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Fermages du Domaine de Chevalier entre qualité et audace

©Rodolphe Escher

Auteur

Michel
Sarrazin

Date

16.05.2023

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Le domaine de Chevalier, cru classé de Pessac Léognan, est dirigé par Olivier Bernard depuis 40 ans. Le savoir-faire du château a été mis à profit dans des fermages proches du château, tous situés dans la même appellation. Conversation sur les raisons de ces baux qui ont bien souvent représenté des défis.

Racontez-nous comment fonctionne le fermage du Domaine de la Solitude qui appartient à la Congrégation de la Sainte Famille et pour lequel vous avez un attachement particulier.
Lorsque j’ai signé ce bail en 1993, j’avais 33 ans et ce bail était de 40 ans. Cela me paraissait une éternité. En 2023, il nous reste 10 ans. Or, nous avons des investissements lourds à faire sur cette propriété en replantation et en bâtiments. Fallait-il investir chez un bailleur alors que vous savez que vous allez perdre votre investissement dans 10 ans ? C’est cette discussion que nous avons eue avec les sœurs propriétaires et en 2016, nous avons signé un nouveau fermage pour 40 ans et qui va nous amener jusqu’en 2056. La Solitude, c’est tout un ensemble à respecter, y compris la communauté de vie des religieuses qui y sont. C’est un sujet majeur.

Il y a un saut qualitatif important à la Solitude depuis quelques années et notamment sur le 2022. Pourquoi ?
Cette propriété était tenue de façon économique et pas suffisamment de façon qualitative. Il a fallu tout reprendre petit à petit : chai, bâtiments agricoles et vignoble. Et puis les vignes du domaine de la solitude sont enclavées dans la forêt. C’est donc un terroir un peu frais et donc tardif. Le challenge pendant des dizaines d’années a été de faire murir le raisin. Nous sommes aidés ces dernières années par le réchauffement climatique et donc les vins sont montés en qualité car nous avons des optimums de maturité qui sont atteints. « Donnez-moi un grand fruit et je vous ferai un grand vin » (NDLR : une devise qu’Olivier Bernard a fait sienne) : nous l’avons maintenant. Parallèlement à cela nous sommes partis vers le bio. Le premier millésime certifié bio sera 2023. J’ai la certitude que les raisins bio vont plus loin dans l’expression du terroir. Cette démarche bio concerne toute la SC du domaine de Chevalier : la Solitude, Lespault Martillac, Soubian, Poumey, et Clos des Lunes.

Qu’est-ce qui vous a poussé, il y a 15 ans, de prendre en fermage Lespault Martillac ?
C’est une pépite : un dôme de graves sur Martillac, avec un sol très profond et chaud. Et puis il y a des vieilles vignes qui avaient été bien plantées. Sauf que maintenant, avec le réchauffement climatique je mettrai un peu plus de cabernet sauvignon, même si les merlots s’en sont très bien sortis en 2022. Quant au blanc de Lespault, historiquement, il y a une vieille vigne de sauvignon blanc sur un terroir chaud. Pourtant, bien conduit, le sauvignon peut faire des vins incroyables, qui s’ouvrent plus vite bien sûr, et qui perdent leur caractère variétal au profit de vins assez gras, sur les fruits exotiques. Le sémillon participe au charme, mais il lui faut du temps dans la bouteille. C’est lui qui va enrober. Il est très complémentaire du sauvignon et je vois un retour en force légitime du sémillon.

Et les autres fermages ?
Il y a Poumey que nous avons repris en 2020. Il appartient depuis 1988 à la ville de Gradignan qui a voulu sauver le dernier vignoble de la commune. Une dizaine d’hectares dont on sent qu’il y a un potentiel. Et puis Soubian, 10 hectares sur Léognan. L’arrière grand-père avait fait une piste d’atterrissage pour son avion, au milieu des vignes, dans les années 30. Son fils arrachera les vignes après les gelées de 1956. Nous replantons sur un terroir de graves profondes sur argiles graveleuses : très intéressant.

Avez-vous fini par convaincre avec Clos des Lunes, ce Bordeaux sec fait sur le terroir de Sauternes ?
Si je n’ai pas convaincu, on a fini par me suivre ! La surface dédiée au blanc sec s’étend. Je pense être en partie responsable de cela. Si j’ai pu apporter ma pierre à l’édifice, dans la reconnaissance de cette région et sur sa rentabilité, en montrant que des vins blancs secs de qualité se vendaient bien, je serai très content de ce résultat. Pour moi, le terroir de Sauternes fait partie des cinq plus grands terroirs de blanc au monde. Aujourd’hui toutes les appellations du monde qui font du liquoreux font du sec qui porte le nom de l’appellation, sauf à Sauternes. J’avais milité pour créer une appellation qui s’appelle vin blanc sec de sauternes. C’était sans doute trop tôt.