Accueil Champagne Lallier : quand les meuniers chardonnisent et les chardonnays pinotent !

Champagne Lallier : quand les meuniers chardonnisent et les chardonnays pinotent !

Dominique Demarville

Auteur

Yves
Tesson

Date

13.02.2023

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Avec des ventes en croissance de 20 % en 2022 et le projet de construction d'un nouveau chai à fûts et à foudres à Oger, le Champagne Lallier à Aÿ, racheté en 2020 par Campari, a le vent en poupe. Ses cuvées d’orfèvre n'y sont pas étrangères. Dominique Demarville, le chef de caves, a accepté de nous dévoiler une part de leur mécanique subtile lors d’une dégustation de vins clairs. L’occasion également d’évaluer l’impact réel des années chaudes sur le potentiel de fraîcheur du champagne…

Comme l’explique Dominique Demarville, le moment est bien choisi pour commencer à se faire une idée précise sur la qualité du millésime 2022 : « On rentre dans une phase où les vins deviennent plus expressifs, on retrouve un peu nos petits ! ». Les grands traits de l’année ? Le vin est bon partout, quel que soit le terroir. L’été très ensoleillé a également permis aux maisons d’avoir une grande latitude dans leurs choix de cueillette et d’opérer ainsi un travail précis pour se rapprocher au plus près des styles qu’elles recherchent dans leurs marques. « Autrefois, une vendange sur deux, on cueillait parce que l’on arrivait au mois d’octobre et qu’il n’y avait plus grand-chose à gagner. Au contraire, sur une année aussi précoce que 2022, on a pu vraiment choisir le moment de la cueillette en fonction du profil de vin que l’on recherchait. » La seule inquiétude de l’année serait des vins qui pourraient manquer d’acidité. En effet, si on suit les analyses, les acidités n’ont jamais été aussi basses depuis 2003 ! La dégustation des vins clairs proposée par Lallier permet cependant de nuancer le tableau. 

La Terre des basses vignes, un meunier de la Côte des blancs…

Première découverte originale, Dominique nous propose de déguster une rareté : un meunier de Cuis sur la Côte des blancs ! « Il provient du lieu-dit « La Terre des basses vignes ». Nous l’avons vinifié en utilisant des levures sélectionnées sur la parcelle. De cette manière, si nous voulons à terme en faire une cuvée parcellaire, nous aurons poussé la logique jusqu’au bout. » Ce qui est fascinant dans ce vin clair, c’est de voir à quel point le terroir prend le dessus sur le variétal. On a vraiment le sentiment d’avoir un meunier qui chardonnise, avec une petite acidité intéressante et une finale saline. Comment expliquer cette fraîcheur ? La craie joue certainement son rôle, et si certains craignent le réchauffement, ils oublient la spécificité du sol qui a sa part. L’âge avancé de cette vigne rentre aussi en compte (60 ans). « Dans les vieilles vignes, il y a moins de raisin et plus de bois. La maturité arrive donc plus vite et on gagne en sucre, mais aussi en acidité. »  Une fraîcheur par ailleurs très bien équilibrée par le gras et l’aspect charnu du vin.

On passe ensuite à un terroir plus spécialement dédié à ce cépage, sur la commune de Ville-Dommange, dans le Nord-Ouest de la Montagne désigné également sous le nom de Petite Montagne. « Le meunier a cette fois une expression plus classique sur les fruits blancs, la poire, mais aussi des notes d’agrumes. Il y a moins d’épanouissement au démarrage que sur le précédent vin, par contre on a un côté très ciselé. Dans la série R, jusqu’ici nous n’introduisions pas de meunier, mais avec la disparition de la Grande Réserve, nous commençons à l’intégrer et Ville-Dommange correspond typiquement au profil que nous recherchons. Car si ce Brut sans année est un assemblage où nous allons rechercher de l’épaule et de l’ampleur, le côté très strict, très précis sur l’acidité de ce vin clair, servira la fin de bouche. »

Après le Nord de la Champagne, cap plein sud, à Celles-sur-Ourse, dans l’Aube, « 15 % de nos approvisionnements proviennent de la Côte des Bar, essentiellement autour de Bar-sur-Seine et de la vallée de l’Ourse, même si nous avons aussi quelques livreurs dans la vallée de l’Arce. Pour moi, ce vin est tout à fait typique de ce que l’on a pu déguster sur la Côte des Bar cette année. La particularité en 2022, c’est qu’à maturité égale avec la Marne, ils ont obtenu plus d’acidité, puisqu’ici pour 10,6 degrés naturels nous avons 6,3 g d’acidité ! On a donc effectivement du charnu, mais aussi de la fraicheur et donc de l’élégance. On n’est pas sur un pinot noir qui va avoir vocation à apporter de la puissance. »

Retour dans la Marne, pour se pencher cette fois sur un pinot noir de la face Nord de la Montagne, assemblage de Verzy et Verzenay. « Il y a moins de matière, mais plus de profondeur. C’est un vin qui ne veut pas encore tout donner, un peu calculateur. Mais il est plus élégant. Il est typique de ces terroirs très crayeux et moins exposés ! On va le garder en réserve ou l’utiliser pour des cuvées à haut potentiel de garde. Avec un long vieillissement sur lie en bouteille, c’est le genre de vin qui peut nous emmener très loin. » L’acidité sur le papier n’est pas très élevée (5,3g), et on peut se demander d’où vient cette belle perception de la tension. « J’ai deux explications. D’une part, si on avait peu de malique, on avait beaucoup de tartrique et c’est ce qui demeure après la fermentation malolactique. L’autre caractéristique de l’année, c’est que nous avons peu de minéraux, c’est-à-dire peu de potassium. On n’a donc pas le côté masquant des minéraux, ce qui laisse plus de place à l’expression de l’acidité. » Ce vin pourrait servir au blanc de noirs de la Maison qui a l’art de conjuguer l’élégance de la face Nord avec la puissance et l’épaule de la Face Sud de la Montagne.

On terminera ce tour d’horizon en s’intéressant au chardonnay. L’une des pépites de la gamme est la cuvée parcellaire des Loridon à Aÿ, un cru plus connu pour le pinot noir (88 % de l’encépagement) « Sur cette vigne, nous aimons retarder la cueillette. Alors que la vendange a commencé fin août à Aÿ, elle a été récoltée les 4 et 5 septembre pour chercher davantage de matière. Ce sont des chardonnays très différents de ce que l’on attend, ils sont riches, puissants. Certains diront même qu’ils pinotent ! La perception de l’acidité reste limitée, avec une fin de bouche plutôt sur la douceur, la rondeur. On est déjà dans le côté beurré, un peu brioché, qui sont des arômes caractéristiques de la parcelle. » A noter que les vignes des Loridon sont aussi utilisées dans le blanc de blancs d’assemblage pour équilibrer la tension de chardonnays de la Côte des blancs et notamment ceux du Mesnil.

Terre de vins aime : La cuvée Réflexion R019 (38€)

www.champagne-lallier.com