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La Dourbie : quand le vin devient expérience en Languedoc

©Domaine de la Dourbie

Auteur

Yoann
Palej

Date

03.10.2025

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À Aniane, au pied du causse du Larzac, La Dourbie bouscule les codes. Inspirée des wineries du Nouveau Monde, elle invente une version languedocienne du modèle : indépendante, horizontale, créative. Ici, le vin reste exigeant, mais s’accompagne d’une expérience globale.

Tout commence par un logo. « D. » Une lettre, un point, et déjà un monde derrière. « D. » comme Dourbie, mais aussi Dolce Vita, Délice, Douceur de vivre, Détente. La simplicité de ce signe dit l’essentiel : aller droit au but, mais avec style. Le caveau prolonge cette idée. Pas de comptoir froid ni d’étagères standardisées. Murs ocres, fauteuils profonds, ambiance feutrée. Au centre, une platine vinyle. Le visiteur choisit la bande-son : jazz, soul, blues. Ce jour-là, un disque d’Aretha Franklin tourne. Sa voix emplit la pièce, chaude et profonde. Des clients étrangers s’amusent du format d’un magnum, les verres tintent, la musique groove, et le décor évoque plus un bar jazzy new-yorkais qu’une cave languedocienne. « Vous êtes pourtant bien à Aniane, plaisante Laurent Graell, le directeur général adjoint du domaine. On fait du vin, évidemment, c’est notre métier, mais on veut que l’approche soit décomplexée, en mode slow living, comme à la maison. » Comme si les visiteurs s’emparaient du lieu…

Une winery indépendante

Repris en 2003 par la famille Serin (le père, Bernard, est aussi président du FC Metz depuis 2009, NDLR), La Dourbie a été profondément marquée par la disparition brutale d’Emmanuel, l’un des fils, en 2020. Un choc pour la famille comme pour le domaine. Mais plutôt qu’un tournant, c’est un élan de continuité : lui rendre hommage en poursuivant son œuvre et en s’investissant encore davantage. Aujourd’hui, Nicolas Serin et Laurent Graell portent cette dynamique, avec une philosophie claire : l’horizontalité. « Ici, personne n’est plus important que l’autre. Chacun a sa place, chacun apporte sa pierre. C’est cet engouement collectif qui nous rapproche d’une start-up du vin », insiste Laurent.

C’est là que La Dourbie se distingue. Ni cave coopérative, ni château traditionnel, La Dourbie s’affirme comme winery indépendante. Le mot, emprunté au vocabulaire anglo-saxon, désigne un lieu où le vin ne se limite pas à sa production, mais devient le cœur d’une expérience plus large : accueil, partage, culture, art de vivre. Ici, pas de marketing tapageur ni de décor artificiel, mais une version languedocienne du modèle, nourrie par l’horizontalité de l’équipe, l’ancrage dans le terroir et la volonté de créer du lien avec le visiteur.

L'équipe en est le reflet : Sophie Brun, l’œnologue formée en Bourgogne, qui aborde ses cuvées comme une cheffe, compose un plat — équilibrant cépages, terroirs et contenants (inox, ovoïdes en grès, barriques, même une barrique en acacia pour un rosé de gastronomie). Barbara Galletier, ancienne des Vignobles Jeanjean, orchestre les événements avec une pléiade d’idées en tête et un sens de l’accueil certain. Et autour d’elles, une dizaine de collaborateurs animés par la même envie d’inventer.

Sophie Brun et Laurent Graell. ©Domaine de la Dourbie

Le vin reste le cœur

Car le vin reste l’ADN du projet. Dans le chai, en pleines vendanges, l’effervescence le rappelle. Une benne de tracteur vient de déverser les carignans blancs. Les grappes embaument et craquent sous la dent, libérant un parfum acidulé qui emplit l’air. L’équipe s’affaire, concentrée mais joyeuse. « Ces raisins-là, on les réserve pour une cuvée confidentielle », commente le jeune DGA en désignant à demi-mots le Mas Moustache, chai caché dédié aux séries limitées.

Les vins surprennent par leur équilibre. Du sud, ils gardent la générosité, la maturité. Mais leur fraîcheur, leur trame tannique et leur digestibilité évoquent une approche plus septentrionale. Des blancs lumineux, tendus, salins. Des rouges nets, aux tanins ciselés, presque au couteau. Signature rouge : le cinsault, ce « pinot noir du sud » qui dialogue avec la syrah et le carignan. En blanc, le terret s’impose comme cépage phare, parfaitement adapté au terroir et à la climatologie, porteur d’acidité et de salinité. 

La Dourbie s’exprime à travers plusieurs visages. Autour de la bastide, la gamme Oscar, Marius et Joseph, raconte l’âme méditerranéenne du domaine. Sur les terres volcaniques d’Aspiran, le pétillant naturel Tuf met en lumière le terret blanc, avec sa tension et sa franchise. Mais c’est dans la vallée de Rouveyrolles que le style prend toute sa dimension. Là, la vigne s’enlace à la garrigue : thym, romarin, lavande sauvage, genévrier, cade impriment leurs parfums sur la peau des raisins. Le climat, solaire le jour, soudain frais la nuit, permet de capter cette intensité. C’est de ce terroir singulier qu’émergent Mala Coste et Intemporal, où profondeur et élégance se conjuguent.

©Domaine de la Dourbie
©Domaine de la Dourbie
©Domaine de la Dourbie

Quand le vignoble devient destination

La Dourbie ne s’arrête pas au verre. Le parc paysager de cinq hectares invite à la détente : un étang, des ruches pour un miel maison, une tisanerie aux herbes de garrigue, des hamacs tendus entre deux arbres. Ici, on prend le temps. Le domaine a même imaginé un « Lunch », façon dînette en plein air. En tête-à-tête ou en groupe, autour d’une table ombragée par des arbres centenaires, on savoure une planche à partager, gourmande et sourcée chez les producteurs locaux, un verre de vin bio à la main, bercé par le chant des cigales.

L’expérience se prolonge par une dégustation dans le caveau et, si on le souhaite, une balade dans les vignes… ou une partie de pétanque improvisée sur le terrain installé à deux pas. « Les gens ne viennent pas seulement acheter une bouteille. Ils veulent vivre un moment, se sentir bien et rester flâner. C’est ça, l’esprit de La Dourbie », sourit Barbara Galletier, figure de l’accueil et des événements.

Le Languedoc à l’heure du Nouveau Monde

L’expérience s’élargit à des collaborations avec artisans et producteurs voisins : huile d’olive, gin distillé aux plantes locales, miels. Et bientôt, la première fête des vendanges, le 4 octobre, donnera le ton : ateliers sensoriels, DJ set, huîtres et bar à gin. Un moment festif qui ancrera encore davantage La Dourbie comme un lieu de vie et de partage. Installée à Aniane, aux côtés de références comme le Mas de Daumas Gassac ou la Grange des Pères, La Dourbie trace sa propre route. Ici, le vin ne se suffit pas à lui-même : il dialogue avec l’art de vivre, la convivialité et l’innovation. Une winery indépendante, inspirée du Nouveau Monde, mais fidèle à son terroir languedocien. Reste une question : et si ce modèle-là devenait l’un des visages contemporains du Languedoc ?

©Domaine de la Dourbie
©Domaine de la Dourbie
©Domaine de la Dourbie

Terre de Vins aime : Intemporal rouge 2022, IGP Pays d’Hérault, AB, 37 €

Issu d’un cinsault septuagénaire, le plus vieux du domaine, ce vin conjugue fraîcheur et profondeur. Fruits rouges croquants, structure élégante, tanins d’une belle finesse : un rouge juteux et racé, dont l’élégance se déploie comme un accord de jazz. À savourer en excellente compagnie… pourquoi pas au son de John Coltrane, In a Sentimental Mood.