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Famille Cazes : 150 ans de légende médocaine

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De gauche à droite Jean-Charles, André et Jean-Michel Cazes. ©Château Lynch-Bages

Auteur

Jean-Charles
Chapuzet

Date

14.10.2025

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Lynch-Bages, Ormes de Pez, Haut-Batailley, autant de châteaux célébrés par la famille Cazes, autant d’aventures dont l’origine remonte à 1875. Retour sur une acculturation médocaine viscérale et sans pareille qui perdure depuis un siècle et demi. 

Jean-Charles Cazes s’amuse de quelques chances qui ont fait basculer l’histoire de sa famille : l’incendie d’une boulangerie qui décida son arrière-grand-père à s’intéresser à la vigne, un grand-père refusant d’entrer à polytechnique pour s’affairer avec succès aux destinées du château Lynch-Bages. « Les hasards de la vie et la force des décisions de mes aïeuls forment une histoire d’un siècle et demi, cet anniversaire constitue un hommage », confie-t-il au bord d’une cheminée qui crépite, un verre de champagne à la main. 

Il descendait de la montagne

L’anniversaire entend un début de quelque chose, le « il était une fois », un coup de starter, une naissance, un big-bang. « Mes ancêtres viennent des montagnes d’Ariège. Véritables rois de la pioche, les Montagnols ont émigré en Médoc au 19e siècle pour défricher et planter la vigne. L’invasion du phylloxéra qui entraina la perte, puis la replantation du vignoble, leur donna pour longtemps de l’ouvrage. Mon arrière-grand-père Jean Cazes est l’un d’eux. Né en 1837, il s’établit à Pauillac en 1875 », peut-on lire dans le livre de Jean-Michel Cazes*, le père de Jean-Charles, parti pour le long voyage au mois de juin 2023 et sous les applaudissements spontanés de la foule massée à la sortie de l’église de Pauillac. Les frissons étaient là, aussi. 

Cet ancêtre posant sa maigre valise en 1875 était surnommé Lou Janou et difficile de croire qu’il ait pu lui aussi imaginer l’incroyable destinée de ses descendants. Avec Angélique, ils ont trois enfants et finissent par avoir un lopin de vignes. Jean-Charles, le benjamin, choisit le métier de son beau-père, boulanger. Passé l’enfer des tranchées, il retourne à son laboratoire jusqu’à ce jour de l’année 1924 où son métier part en flammes. Il devient factotum, un peu banquier, un peu assureur, un peu vigneron et régisseur en prenant petit à petit les commandes d’un grand cru classé 1855, le château Lynch-Bages. Nous sommes dans les années 1930, ces domaines ne valent plus rien. « Tout est vendu à la casse, c’est toujours riche d’enseignement de connaître ces crises… », souligne Jean-Charles Cazes en 2025, l’arrière-petit-fils éponyme alors confronté aux actuels vents contraires.

De boulanger à vigneron

L’ancien boulanger acquiert le château Lynch-Bages, mais aussi, à Saint-Estèphe, le château Ormes de Pez. Une nouvelle guerre étouffe le monde et un de ses enfants, André, est fait prisonnier en Silésie. C’est lui qui, avant la guerre, pour des raisons de santé, préfère ne pas entrer à polytechnique – contrairement à deux de ses frères – pour rejoindre son père. D’abord aux assurances puis dans les années 1960 en reprenant les rênes des propriétés viticoles. André est un développeur, il agrandit les vignobles, structure la commercialisation, booste le cabinet d’assurances et tâte même de la politique, maire de Pauillac et conseiller général. Il est partout. « Son influence est déterminante, mon père ne le rejoint qu’au début des années 1970, après une première vie en tant qu’ingénieur notamment chez IBM », raconte Jean-Charles.  

L’œuvre d’un certain Jean-Michel…

André et Claudine – née Lavinal – ont eu trois enfants** dont en effet l’ingénieur Jean-Michel. Lorsqu’il revient auprès de son père, le Médoc vinique est à nouveau plongé dans les turpitudes de la crise. Le choc pétrolier fait dévisser le marché du vin, y compris les grands crus classés. Les banquiers respirent sous l’eau de l’estuaire avec des roseaux : rien ne va plus.

Rompu à la pratique de l’anglais et de l’ordinateur, Jean-Michel va embrasser les propriétés familiales, les moderniser comme jamais et porter la marque Lynch-Bages à son climax. L’internationalisation du marché des vins dans les années 1980 et 1990 est une aubaine et JMC n’est pas du genre à louper les trains. Il voyage, plaide, séduit, chapeaute la Commanderie du Bontemps, le tribun fait rire et pleurer devant 5 ou 500 personnes, à la guinguette du coin comme dans les salons du Quai d’Orsay : la Fête de la Fleur organisée à Lynch-Bages en 1989 consacre la propulsion de ce grand cru classé 1855.

©Château Lynch-Bages

... un homme viscéralement attaché à son territoire

Il sent les choses et s’entoure, Daniel Llose à la partie technique, pour ne citer que lui. Jean-Michel Cazes est aussi l’homme d’AXA Millésimes dont l’investissement phare est le château Pichon Baron, en terre… médocaine. Elle illustre l’attachement viscéral d’un homme à ce territoire, cette presqu’île de graves où est venu piocher son ancêtre montagnol. Plus encore, la renaissance du village de Bages sous son impulsion avec l’ouverture d’une boulangerie, d’une boucherie, d’un café, le Lavinal, où l’on peut déguster la cuvée Lou Janou…

L’idée est de promouvoir cette langue, de la boire, de la faire découvrir, de l’habiter. Vivre, vivre en Médoc, l’idée d’une vie à laquelle son fils, Jean-Charles, continue de souscrire. Jean-Michel et son épouse Thereza l’installent aux commandes au milieu des années 2000. Avec ses sœurs Kinou, Catherine et Marina, Jean-Charles ajoute un nouveau grand cru classé 1855 dans le giron Cazes avec le Château Haut-Batailley, ce Pauillac qui caresse Saint-Julien. 

La cinquième génération aux commandes

Cette cinquième génération voit aussi naître en 2022 le nouvel édifice du château Lynch-Bages dont la famille confie la réalisation à l’architecte Didi Pei. « Il entretient des liens avec ma famille depuis de nombreuses années : il a rencontré mon père pour la première fois en 1985 lorsqu’il travaillait avec le sien (Ieoh Ming Pei) sur le projet de la Pyramide du Louvre à Paris. J’aime l’idée de transmission à la fois dans son histoire, et dans la nôtre. Il partage aussi notre philosophie d’ouverture au monde, par sa double culture et sa parfaite connaissance de notre pays », explique Jean-Charles Cazes. 

La veille de son départ, Jean-Michel débattait avec ses enfants de l’endroit où serait posée une sculpture commandée à l’artiste aquitain François Didier. Elle trône désormais devant l’entrée du château Lynch-Bages et représente des formes humaines stakhanovistes avec des pioches sur l’épaule s’extrayant d’un relief tout en verticalité pour se fondre dans l’horizontalité d’un paysage peigné de vignes. Le bronze pèse 150 ans.

*Bordeaux Grands Crus, La Reconquête, Glénat, 2022.

**La benjamine Sylvie Cazes s’occupera de la communication de Lynch-Bages avant notamment de reprendre le château Chavin et de devenir la présidente de l'Association des Grands Crus Classés de Saint-Émilion.