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Bordeaux : Pénélope Godefroy tisse la trame du bio

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

22.02.2019

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Directrice technique de trois propriétés d’Artémis Domaines (famille Pinault) situées sur la rive droite de Bordeaux, Pénélope Godefroy poursuit en toute discrétion un patient travail de remise à niveau de trois châteaux à Saint-Émilion, Pomerol et Lalande-de-Pomerol. Avec le bio et la biodynamie comme conviction.

Dans la mythologie grecque, Pénélope était l’épouse d’Ulysse, roi d’Ithaque, qui en attendant que son mari revienne de la guerre de Troie et surmonte les embûches que les dieux avaient décidé de mettre sur sa route, éconduisait méthodiquement tous ses prétendants en tissant et défaisant une tapisserie qui n’en finissait pas. La figure de Pénélope est ainsi un modèle d’abnégation et de patience qui a traversé les âges. Si Pénélope Godefroy partage avec ce personnage légendaire un prénom emblématique et une irréfutable détermination, il y a aussi de l’Ulysse dans cette femme du vin. Pour son profil odysséen. Car avant de poser ses sécateurs à Bordeaux, cette aventurière a parcouru bien des distances et vu bien des vignobles. Un parcours qui l’a amenée à se voir confier en 2014 par Frédéric Engerer la direction technique des trois propriétés acquises sur la rive droite de Bordeaux par Artémis Domaines, branche viticole du groupe Artémis (famille Pinault).

Bien que les mentalités du monde du vin évoluent, à Bordeaux comme ailleurs, il est encore suffisamment rare de voir une femme à la direction d’une propriété pour que cela mérite d’être souligné. Mais lorsqu’une femme dirige trois propriétés en même temps, cela mérite assurément d’être scruté de près.

Trois châteaux sinon rien

Native de région parisienne, Pénélope Godefroy a suivi une formation à Montpellier SupAgro (ingénieur agronome et œnologue). Après avoir fait ses premières armes à Pape Clément puis Château Margaux, elle a traversé la planète pour une expérience en Nouvelle-Zélande avant de collaborer avec Stéphane Derenoncourt à la Tenuta Argentiera, en Italie. En 2007, Pénélope revient à Bordeaux pour de bon et intègre les équipes d’Artémis Domaines en qualité de responsable qualité et R&D vignoble. Elle se partage ainsi entre le domaine d’Eugénie en Bourgogne, Château-Grillet en Vallée du Rhône et Château Latour à Pauillac. Très rapidement, Frédéric Engerer impulse une approche de la viticulture plus proche des problématiques environnementales. Dès 2009, les premiers essais en bio puis biodynamie sont lancés à Latour, ainsi que la traction animale (l’ensemble des 90 hectares du vignoble sont officiellement labellisés bio depuis quelques mois). En 2011, Château-Grillet est mis aussi sur la voie du bio. Une orientation naturelle pour cette professionnelle qui sait se donner le temps de « bien faire les choses » et pour qui la biodynamie « est une cerise sur le gâteau ; cela ne remplace pas une bonne agronomie, mais cela équilibre la plante et l’aide à mieux se défendre. Il faut considérer la vigne comme un organisme vivant qu’il faut mettre dans les meilleures conditions pour qu’il s’épanouisse ».

En 2014, après sept ans à Latour, Pénélope Godefroy entame un nouveau challenge en prenant la direction technique de Château Le Prieuré (Saint-Emilion Grand Cru Classé), Château Vray Croix de Gay (Pomerol) et Château Siaurac (Lalande-de-Pomerol) lorsque Artémis Domaines entre au capital de ces trois propriétés – d’abord minoritaire avec contrôle de la partie technique, puis depuis fin 2017, avec le contrôle de la commercialisation. Le Prieuré, Vray Croix de Gay et Siaurac sont alors entre les mains de la famille Goldschmidt. Chacune a sa particularité : Siaurac est le « navire amiral » avec ses 46 hectares de vignes, son jardin remarquable et son offre œnotouristique ; Vray Croix de Gay est la pépite pomerolaise de 3,6 hectares ; Le Prieuré est le cru classé de prestige en quête de renaissance, avec ses 6 hectares sur le plateau calcaire de Saint-Emilion. Dès le départ, les équipes d’Artemis, Pénélope Godefroy en tête, réalisent le fort potentiel sur ces trois propriétés, mais aussi le défi technique à relever. « Lorsque nous sommes arrivés, il y avait des investissements financiers et humains à consentir », explique-t-elle. « Manque de matériel, manque de personnel, beaucoup de travail à faire à la vigne comme au chai… avec l’ambition de faire des vins plus précis, plus élégants, sur des terroirs prometteurs. La très belle surprise a notamment été Le Prieuré, très bien situé à Saint-Emilion. »

Patience, vertu cardinale

Est alors entamé un long travail de remise à niveau des vignobles, en suivant la voie du développement durable : ISO 14001, HVE et bio certifié dès 2018 pour Vray Croix de Gay et Le Prieuré – avec traction animale pour ce dernier. Pour Siaurac, le processus est plus long : « le vignoble est plus grand, le terroir est différent, il ne faut pas brusquer les choses », souligne Pénélope Godefroy. « Nous visons une certification bio d’ici 2020 pour Siaurac, mais pour l’instant nous nous autorisons encore à utiliser des phosphonates et produits systémiques sur la fleur ». Outre les efforts concentrés sur la vigne, Siaurac a fait l’objet d’investissements lourds sur le plan technique, avec un bâtiment viticole adapté aux normes environnementales et dont les équipements sont remarquables pour une telle propriété sur la rive droite.

Pénélope Godefroy, en bonne lectrice de l’Odyssée, sait que la patience est une vertu cardinale, particulièrement en viticulture, et qu’il faudra quelques années pour que le fruit de tout ce travail se distingue nettement. Pourtant, les effets se font déjà sentir. Humainement tout d’abord, avec « un côté participatif » qui mobilise toutes les équipes. Dans le verre, surtout, avec des vins plus équilibrés. « Globalement on a revu le style, on pousse moins les extractions, on respecte davantage la matière première, la structure, le fruit. Vray Croix de Gay a gagné en finesse. Le Prieuré, avec sa signature naturellement calcaire, a gagné en maturité. Nous avons aussi revu notre politique d’élevage, avec moins de bois neuf, 40% en moyenne sur le millésime 2018, et 10 à 15% de barriques de deux vins ». 2018, justement. Un millésime qui a été particulièrement compliqué pour les bio, avec une pression mildiou inédite. « Nous avons assez bien tenu le choc, jusqu’à la dernière grosse attaque de juillet », déplore Pénélope Godefroy. « Le Prieuré a été touché à 40%. Vray Croix de Gay en revanche a été épargné, mais la chaleur estivale qui a suivi a eu des effets sur les rendements. Au final on a un millésime solaire mais nous avons su maintenir les équilibres, sans avoir des vins trop chaleureux. Les cabernets francs ont été particulièrement beaux. »

En attendant de déguster ces trois vins en Primeurs, une dégustation des millésimes 2014, 2015 et 2016 permet d’entrevoir le chemin parcouru – et les évolutions à venir. C’est particulièrement prégnant à Siaurac, où l’on part d’un 2014 un peu serré pour arriver à un 2016 plus pimpant et croquant.
A Vray Croix de Gay, le 2014 se révèle floral (pivoine, violette) avec une matière al dente, une trame digeste ; le 2015, plus concentré et dense, déploie un fruit pulpeux ; le 2016, joliment parfumé, élégant, de nouveau très floral, se distingue par sa bouche vibrante et pleine d’éclat, ses tanins racés.
Enfin, Le Prieuré fait parler son beau terroir dès 2014 avec son profil ciselé, son joli toucher de bouche, son fruit net, sa finale salivante ; le 2015 au nez plus profond, affiche une matière onctueuse, dense, très sapide, un profil résolument séducteur ; le 2016 enfin, emporte l’adhésion avec sa minéralité traçante, un côté à la fois fumé, crayeux, ciselé, beaucoup d’allure, un fruit juteux et une trame verticale. Il ne fait pas de doute que la marge de progression est très grande.