Nous avons eu l’occasion de parler de la Bourgogne et de ses Grands Jours avec
Grégory Patriat, de la maison Jean-Claude Boisset (pour relire son interview, cliquez ici). C’est au tour de Matthieu Mangenot, jeune régisseur du Domaine Long-Depaquit (groupe Albert Bichot) de dresser un bilan des derniers millésimes à Chablis.
Comment s’est passée pour vous cette dixième édition des Grands Jours de Bourgogne ?
La journée du lundi, le premier des Grands Jours, se déroule à Chablis et l’événement est toujours assez suivi par les professionnels (acheteurs et journalistes, français et étrangers) qui constituent le public des Grands Jours. Je n’ai pas les chiffres officiels sous les yeux mais j’ai eu le sentiment qu’il y avait cette année encore plus de monde qu’il y a deux ans. Ce public plutôt nombreux manifestait en outre un vif intérêt pour l’appellation, une vraie curiosité pour les millésimes présentés, pas de lassitude, mais au contraire l’envie de découvrir et de comprendre. On peut en conclure que, malgré la morosité, le produit intéresse, même si des objections surgissent dès qu’on parle de prix… C’est particulièrement vrai pour le marché anglo-saxon, où on a le sentiment que les gens sont pris en otage par les taux de change et les augmentations récentes des droits d’accise… Ces augmentations de tarif au client final ne sont pas de notre fait (même si on a assisté à un échauffement des cours avant la crise en 2007) mais le prix reste un frein majeur aux décisions d’achat.
Quelles sont les (r)évolutions techniques que vous constatez ou avez constaté récemment à Chablis ?
On peut enlever le « r » : il est surtout question de glissements doux qui s’opèrent progressivement et, de manière assez générale, on ne peut pas parler de révolution carabinée à Chablis.
Le changement le plus visible à la vigne concerne notre gestion des sols. On est passé d’une politique de désherbage conventionnelle avec utilisation de spécialités herbicides à l’emploi d’autres techniques, plus respectueuse de l’environnement et de la vie des sols. Quant au passage à l’agriculture biologique, c’est timide, mais il y a bien là une brèche qui s’ouvre : il y a dix ou quinze ans on considérait que le climat de Chablis rendait la conversion au bio impossible. Aujourd’hui on s’y attaque et on ne parle plus d’« impossible », même s’il reste des freins majeurs et réels en terme de conditions climatiques. Sur un petit domaine familial, le bio profite de vignerons attentifs à surveiller les vignes sans compter leurs heures, alors que sur un gros domaine on se heurte à des horaires limités, la disponibilité des personnes est plus délicate à gérer… Mais là encore, plus personne n’écarte le bio en disant que c’est purement et simplement « impossible » : certains l’appliquent ici sur des surfaces respectables (25 à 30 ha).
C’est cependant à mon sens la question de fond à l’heure où nous réalisons, en collaborations avec la profession, le bilan carbone de notre activité : quid des passages répétés en tracteur pour la protection du vignoble ou l’entretien des sols ? Même si les doses admises sont désormais bien encadrées, qu’en est -il par ailleurs de l’impact du cuivre et du soufre sur le fonctionnement de nos sols viticoles ?
Quelque soit le mode de culture retenu, on ne peut cependant nier les apports positifs des préceptes de la bio ou de la biodynamie dans la façon de cultiver nos vignes (approche sols, désherbage mécanique ou enherbements, gestion de la faune auxiliaire, etc.) ; c’est peut être là la principale révolution !
Même question sur les pratiques oenologiques et sur les styles des vins de Chablis ?
Là encore, on peut parler de glissements doux, mais pas de changements radicaux.
Les évolutions les plus marquées sont sans doute les fluctuations de la politique des fûts avec une hausse qualitative globale des vins en terme de pureté du fruit et de netteté du bois et, au-delà, pas mal de positionnements et repositionnements sur l’usage du bois lui-même. Après la mode des vins boisés, beaucoup ont fait machine arrière et se tournent vers des volumes de fûts plus importants (300 et 600 litres) et vers une utilisation raisonnée de ce type de contenant. Il y a eu une prise de conscience massive pour le respect de la minéralité, vers un style plus approprié à ce qu’est Chablis. Après, chaque maison a son mode d’expression, son style : certains vont privilégier les vins très tendus sur la minéralité alors que d’autres vont plus se concentrer sur le fruit et l’opulence… Mais on n’est plus dans certaines caricatures qui ont marqué la fin des années 90 et le début des années 2000.
Quels sont les défis de la commercialisation des vins de Chablis ?
La typicité de Chablis reste reconnue et affirmée, avec un chardonnay très atypique, aux antipodes de l’image lourde et facile qu’il a pu acquérir ailleurs dans le monde. Notre vrai souci vient cependant de nos niveaux de prix et de la concurrence croissante de très bons vins étrangers qui ont un peu moins d’identité mais qui sont un peu plus flatteurs tout de suite et destinés à une consommation et un plaisir immédiats. Cela ne doit jamais nous faire perdre de vue le caractère hédonique de la consommation de vin, qui doit rester un moment de partage simple. A nous de proposer dans cet esprit des produits fidèles à leur terroir, élaborés sans précipitation, tout en continuant à démocratiser l’image de nos Bourgognes et des Chablis en particulier.
Partagez-vous l’enthousiasme de la filière pour le millésime 2009 ?
On sort de 2008 qui est en train de devenir une référence, avec une jolie trame acidulée, un caractère assez rond et charnu qui place le millésime sur le profil de 2005. Les vins sont étonnamment disponibles, en particulier pour les grands crus, qu’il faut souvent attendre 3 ou 4 ans avant de les déguster correctement. Or ce sont des vins déjà très ouverts sur le fruit, en premiers comme en grands crus.
2009 est, quant à lui, un millésime très plein, un peu plus massif que 2008 et plus proche du profil d’un millésime comme 2006. Ils sont d’ores et déjà très charmeurs, même s’il est vraiment très tôt pour les goûter. Les vins de ce millésime seront excellents pour une commercialisation rapide, avec une vraie gouleyance et une minéralité en embuscade. Les 2009 ont des niveaux d’acidité un peu moins soutenus que les 2007 et les 2008, ce qui les rendra accessibles très rapidement; leur potentiel de garde reste interressant, même s’ils ne gagneront sans doute pas à être débouchés à très longue échéance compte tenu de leur équilibre acide.