Montpeyroux, un futur cru à la table des grands

Aux Régalades de Montpeyroux, sous les voûtes de l’église Saint-Martin du Barry, vignerons historiques et jeune garde ont fait cause commune autour d’un déjeuner étoilé. Si l’homologation de l’AOC communale ne sera effective qu’en 2026, dans les verres et dans l’ambiance, le village célèbre déjà sa reconnaissance.

Ce dimanche-là, Montpeyroux a le visage d’un village heureux. Il fait beau, la lumière accroche les vieilles pierres, les grandes tablées nappées de blanc s’étirent dans la nef, les verres s’alignent, vignerons et convives s’attablent avec envie. On n’est pas venu s’angoisser sur les chiffres ou les décrets, mais célébrer un terroir qui se tient, plus que jamais, debout. Aux fourneaux des Régalades, le duo lyonnais Thomas Belval et Nicolas Guilloton (Atelier des Augustins, une étoile Michelin) a imaginé avec l’Atelier Nomade un menu en cinq services, taillé pour les vins. Cuisine de caractère, jus tirés au cordeau, clins d’œil entre Méditerranée, Lyon et Japon et dans les verres, une vingtaine de cuvées de Montpeyroux viennent se frotter à cette partition osée, percutante, instinctive.

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À notre table, Alexandre Freguin, meilleur sommelier du Royaume-Uni 2018, salue autant le travail des chefs que celui des vignerons, et cette harmonie d’ensemble : selon lui, aucune cuvée n’est « dominée par la technologie », ni « coincée dans le traditionalisme ou le sur-modernisme », mais une cohérence de style et des accords qui sonnent juste. « Les vins ont une identité forte et toujours une texture folle. Ils ont la personnalité pour tenir dans l’assiette. » Montpeyroux parle le langage de la gastronomie contemporaine, vive, précise, digeste comme avec ce Mas d’Amile 2021 autour d’un chawanmushi, topinambour, miso, échalotte noire et poire, ou ce Héméra 2021 du domaine des Grécaux avec un gâteau de foie de volaille, bisque de crevettes et salade de champignons.  

En attendant la signature officielle…

Pour François Boudou, président de l’appellation et de la cave de Castelbarry, la plus belle réussite de la journée se lit sur les visages : « J’ai vu beaucoup de sourires à la fin du repas ». Les Régalades restent une grande tablée de copains et de curieux, mais pas seulement : « C’est une façon de montrer qu’on a de l’ambition, et qu’elle n’est pas usurpée », insiste-t-il. Exposer les vins à une cuisine de ce niveau, devant un public mêlant amateurs, élus et professionnels, c’est affirmer que le village joue définitivement dans la cour des crus. Le Villa Dondona 2020 et Les Cros 2021 du Mas des Quernes sont parfaits avec la tourte de gibier, purée de céleri, sauce grand veneur cassis et salade d’herbes. Peut-être eût-il fallu jouer la carte de plus vieux millésimes pour toucher à la grâce ?

En coulisses, le cahier des charges de l’AOC Montpeyroux est validé mais les derniers réglages administratifs ont glissé le calendrier. Les mesures transitoires n’ayant pas pu être bouclées pour l’automne, le dossier passera au comité national en février, avec une signature ministérielle espérée au printemps : l’appellation sera donc effective en 2026 (avec ou sans effet rétroactif sur le millésime 2025, personne ne peut le dire pour le moment). « C’est une reconnaissance importante mais ce n’est qu’une étape : après, il faudra continuer à travailler ensemble pour savoir où on veut aller. » Le sourire collectif du jour tient aussi à ça : la sensation que la maison est solide, que les fondations sont communes.

Fierté des pionniers, mission de la jeune garde

Il y a ceux qui ont porté le dossier pendant des décennies : Alain Chabanon et bien sûr Sylvain Fadat qui ont cru très tôt à la capacité du terroir à pouvoir rivaliser avec les grands voisins. « On continue de tracer le sillon de nos anciens, il faut être fier de cet héritage, détaille le vigneron du domaine d’Aupilhac. Mais c’est vraiment super d’avoir tous ces jeunes qui s’installent, qui apportent de la vitalité, des idées, de l’envie, et leur participation pendant les événements. On discute beaucoup, il y a de la complicité et de la bienveillance. » En face – ou plutôt à côté – une jeune garde se sent clairement investie d’une mission.

Au Mas Origine, Laura Balsan et Julien Fabregat ont tout remis à plat pour s’installer ici, en assumant de bénéficier d’un cru quasiment abouti tout en se sentant redevables de ceux qui l’ont construit. Laura le dit volontiers : « On avance derrière ceux qui ont porté le cru, avec envie, ouverture et respect. On a la chance de sentir notre place grandir dans le collectif. » Au Clos du Lucquier, Lisa Postic, directrice à 34 ans, apporte aussi sa pierre à l’édifice : « Faire partie de cette aventure a quelque chose de très satisfaisant et de responsabilisant. L’accession au cru est portée par des personnalités différentes mais qui ont deux choses en commun : l’ancrage territorial et l’amour du métier. »

Ce mélange-là, François Boudou le regarde avec satisfaction : des “anciens” qui continuent de pousser le niveau d’exigence, des nouveaux qui « s’insèrent bien dans le projet collectif » sans chercher à tirer la couverture à eux. Sur le papier, il manque donc encore une signature pour que l’AOC Montpeyroux existe officiellement. Mais dans les verres, et dans la manière dont le village se montre aux Régalades, le cru est déjà là.

Terre de Vins aime…

Les Dolomies 2022 – Puech Auger
Un Montpeyroux fin et minéral, où les fruits noirs mûrs se mêlent à des notes de pierre chaude, d’herbes sèches et de poivre. La bouche est droite, élancée, avec une fraîcheur qui allonge le vin et le rend redoutable à table.

Les Loustics 2023 – Clos du Lucquier
Un “loustic” sérieux mais pas trop : nez fumé, touche mentholée, moka et fruits rouges juteux. En bouche, la matière glisse avec un joli grain de tanin et une énergie qui appelle la cuisine de caractère.

Cal Cayre 2023 – Mas du Cayre
Une cuvée qui joue la carte de la gourmandise tenue : fruits noirs, épices douces, garrigue, un soupçon de réglisse. La bouche, ample mais fraîche, reste parfaitement digeste, avec une finale salivante qui donne envie d’y revenir.