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Bollinger : la botte secrète

Auteur

Yves
Tesson

Date

16.11.2023

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À l’occasion de la sortie de sa cuvée PN AYC18, le champagne Bollinger nous a présenté son incroyable bibliothèque de vins de réserve. L’une des spécificités de la maison est en effet d’intégrer une part de magnums tirés en quart de mousse qui sont ensuite « remis en cercle », c’est-à-dire transvasés en cuve, pour rejoindre l’assemblage avant un nouveau tirage en bouteille et une nouvelle seconde fermentation. Un travail titanesque, mais pour quelle plus-value ?

L’utilisation dans les assemblages de la Maison Bollinger de vins de réserve conservés en bouteille remonte au XIXe siècle. À cette époque, l’inox n’existait pas, le sulfitage non plus. Les Champenois utilisaient exclusivement des foudres ou des fûts, si bien qu’on employait rarement des vins de réserve de plus de deux ou trois ans par peur d’une oxydation précoce. En choisissant de tirer les vins de réserve en quart de mousse dans des flacons, on limitait cette oxydation, d’une part parce que le verre est hermétique et d’autre part parce que les lies générées par la seconde fermentation ont un pouvoir antioxydant. L'option d’un tirage à 1,4 bars, plutôt qu’à 6 bars résultait de la fragilité des flacons de l’époque et du risque de casse. C’est ce qui explique aussi que l’on préférait souvent la bouteille au magnum. Ce dernier contenant n'est devenu systématique qu’à partir de 1945. La Maison possède ainsi une « galerie de vins de réserves » unique en Champagne, puisqu’on y trouve des millésimes s’échelonnant de 1893 à aujourd’hui sur une vingtaine de crus ! Elle offre ainsi la possibilité de comparer les capacités de vieillissement entre les terroirs sur plus d'un siècle, alors que la plupart des oenothèques ne conservent que des vieux champagnes dont la composition allie des dizaines de crus différents.

Pour autant, la maison ne recourt jamais dans ses assemblages à des magnums de plus de quinze ans. La raison ? Autant le bouchon à partir de cinq ans limite davantage que la capsule l’entrée d’oxygène, autant après vingt ans, les résultats sont plus variables. Bollinger travaille d’ailleurs avec les bouchonniers pour que soit mis en place un cahier des charges plus exigeant sur les bouchons de tirage. « Jusqu’à une époque récente, on utilisait les mêmes bouchons pour l’expédition que pour la conservation sur lie » confie Denis Bunner, le chef de caves. Ces magnums de réserve plus anciens permettent donc surtout aux œnologues de « refaire leurs gammes régulièrement et de mieux comprendre le vieillissement en magnum. Nous avons par exemple étudié des molécules dont on a découvert qu’elles étaient à l’origine des arômes de noisette fraîche. On s’aperçoit que leur nombre augmente avec le temps et ce d’autant plus dans un milieu aussi réducteur. En revanche, tous les millésimes n’en génèrent pas autant ». 

L’apparition de l’inox n’a pas remis en cause l’usage de ces magnums. En effet, même si les cuves sont plus hermétiques que les foudres, de l’oxygène rentre encore par le chapeau. « On est régulièrement obligé de les reremplir et de les resulfiter. C’est la raison pour laquelle si nous utilisons une part de vins de réserve en inox, nous ne les conservons jamais plus de quatre ans. » La Maison ne rejette toutefois pas l’intérêt d’une certaine oxygénation, mais elle préfère pour ses vieux vins la micro-oxygénation apportée par la vinification sous bois. Voilà pourquoi tous les vins de réserve tirés en magnum sont d'abord passés par les fûts pour équilibrer le caractère réducteur que tendra à leur donner le magnum. Cette micro-oxygénation est d’ailleurs très précisément dosée. C’est ce qui a conduit notamment à l’abandon du soutirage en fontaine des tonneaux au profit de la canne sous pression.

Avec près de 900.000 magnums stockés qui représentent dans la maison 30 à 40 % des vins de réserve, l'objectif est de constituer « des bombes aromatiques ». « Nous attendons d’avoir ces notes intenses de fruits secs, ce parfum de noisette fraîche, ainsi que l'apparition des épices. Cette évolution survient d'habitude à partir de sept ans. Les arômes de réduction arrivent plus tôt, au bout de trois ans, avec des premières notes parfois pétrolées, mais celles-ci vont s’estomper pour laisser place au toasté que nous recherchons. »

Si ces magnums constituent 5 % de la "Spécial cuvée" (le BSA de la Maison), dans la nouvelle gamme PN elles forment 25 % de l’assemblage. L’un des objectifs de ces blancs de pinot noir était en effet de mettre en lumière ce trésor tout en mettant en avant le cru qui s’est le mieux défendu sur l’année principale de l’assemblage. Le dernier né, PN AYC18, a ainsi pour base 2018, avec une majorité de vin d’Aÿ, complétée de vins de Tauxières et de Verzenay. Mais le millésime étant très solaire, on a pu l’équilibrer en ajoutant 25 % de vin d’Aÿ en magnum de 2009, une année qui avait davantage de fraîcheur. Le reste est constitué de vins de réserve conservés en inox de 2016 et 2017. Le résultat ? Un vin qui a à la fois du volume et de la tension, avec des notes de cèdre, de safran, de coing et de beaux amers de fin de bouche qui se fondent avec la touche boisée. Un très beau champagne de Noël à déguster avec une volaille à la crème de morilles.(125€)