Mercredi 12 Novembre 2025
Franck Chaumès (Umih), Gabriel Picard (FEVS), Jean-Pierre Cointreau (Maison des Vins & Spiritueux), et Guillaume Girard-Reydet (FFS) ©F.Hermine
Auteur
Date
10.11.2025
Partager
Après que le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026 a été débattu ce week-end à l’Assemblée nationale, la filière française des vins et spiritueux, appuyée par l’Umih (Union des Métiers et des Industries de l'Hôtellerie), pousse un « ouf » de soulagement. Elle dénonçait la semaine dernière une « surenchère fiscale » susceptible de mettre à genoux un secteur déjà en grande difficulté et s'inquiétait sur le dépôt d'une série d’amendements jugés « alarmants » et « déconnectés de la réalité économique ». Pour l'instant, plus de peur que de mal.
Seul l'amendement sur la taxation des prémix a été voté ce week-end à l'Assemblée Nationale. Au total, c'étaient près d’une vingtaine de propositions qui avaient été déposées dans le cadre du PLFSS : déplafonnement de la hausse annuelle des accises sur l’alcool, extension de la cotisation « Sécurité sociale » à l’ensemble des boissons alcoolisées, taxe de 3 % sur les dépenses publicitaires liées à la promotion des alcools, création d’un prix minimum de vente fixé à 0,60 € par centilitre d’alcool pur, ou encore taxation spécifique des boissons dites « prémix ». Plusieurs de ces mesures, soutenues notamment par des associations de prévention comme France Addictions, visaient officiellement à renforcer les dispositifs de santé publique, notamment vis-à-vis des jeunes consommateurs. Mais pour la filière, elles constituent un empilement de contraintes fiscales sans vision globale.
Réunis jeudi dernier au sein de la Maison des Vins & Spiritueux, la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux (FEVS), la Fédération Française des Spiritueux (FFS), la Fédération Française des Vins d’Apéritif (FFVA) et l’Union des Maisons et Marques de Vin (UMVIN) ont tenu à alerter l’opinion publique. « Indexer les taxes sur l’inflation, c’est installer une hausse automatique et mécanique, totalement déconnectée de la réalité économique », dénonçait Jean-Pierre Cointreau, président de la Maison des Vins & Spiritueux. « Nos établissements sortent d’années très difficiles : énergie, matières premières, loyers, salaires… chaque poste a explosé. Quelques centimes de plus sur un verre ou une bouteille peuvent faire la différence entre survie et fermeture. » Les professionnels rappellent qu’une bouteille de spiritueux à 40° vendue 18 € en grande surface est déjà constituée à 72 % de taxes, soit plus de 13 € revenant directement à l’État. « Nous sommes déjà parmi les plus taxés d’Europe, et pourtant, ces politiques ne réduisent pas la consommation nocive », rappelle Guillaume Girard-Reydet (FFVA) en citant les exemples de l'Ecosse, du Portugal ou de la Belgique où « ces dispositifs n’ont pas fait baisser la consommation mais ont fragilisé les cafés, hôtels et restaurants et encouragé le commerce transfrontalier ».
Cette surenchère intervient dans un contexte économique particulièrement tendu. La consommation d’alcool en France a chuté de 60 % en soixante ans et recule désormais de 4 à 5 % par an. Les marchés à l’export, piliers du secteur, se sont brutalement contractés enregistrant à fin août (en cumul annuel mobile) un recul de 5 % en valeur, de 3 % en volume: « Nous avons divisé par deux notre activité en Chine en un an, principalement avec le cognac et l’armagnac », analyse Gabriel Picard ( FEVS). « On est à moins 700 millions d'euros sur un chiffre d'affaires de 2,3 milliards l'an dernier. Et dans le même temps, les expéditions vers les États-Unis ont chuté de 50 %. C’est un recul colossal et les perspectives sont très mauvaises pour le second semestre et pour début 2026 »
Ce ralentissement pèse lourd sur une filière dont plus de la moitié du chiffre d’affaires dépend de l’international et qui représente le troisième excédent commercial de la France, à hauteur de 15 milliards d’euros. « Quand on veut exporter, il faut commencer par être fort chez soi. On a besoin d'être aidé et d'être soutenu, en tout cas de ne pas être pénalisé ni attaqué en permanence en matière de fiscalité ou de communication. Il faut cesser de se tirer des balles dans le pied : chaque décision fiscale mal calibrée a des conséquences directes sur notre compétitivité à l’étranger.»
L’inquiétude est d’autant plus forte que d’autres projets fiscaux, a priori extérieurs à la filière, pourraient se retourner contre elle. C’est le cas de la taxe sur les services numériques, dite taxe Gafam, dont le taux devrait passer de 3 % à 6 % avec un seuil d’application à 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. « Dans l’esprit du législateur, cette taxe vise les géants américains. En réalité, c’est un chiffon rouge pour Trump », surenchérit Gabriel Picard. Les États-Unis vont forcément réagir et comme toujours, les premiers visés seront les vins et spiritueux français. »
La filière redoute une nouvelle salve de mesures de rétorsion commerciales, à l’image de celles déjà subies dans le passé. « Les politiques devraient agir avec stratégie et non sous l’émotion. Plutôt que de tendre des perches à des conflits douaniers, la France devrait s’organiser pour développer des acteurs européens du numérique, avec des serveurs en Europe. Aucun autre pays n'a voté ce genre de texte et pris le risque de confrontation directe. ». Lors d'une rencontre avec la ministre de l'Agriculture et de l'Agro-Alimentaire Annie Genevart, les représentants de la filière ont donc exposé leurs attentes et sollicité son soutien pour convaincre le Sénat de revenir sur cette fameuse taxe Gafam.
Dans le contexte actuel, la filière, tout en se félicitant de participer activement à la consommation responsable, ne peut que constater que les marges s’érodent sous la pression conjuguée de l’inflation et de la grande distribution. « Depuis le Covid, le coût du verre a bondi de plus de 50 %, celui des matières premières s’envole, et nos marques sont sous pression constante de la distribution, qui cherche à déflater les prix alors que nos coûts augmentent » s'alarme Guillaume Girard-Reydet, ne pouvant qu'acter des effets croisés dévastateurs : baisse de la consommation intérieure, explosion des coûts de production, difficultés du secteur CHR ( 25 établissements ferment chaque jour). Et Jean-Pierre Cointreau, (FFS) de rappeler que les vins et spiritueux représentent plus de 600 000 emplois, si l’on inclut les pépiniéristes, tonneliers, verriers, logisticiens, cavistes et restaurateurs : « Fragiliser cette filière, c’est mettre en péril tout un pan de notre économie locale. »
Les organisations professionnelles dénoncent également la logique cumulative des propositions parlementaires avec de nouvelles attaques budgétaires régulières, « toujours sous couvert de santé publique », estime Guillaume Girard-Reydet « Ces dispositifs, en réalité, n’ont aucun effet probant sur la consommation excessive, mais un impact direct sur l’emploi et la compétitivité. Nous sortons à peine d’une période de hausses inédites : énergie, matières premières, salaires, loyers. Ajouter des taxes, c’est mettre la tête sous l’eau à des milliers de petites entreprises ».
Les professionnels de la filière mettent aussi en garde contre les effets pervers de certaines mesures. L’instauration d’un prix minimum, expérimentée en Écosse ou en Belgique, n’a pas prouvé son efficacité en matière de réduction de la consommation excessive. La FFS estime que la taxe publicitaire de 3 %, aurait un rendement inférieur à son coût de mise en œuvre, en ciblant un secteur déjà soumis à la loi Evin, l’une des plus restrictives d’Europe. En revanche, les représentants de la filière soutiennent la taxation des prémix, le seul amendement sur l'alcool qui a été voté vendredi dernier. Il cible les boissons énergisantes alcoolisées, en particulier le Vody, un mélange de vodka et de boisson énergisante (taurine, sucre, caféine) dont la teneur en alcool grimpe entre 18 et 22% d'alcool pour une canette de 25 cl. à 3,50 € (vs ses concurrents autour de 5 à 7%). Selon France Assos Santé, l'étiquette avec la mention « energy drink» et non « boisson spiritueuse » obligatoire au-delà de 15 % et le sucre qui masque le goût de l'alcool, facilite la surconsommation du produit et le « binge-drinking ».

Articles liés