Mercredi 17 Septembre 2025
Une nouvelle cuvée 100 merlot pour le château Lascbombes. ©Sarah Arnould
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17.09.2025
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Le château Lascombes, second cru classé de Margaux racheté en 2022 par le groupe américain Lawrence et dirigé par Axel Heinz, marque le début d'une nouvelle ère en élargissant sa gamme avec un 100 % merlot baptisé La Côte-Lascombes qui casse les codes avec une approche parcellaire et monocépage.
Lascombes a incontestablement changé de dimension depuis le rachat de l’actionnariat majoritaire en 2022 par la famille Lawrence, l’un des plus grands propriétaires agricoles des États-Unis, déjà détenteur de plusieurs domaines viticoles de la Napa Valley (Heitz Cellar, Brendel, Ink Grade, Haynes Vineyard, Stony Hill, Burgess, Demeine Estates). Son objectif affiché est de hisser ce deuxième cru classé de Margaux dans le top 3 de l’appellation, voire plus.
Pour concrétiser cette ambition, Lascombes a été confié à Axel Heinz, ancien directeur de la Tenuta Dell'Ornellaia, l'un des vignobles les plus prestigieux de Toscane. « En 2022, il s'est présenté l'occasion pour Gaylon Lawrence, grand amateur de bordeaux, de réaliser son rêve d'acquérir un grand bordeaux, rapidement concrétisé. L'ambition était d'offrir un coup de jeune à ce grand cru pour lui donner un statut de référent à Bordeaux et de transmettre Lascombes aux générations futures. Les Lawrence viennent du secteur agricole ; ils sont conscients du temps long et des risques des aléas climatiques. Le projet m'a convaincu sans cahier des charges particulier. Ça s’est fait plutôt à l'américaine, avec juste un cadre exprimé assez crânement : on veut faire le meilleur vin à Margaux. »
Pour Axel Heinz, l’attractivité du projet réside dans le potentiel inexploité du domaine. De père allemand et de mère bordelaise, il a grandi à Bordeaux où il a passé 18 ans. « Je savais que j'y reviendrais un jour. Beaucoup pensaient qu'après Ornellaia, je choisirais un château plus installé et prestigieux. Mais ce qui m'a plu, c'est le challenge d’amener ce cru qui manquait encore d'aura en haut de l'appellation. » Avant de passer entre les mains d’une succession de propriétaires, Château Lascombes était, dans les années 50, un domaine familial appartenant à Alexis Lichine. Il avoisinait alors les 90 hectares, déjà très morcelés. Le vignoble s’étend aujourd’hui sur 115, répartis en une soixantaine de parcelles. Sans compter 13 hectares en Haut-Médoc. Axel Heinz entend recentrer les plantations en cabernet sauvignon sur les terroirs historiques de 1855.
« Aujourd'hui, le merlot est moins à l'aise sur certains terroirs à cause du réchauffement climatique alors qu'il y a 30 ans, on en plantait un peu partout car il représentait la carte de la sécurité ». Lascombes est d’ailleurs l’un des crus de la rive gauche avec la plus forte proportion de merlot, à part égale avec le cabernet sauvignon, 48 %, complétés de 3 % de petit verdot et 1 % de cabernet franc. La réorientation implique une réduction progressive du cépage, mais surtout une sélection encore plus pointue des jus dans le grand vin, en extraction douce, tout en conservant une utilisation mesurée du petit verdot. « À hauteur de 6-8 %, ça donne du poids au milieu de bouche, raffermit la texture et sert d'exhausteur de goût. Mais il n’en faut pas plus car on ne doit pas sentir sa présence. ».
Par ailleurs, Château Lascombes a changé d'étiquette dès le millésime 2022, abandonnant le château néo-anglais de la fin du 19e pour retrouver le blason qui s'affichait sur la bouteille jusqu'à la première moitié du XXe siècle.
Axel Heinz a voulu marquer un autre changement dès son arrivée. « J'ai imaginé avec Gaylon un nouveau vin dès le rachat, même s'il a fallu un peu de temps pour le concrétiser, et donner plus d'emphase et de substance au renouveau. » La cuvée La Côte-Lascombes, du nom du lieu-dit, fait le pari du 100 % merlot, issu d’un assemblage de parcelles en pente douce qui regardent le fleuve, en bordure de la zone graveleuse de Margaux avec des veines d'argile bleue sur une dalle calcaire. « C’est un terroir reconnu de Margaux qui a toujours donné de jolis merlots pour le grand vin ». Il se veut une expression complémentaire avec la volonté d'offrir une lecture parcellaire de cette appellation communale très hétérogène, la plus étendue du Médoc.
« On peut renouveler le discours sans rien renier en choisissant un éclairage particulier. C'est d'ailleurs une belle opportunité d'avoir quelque chose de nouveau à dire dans une région très conservatrice. En ayant travaillé longtemps à l'étranger, j'ai pu apporter une autre vision et casser les codes ». Le vin bénéficie d’un élevage de 18 à 20 mois en fût de chêne (à près de 60 % neuf vs 80 % pour le grand vin), avec moins de 5 % en amphores (en phase d'expérimentation). Le choix du positionnement tarifaire est ambitieux : 100 € départ propriété (environ 180 € à la vente), soit un prix supérieur au grand vin (70 – 80 €) « mais qui a vocation à rester stable et à échapper aux oscillations des prix bordelais ». Environ 20 000 bouteilles seront disponibles pour ce premier millésime 2022, avec un potentiel de 30 000 (pour une production globale d'environ 300-350 000 bouteilles par an en moyenne).
Sur le plan technique, Axel Heinz peut s'appuyer sur un outil moderne déjà mis en place par son prédécesseur, Dominique Befve, après le rachat en 2011 par le groupe d'assurances français MACSF. Celui-ci reste actionnaire minoritaire mais n'intervient plus dans l'opérationnel. « Mon prédécesseur avait déjà fait un excellent travail de montée en gamme, modernisé le cuvier et reconstruit les chais. C'est un très bel outil qui nous a permis de travailler d'emblée dans la direction que l'on souhaitait ».
Côté distribution, Lascombes était jusqu'ici très dépendant de la Chine, son marché majeur. « Depuis 10-15 ans, Lascombes a été très présent en Asie, notamment en Chine, et a délaissé les marchés traditionnels, notamment la France qui représente moins de 10 % des ventes et l’Europe à peine 20 %. Nous voulons réinvestir ces marchés, même si aujourd'hui, nos principaux efforts vont porter sur le marché américain où nous étions déjà installés grâce à Alexis Lichine ». Le choix des Lawrence a bousculé les pratiques bordelaises : « Un petit coup de pied dans la fourmilière bordelaise, quand nous avons choisi de rester chez nous pour la distribution, la famille possédant déjà une société de distribution sur tout le territoire américain, ce qui représente une vraie force de frappe. Ça nous a mis à l'abri ces derniers mois puisque nous y avons envoyé nos millésimes en stock avant l’entrée en vigueur des taxes ».
Axel Heinz porte un regard réaliste sur le marché. « Nous sommes dans un vrai phénomène de déconsommation et pas seulement à Bordeaux. Mais le vignoble bordelais exacerbe souvent une tendance. Reste à savoir si ce ralentissement est de l'attentisme ou un phénomène de fond que l’on n'a pas complètement mesuré avec la parenthèse post-Covid. En tout cas, cela ne nous a pas empêché de lancer un nouveau vin, même si ça peut paraître contre intuitif en période de crise. Cela ne résoudra pas tout mais ça apporte un bol d’air frais ». La politique de primeurs a été ajustée avec à nouveau une baisse de 15 % pour le 2024 (à 58,80 €), afin de rester compétitif dans un contexte difficile. Les perspectives incluent une réflexion sur les blancs, sans précipitation. « On prospecte en restant partisan d'un schéma traditionnel bordelais sauvignon-sémillon. »
Le millésime 2025 s’annonce « plutôt classique avec des concentrations plus élevées mais avec des volumes limités à cause des épisodes caniculaires, plus faciles cependant à gérer que le mildiou de 2024 ». Les Lawrence pourraient étudier à l'avenir le rachat d'autres vignobles. « Dans les appellations prestigieuses, ça reste très cher. Nous avons eu en main un dossier qui nous est passé sous le nez à Bandol », avoue Axel Heinz. « Dans un autre contexte, on n'aurait pas hésité mais on se concentre actuellement sur la phase de réajustement de Lascombes ».
Un vin intense et profond sur un bel équilibre porté par des arômes de fruits noirs, de ronce, de cacao sur une acidité fringante, un léger boisé torréfié, une tension minérale et des tanins fermes mais enrobés qui s’étirent délicatement en finale. Disponible à partir de fin septembre.
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