Les héritiers de Daumas Gassac lancent « Atelier Guibert »

Les cinq frères Guibert, héritiers du Mas de Daumas Gassac, lancent un projet parallèle baptisé « Atelier Guibert ». Avec un chai dédié, 14 hectares de vignes et une totale liberté de création, ils signent une nouvelle aventure viticole aux contours plus intuitifs, épurés et expérimentaux. Les premières cuvées font déjà parler d’elles…

Il y avait l’histoire, majestueuse. Et puis l’envie d’un entre-deux, plus intime. À Aniane, les frères Guibert ont créé leur Atelier, comme on entrouvre une porte sur un ailleurs familier. Un espace à eux, pour explorer, réinventer, sans jamais renier. Ni clone, ni contrepoint du mythique Mas de Daumas Gassac, mais un geste à part entière, posé par la deuxième génération comme on pose un regard neuf sur une terre connue. Une partition nouvelle où chaque note serait issue d’un vin pensé autrement : plus souple, plus spontané, plus intime, plus risqué aussi.

« Ce qui rend cela possible, c’est que chacun amène sa vision, et qu’au lieu de s’opposer, elles se complètent, explique Samuel Guibert. Cinq frères, cinq sensibilités… et pourtant un même fil conducteur. Ce n’est pas si courant. » L’un rêve de pinot noir, l’autre de cépages corses, un troisième d’assemblages minutieux. Les deux autres, qui n’étaient pas là ce jour-là, ont aussi leur propre élan.  « On est un peu cuisiniers, chacun à notre manière », sourit Basile. Pour Roman, « C’est un terrain de jeu, une respiration. Ce qu’on ne peut pas faire au Mas, on l’imagine ici. »

Un lieu de lente gestation

Soudain, tout devient possible. On y expérimente, on tente, on se trompe parfois, mais on avance toujours avec humilité. Longtemps mûri à cinq, autour d’un café ou d’un souvenir, le projet s’est construit sans bruit. « On avait ces vignes, ce terroir, ces vieux carignans sur calcaire actif. Des parcelles qui ne rentraient pas dans la logique du Mas, mais qui avaient une vraie personnalité. Alors on s’est dit : et si on leur offrait un autre destin ? », raconte Basile.

Aujourd’hui, Atelier Guibert travaille 14 hectares de vignes en propriété et en fermage, et dispose de son propre chai au cœur du nouveau bâtiment logistique de la vallée du Gassac. Des collaborations avec des “viticulteurs-tâcherons” sont aussi envisagées pour élargir le champ des possibles. En parallèle, les premiers essais de micro-vinifications permettent d’imaginer des cuvées très confidentielles, de l’assemblage intuitif à l’expérimentation végétale. Les palox, utilisés pour récolter et stocker les raisins en petites quantités, offrent ici une souplesse logistique précieuse — jusqu’à accueillir parfois quelques essais fermentaires atypiques.

Le travail par petites touches, cuvée par cuvée, s’affine millésime après millésime. Des cuvées à venir sont déjà en bouteille, d’autres encore en élevage. « On est en 2025, mais on pense déjà à 2027, à ce qu’on peut faire mieux, autrement, plus simplement ou avec plus d’émotion », confie Basile.

Moins d’interventions, plus d’intentions

La cave permet toutes les audaces. Macérations carboniques, grappes entières, expérimentations naturelles, vinifications sans soufre ajouté… Ce laboratoire de campagne fonctionne à l’instinct, mais sans compromission. « La rigueur de l’hygiène, c’est notre seule sécurité, souligne Roman. Faire du vin nature, c’est à la portée de tout le monde. Faire du vin nature sans déviance, c’est autre chose. » Sous les mains, des vins vivants. Pas des monstres d’extraction. Pas des canons calibrés. Des rouges digestes, équilibrés, pleins d’éclat et de nuance.

À l’image de Genesis, un ovni infusé, entre rouge et rosé, né d’une demi-parcelle de Syrah et de vieux carignans. Ce vin sans soufre ajouté (0,3 g/l de SO₂ total), proposé à 14 €, incarne la sensibilité de la fratrie : un goût de liberté, mais toujours tenu par la justesse. « Dans un marché chahuté et tendu, on n’a pas la prétention de bouleverser les codes, exprime Samuel. On veut juste faire des vins justes. Et laisser, au fond du verre, l’envie d’y revenir. »

La suite ? Difficile à dire. Ce n’est pas tant une marque qu’un mouvement. Atelier Guibert avance à pas lents, mais sûrs. Sans bruit. Et sans Gassac sur l’étiquette. Par choix. Pour laisser parler le vin avant le nom. Pour ne pas peser sur la bouteille l’histoire d’un autre.

Terre de Vins aime

La Syrah 2020

Issue d’un parcellaire complanté entre 1986 et 2003 sur des sols mêlant galets roulés, limons et sables, cette Syrah 100 % vinifiée à l’Atelier détonne par son profil inattendu. Mentholée, verticale, traversée d’une acidité presque exagérée, elle évoque les versants frais du Rhône nord plus que les canons languedociens.

Vinifiée avec précision, élevée quatre ans et proposée à 18 €, cette cuvée rare (moins de 1000 bouteilles) a très vite trouvé preneur. À contre-courant, cette Syrah exprime avec éclat l’ambition d’Atelier Guibert : laisser le terroir respirer, sans filtre ni maquillage, et proposer des émotions pures à ceux qui les cherchent.