Jeudi 12 Décembre 2024
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13.09.2012
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Eric de Rothschild, propriétaire du légendaire Château Lafite-Rothschild, a accordé une interview exclusive à « Terre de Vins ». Voici les morceaux choisis d’un entretien à retrouver en intégralité dans notre numéro 19, actuellement en kiosques.
Propriétaire avec sa famille du Château Lafite-Rothschild, premier grand cru classé en 1855, Éric de Rothschild accompagne de Paris l’évolution de cette propriété prestigieuse depuis bientôt quarante ans, tout en se rendant régulièrement à Pauillac où il aime se retrouver en famille. Propriétaire avec son frère David de la banque du même nom, où il nous a reçu dans le 8ème arrondissement, Éric de Rothschild, livre à « Terre de Vins » son regard sur le marché du vin, la stigmatisation des banques, ses projets et le judaïsme. Morceaux choisis.
Tout a commencé en 1868, lorsque votre ancêtre James de Rothschild, premier Français de la lignée, acheta le déjà célèbre cru Château-Lafite, à Pauillac. Cinq générations de Rothschild s’y sont succédé depuis. Comment s’incarnera l’après-Éric de Rothschild ?
Il faudra trouver une ou un impétrant pour venir s’en occuper, car c’est toujours indispensable que quelqu’un de la famille se passionne pour l’endroit. Ce n’est pas un sacerdoce. J’ai une fille que ça intéresse beaucoup. Elle s’appelle Saskia. Mes deux autres enfants sont Pietro, qui fait des études d’architecture à Londres, et James, qui suit des études de littérature. Mais il n’y a pas un monopole de notre branche de la famille pour gérer Lafite. Il y aura peut-être d’autres impétrants qui auront cette passion.
Quel est l’agenda type d’Éric de Rothschild entre Paris, Pauillac et le reste du monde ?
Je suis assistant social, banquier et vigneron. On peut le dire aussi dans l’autre sens : l’hébreu se lit de droite à gauche. Je suis là où il faut être. Je voyage beaucoup, en Amérique du Nord, du Sud, en Extrême-Orient et, bien entendu, en Europe. Je vais voir nos propriétés. « L’œil du maître fait grossir la vache » est un proverbe hongrois qui me semble exact. Nos propriétés d’Amérique du Sud sont très belles, et c’est un grand plaisir d’être là-bas.
« Un Rothschild qui n’est pas riche, pas juif, pas philanthrope, pas banquier, pas travailleur et qui ne mène pas un certain train de vie n’est pas un Rothschild », avait coutume de dire Edmond de Rothschild. Vous reconnaissez-vous dans cet adage ?
Je ne me reconnais pas dans cet adage. On peut être un merveilleux Rothschild en n’étant pas banquier. Il y en a énormément qui ont été de formidables personnages, ne serait-ce que Philippe, qui n’était pas banquier. Il était un poète. Il se disait poète. C’était néanmoins un formidable homme d’affaires qui a fait fructifier Mouton de façon tout à fait extraordinaire. Ma cousine Emma, qui est professeur à Cambridge, à Harvard, et qui a écrit des livres économico-historiques passionnants, me paraît tout aussi Rothschild que n’importe qui d’autre de la famille. Un Rothschild qui n’aime pas la qualité ne serait probablement pas un Rothschild. Le fait d’aimer la qualité et de tendre vers la perfection est l’une des caractéristiques de la famille. Chaque fois qu’ils se sont lancés dans des aventures (la philanthropie, les sciences, les collections de tableaux, de gravures ou de timbres…), ils ont toujours cherché à être à la pointe des choses.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la crise et sur la stigmatisation des banques ? Les riches, le grand capitalisme sont montrés du doigt. Comment le vivez-vous personnellement ?
C’est le retour de balancier classique, la facilité de la dette à tous les niveaux, au niveau des gouvernements ou des particuliers… Tout cela a été une période où l’on a laissé filer la bonne gouvernance pour des raisons diverses. Il est extraordinairement facile de mettre le doigt sur la finance, en oubliant qu’entre-temps beaucoup de gens en ont beaucoup profité. L’évolution du niveau de vie a été assez extraordinaire. Je me souviens, quand on allait chasser en Espagne dans les années 1970, les rabatteurs étaient quasiment pieds nus. Aujourd’hui, tout le monde est en Reebok et arrive en voiture. Ils ont des dents magnifiques qui ont toutes été refaites. On oublie cette extraordinaire évolution. Comme toutes les bonnes choses, la fin des cycles traduit un excès. C’est facile de hurler contre un certain nombre d’excès, de choses qui sont venues du système qui n’a pas su se réguler. On va vivre cinq ou six années difficiles. Tout le monde a vécu au-dessus de ses moyens. Quand on est trop endetté dans une famille ou dans un État, il faut remettre les pieds sur terre. La ponction des riches ne fera qu’une toute petite partie du chemin pour rétablir les équilibres. Taper contre les riches vous fait peut-être élire mais ne résout pas le problème. Il y a un double langage.
Au niveau du seul château Lafite, ne pensez-vous pas que les prix pratiqués, qui placent la bouteille à 1 500 € environ, renforcent cette image d’argent facile et de luxe ostentatoire ?
On n’est pas les seuls. La leçon de base de l’économie est l’offre et la demande. Les premiers crus, tous ensemble, nous produisons peut-être 100 000 caisses par an, en ajoutant Cheval Blanc, Petrus et Yquem. 100 000 caisses ! Or émerge partout dans le monde une population de plus en plus consciente du luxe et de la qualité. Le marché chinois n’est que la énième vague qui est arrivée depuis que je m’occupe de Lafite. Il y a eu le Japon, les États-Unis et la passion américaine, puis les Russes, puis les gars des « hedge funds » et aujourd’hui les Chinois, les Indiens, les Brésiliens… Mais ces prix très élevés nous font malheureusement perdre un certain nombre de vieux clients connaisseurs, et je le regrette.
Et que dites-vous aux consommateurs français, qui ont totalement décroché…
Si on trouve un magnum de 59 à 3 000 ou 4 000 € que l’on va boire avec sa femme ou trois amis, c’est comme si on s’offrait un voyage, un voyage extraordinaire et absolument unique. Je comprends tout à fait que des gens déclarent ne pas vouloir payer un tel prix et préférer dépenser autrement leur argent. On peut considérer que c’est amoral, mais c’est un fait. Il y a de plus en plus de demande pour nos vins, et l’offre reste identique, voire plus faible, car en raison des efforts de qualité, les propriétés produisent des quantités inférieures.
Les prix des grands crus de bordeaux fluctuent et, côté négoce, les prix sont passés en quelques semaines de 1 300 à 800 €. Ne craignez-vous pas un désamour des nouveaux acheteurs chinois qui pourraient avoir le sentiment d’avoir été trompés ?
Il faut répondre aux acheteurs qu’ils n’achètent pas le vin pour en faire une spéculation. Le vin n’est pas une bonne spéculation. Quelle est la bonne valeur ? Je ne sais pas. Je vois à quel point les Chinois sont intéressés. Les vrais connaisseurs ne nous lâcheront pas. J’ai un conseil à donner à toutes les personnes qui aiment le vin et veulent apprendre à l’apprécier : à chaque repas de dégustation, il faut toujours mettre deux ou trois vins intelligemment choisis, et c’est en appréciant la différence entre chacune de ces bouteilles (son origine, son millésime) que l’on comprend vraiment la subtilité et la beauté de nos productions.
Propos recueillis par Rodolphe Wartel.
Photo Alain Robert.
Retrouvez l’intégralité de l’interview dans le numéro 19 de « Terre de Vins », actuellement en kiosques, ou abonnez-vous ici.
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