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Canard-Duchêne : l’assemblage, une affaire d’intuition

Auteur

Yves
Tesson

Date

18.02.2021

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En Champagne, c’est la saison des assemblages, ce moment clef où le chef de caves déguste les vins clairs pour constituer ses futures cuvées, avec un objectif, retrouver le style qui fait l’identité de la Maison. Terre de Vins vous emmène chez Canard-Duchêne, où Laurent Fédou nous a initiés aux mystères de cet art très intuitif.

Laurent Fédou, chef de caves de la Maison Canard-Duchêne, a accepté de nous recevoir pour nous faire découvrir sa manière très personnelle d’assembler les vins. Pour lui, tout commence par l’épreuve du doute : « Est-ce que je vais y arriver ? Est-ce que je suis prêt ? Est-ce que je connais assez ma cuverie ? » Le défi est chaque année d’autant plus redoutable que chez Canard-Duchêne, on travaille sans recette. On ne détermine pas à l’avance, selon la cuvée, la proportion de tel ou tel cépage, ou de telle ou telle région… D’ailleurs, pour se mettre à l’abri des préjugés sur les caractéristiques qu’on prête aux différents crus, Laurent Fédou compose à l’aveugle. Il ne veut se fier qu’à son intuition. Il n’est pas rare de voir ainsi un grand cru, d’habitude élégant, frais, structuré, ressortir plat, avec des arômes végétaux, alors qu’un village un peu moins prestigieux de l’Aube offre un feu d’artifices de sensations.

Quant aux repères analytiques, ils ne sont d’aucune aide. « J’ai retrouvé des cahiers d’assemblage vieux de trente ans. C’était beaucoup plus normé, on s’appuyait sur les analyses de laboratoire, on regardait le pH, en se disant attention il faut rajouter de l’acide. Aujourd’hui, on ne corrige plus avec les analyses, elles ne sont réalisées qu’à postériori, à titre informatif, comme un élément de compréhension. Il faut se dire qu’autrefois on élaborait d’abord du champagne alors qu’aujourd’hui on crée un vin. »

Un code couleur pour chaque échantillon

Pour cette future cuvée millésimée 2020 à laquelle il s’attelle devant nous, Laurent a aligné devant lui 14 échantillons. Il les déguste un par un, notant ses observations avec un certain nombre de critères : fraîcheur, longueur aromatique, qualité, corps, puissance. Il utilise aussi un code couleur. « Si on est sur des fruits tendres, je vais mettre rose girly, un vin très citronné, jaune… De cette manière, quand je veux ajouter une dimension qui me manque, je sais quelle couleur je cherche, c’est plus rapide que de relire toutes mes notes ». Le chef de caves se transforme ainsi en peintre impressionniste nous plongeant dans l’univers rimbaldien des correspondances poétiques entre les sens.

On pourrait s’attendre une fois cette première dégustation terminée à voir le chef de caves procéder de manière progressive : assembler d’abord deux échantillons ensemble, déguster cette première addition, puis compléter avec un autre échantillon et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ait rempli son éprouvette. Il n’en est rien. Laurent Fédou s’appuie d’emblée sur ce qu’il a noté et mémorisé lors de la première dégustation, pour réunir en une seule fois dans l’éprouvette les différentes proportions d’échantillons qui selon lui permettront d’élaborer la cuvée. Et il procède directement à la dégustation du résultat final. En fonction de ce qu’il observe, il peut procéder à d’autres essais en composant de nouvelles versions. « Mais ces deuxièmes ou troisièmes opus ne sont souvent que des ‘bâtards’ qui me servent surtout à confirmer la pertinence du premier opus. Ils sont là pour me rassurer. Tu te dis je vais mettre un peu plus de fraîcheur, et effectivement tu obtiens quelque chose d’un peu plus frais, mais avec moins de personnalité ».

Ce travail très fin a participé au nouvel élan de cette vieille Maison (1868) après son rachat par le Groupe Thiénot. « La marque avait gardé une notoriété très forte. Mais pour beaucoup de gens, c’était surtout le champagne qu’ils avaient bu avec leurs grands-parents ». Laurent Fédou a alors opéré tout un travail de repositionnement en commençant par exclure une partie des stocks qu’il estimait non conformes aux nouvelles attentes des consommateurs. Il a aussi fait de Canard-Duchêne la première Maison de négoce à se lancer dans le bio, avec une cuvée certifiée dès 2009, pour un tirage qui représente aujourd’hui 180.000 bouteilles, soit sur ce segment plus de 50% de la distribution en France. « C’était la meilleure manière d’annoncer cette renaissance. Au début la clientèle n’a pas été très réceptive. Le bio dans le vin n’avait pas encore la cote. Aujourd’hui, nos bouteilles sont contingentées »

(P. 181 – Extra brut – Bio 27,50 €).

www.canard-duchene.fr