jusqu’en 2012, puis a soudainement changé sans alerter personne. Quant à Jacky Blot, je lui ai fait un courrier début 2014 pour lui dire que sa dérogation arrivait à terme et qu’il fallait qu’il se mette en conformité .» Selon, lui, ils font erreur sur l’interlocuteur. Et devraient s’adresser directement à l’INAO, instance qui a constaté les manquements.

Quelles répercussions ?

« Ils se sont dit que ce déclassement allait nous couler économiquement » affirme Jacky Blot. Car le prix de vente en « vin de France » est évidemment amplement inférieur à celui d’appellation. Dans l’immédiat pourtant, pas de baisse conséquente de prix à prévoir. Les deux hommes ont prévenu leurs clients de l’affaire. Forts de leur notoriété, ils vendront ce millésime 2014 au prix qu’ils ont toujours pratiqué (soit entre 15 et 25 € environ). « On ne changera pas d’un centime ! s’exclame Jacky Blot. Et avec cette affaire nos vins vont même être collectors ! » Bien décidés « à ne rien lâcher », les deux viticulteurs, fervents défenseurs des AOC, se refusent à rester dans la catégorie générique de « vins de France ». Désireux de défendre « l’immense potentiel encore amplement sous-exploité de Vouvray », ils préparent d’ores et déjà avec leur avocat bordelais leur action en justice pour demander le reclassement. L’affaire fait tant de bruit, qu’aux dires de Jacky Blot, les deux pointures ligériennes ont déjà été contactées par la télévision pour créer une fiction. Affaire à suivre sur tous les plans, donc.

Laura Bernaulte