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Vendanges en Champagne : l’œil d’Alice Tétienne, Champagne Henriot

Auteur

Yves
Tesson

Date

16.09.2021

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Les premiers coups de sécateurs en Champagne ont commencé le 6 septembre et déjà se profile un premier bilan qu’a accepté de dresser pour nous Alice Tétienne, cheffe de caves et cheffe de vignes de la Maison Henriot. Si la quantité n’est pas au rendez-vous, les premiers raisins récoltés semblent prometteurs d’un point de vue qualitatif.

Les vendanges ont débuté vendredi dernier, comment se déroulent-elles ?
Ce n’est pas une année banale ! Elle nous a donné du fil à retordre sur tous les plans et la vendange ne pouvait pas manquer à la règle. En ce moment, on subit la pluie avec un temps lourd, les conditions idéales pour le développement du botrytis qui pourrait apparaître les prochains jours. Par ailleurs, sur certains pinots noirs, des baies commencent à tomber, signe de fragilité, il faut suivre les choses de près. La pluie a cependant des avantages, elle dilue un peu le degré, ce qui permet de gagner du temps, et d’attendre pour avoir plus d’aromatique.

Pour l’instant, ce qui est sur les pieds est beau ! On a eu énormément de pression parasitaire et cryptogamique pendant la campagne viticole. Le climat était optimal pour le mildiou qui a été le plus gros fléau sur l’année. Mais le mildiou assèche les grappes, il n’a donc pas d’impact œnologique. Les degrés sont arrivés plus rapidement qu’on ne pensait, malgré le temps qui n’était pas extraordinaire. L’aromatique est venue seulement après et l’acidité encore plus tard : dans certains secteurs, elle est toujours un peu rêche, il faut réussir à récolter quand on a quitté ce règne végétal. C’est une année où il ne faut vraiment pas se pencher que sur les sucres, la dégustation est primordiale. D’un point de vue analytique, les acidités sont très hautes, beaucoup plus qu’une année moyenne. Sur les raisins qui rentrent chez nous, nous n’avons pas moins de huit, neuf, voire dix grammes. Mais, encore une fois, en dégustation, à partir du moment où on a atteint le côté beaucoup plus lisse avec une fraîcheur agréable, il faut y aller, il n’y a pas de raison de rester concentré uniquement sur les données analytiques, d’autant que les acidités risquent de rester à ce niveau. Peut-être que l’on fera un nouveau 1996 qui sait ? C’était une année en dents de scie. Sur le papier, elle ne faisait pas rêver. Pourtant, aujourd’hui, nous sommes contents d’en avoir en cave ! Vous connaissez le dicton champenois : « année en un, année de rien. » Mais vous prenez 1971 et 1981 qui ont effectivement été des millésimes difficiles, ce sont aussi deux années intéressantes que nous avons conservées dans notre collection « Mémoires ». Nous les commercialisons aujourd’hui, ce sont de vrais bijoux !

On imagine que les faibles rendements dans certains crus en réduisant la charge ont augmenté la concentration…
Il est vrai qu’il y a un peu plus de concentration sur certains secteurs, je pense aux meuniers notamment qui, cette année, sont très aromatiques et riches et qui sont les premiers à être récoltés, ce qui est assez rare. Ce sont les crus de la montagne Ouest, Villedommange par exemple, la vallée de la Marne sur Damery, Fleury-la-Rivière, la petite montagne sur Rilly, Chigny, Ludes, des terroirs qui ont beaucoup trinqué à cause du mildiou et qui sont moins chargés en raisins. On peut donc dire qu’il y a un effet maturation lié à la moindre charge, mais à côté de cela, nous avons des parcelles de pinots peu chargées qui murissent beaucoup plus lentement… Ce n’est pas corrélé partout et c’est ce qui fait que l’année est un challenge, il n’y a pas qu’une vérité. Là-encore, la clef consiste à rester proche de son vignoble.

Justement, pouvez-vous également dresser un bilan sur les pinots noirs et le chardonnay ?
Nous avons démarré les pinots noirs sur Aÿ Lundi, un secteur que nous destinons d’habitude aux rouges. Mais cette année, sur notre vignoble, les conditions ne sont pas propices à cette production, le soleil a manqué et il y a eu trop d’eau donc moins de concentration dans les baies. Le soleil joue un rôle clef pour une vinification en rouge, il permet aux tanins et aux anthocyanes de se développer. On observe au contraire que les tanins sont un peu durs, les pépins même s’ils sont mûrs parce qu’ils ont aoûté, sont plus rêches que les années précédentes. Les pellicules n’ont pas cette souplesse et ce côté velour. Il manque cet effet concentration et maturation phénolique habituel. Cela n’empêche pas d’avoir des très beaux profils aromatiques avec des beaux secteurs comme Avenay et Mutigny, les deux grandes surprises pour nous cette année.

En ce qui concerne les chardonnays, ils prennent leur temps, certains ont quand même du degré, mais l’aromatique n’est pas encore là, les baies sont encore vertes, les pellicules encore dures, c’est encore végétal. Dans la côte des Blancs, nous sommes très présents sur Chouilly, et l’ouverture est le 20 septembre ce qui est cohérent. Si le mildiou a plutôt épargné la Côte des blancs, nous avons été inquiétés par l’oïdium. Des orages survenus à la fin du mois de juillet et dans la première quinzaine d’août ont favorisé des contaminations qui deviennent apparentes en général trois à quatre semaines plus tard. Elles restent très locales.

Qu’en est-il des rendements espérés ?
Les premières estimations tournent autour de 6000 kilos par hectare. Mais ce qui ressort depuis le début des vendanges, tous secteurs confondus, c’est que l’on cueille moins de raisin que prévu. Le comptage a été difficile, dans la mesure où il y avait beaucoup d’hétérogénéité à l’intérieur même des parcelles, avec sur certains pieds une absence totale de raisin alors que d’autres étaient plus chargés. A Ay, nous pensions cueillir 6000 kilos de raisin sur la journée, il n’y en avait que 4000. C’est aussi très différent d’une région à l’autre. Les chardonnays de la Côte des blancs ont été plus préservés mais ceux du Sézannais et de l’Aube ont été très touchés par le gel, nous avons des raisins sur la butte de Montgueux où les rendements ne dépasseront pas 2000k/ha, par contre sur le plan sanitaire, ils sont magnifiques ! Pour conclure, petite vendange en quantité, mais sur le plan qualitatif, à ce jour, c’est très prometteur sur les trois cépages et nous prenons beaucoup de plaisir dans les dégustations.

Terre de vins aime : la nouvelle collection Mémoires d’Henriot, avec trois cuvées, Cuvée des Enchanteleurs 1981 (920€), Le millésime 1971 (1200€), Cuvée des Enchanteleurs 1959 (Magnum 7000€).
www.champagne-henriot.com