Accueil Primeurs 2017 : les regards de la rédaction

Auteur

La
rédaction

Date

18.04.2018

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Quelques jours après la fin des dégustations en primeurs à Bordeaux, la rédaction de « Terre de Vins » fait le point sur les grandes tendances du millésime 2017 qui a été présenté aux professionnels. En attendant les notes et commentaires, qui seront révélés dans le numéro de mai.

Sylvie Tonnaire (Saint-Estèphe, Pauillac)
« La bienveillance du fleuve »

Sous la bienveillance du fleuve (et sa force d’inertie), Saint-Estèphe et Pauillac ont été épargnées par le gel… comme ailleurs le printemps précoce et un mois de juin très chaud (avec plusieurs nuits consécutives au dessus de 20°C, ce qui, de mémoire de vignerons, ne s’était pas produit en Médoc depuis longtemps à cette période-là) ont fait s’emballer les vignes et prendre 15 jours d’avance… croyait-on. Juillet et encore plus août, particulièrement frais, ont recalé les choses et donné aux cabernets des maturations lentes, l’idéal pour ces piliers médocains. Si 2016 offrait de l’opulence dès les primeurs, on retrouve en 2017 toute la facture classique, un peu plus fraîche, un peu plus tannique. Les hommes du vin, sur ces terroirs proches de l’estuaire, sont comblés par ce millésime dans un style plus racé et plus frais. De nombreuses cuvées sont passées sous la barre des 13°, un bon signe.

Jean-Charles Chapuzet (Margaux, Saint-Julien, Haut-Médoc)
« Un millésime de connaisseurs »

Diabolisé sur l’autel d’une terrible gelée et d’une capricieuse pluie de septembre, ce millésime 2017 est en réalité de très belle qualité dans les domaines où le tri fut drastique. Et, dans le Médoc, il fut moins hétérogène qu’on aurait pu le penser. Après deux vedettes, 2015 et plus encore 2016, voici un millésime de connaisseurs, en quête d’effet millésime et de bonnes affaires, à commencer sur Saint-Julien où quelques grands crus – Saint-Pierre, Beychevelle, Lagrange, Branaire-Ducru – sont magnifiques. A Margaux itou, de très belles acidités promettent des vins d’une grande garde, ils imposent de la patience ; comme 2011, des vins resteront longtemps fermés mais Brane-Cantenac, Issan, Marquis de Terme ou Lascombes nous enterreront. En Haut-Médoc d’autres châteaux méritent une attention particulière sur ce 2017, avec là aussi des vins tendus, bâtis pour vieillir, citons Clément-Pichon, Beaumont, Belgrave et une mention spéciale pour la précision du Cantemerle. Vivement dans 10 ans, 20 ans, entre amis, à l’envi, à l’aveugle.

Mathieu Doumenge (Saint-Emilion Grand Cru Classé)
« 2017, le millésime aïkido »

Certainement l’appellation la plus durement frappée par le gel, Saint-Emilion a dû se retrousser les manches pour sauver ce qui pouvait l’être. 2017, ce n’est pas un millésime mais trois millésimes en un… Il y a d’un côté ceux qui ont gelé à 100% et n’ont pas pu présenter de vin : en primeurs cela concernait une dizaine de grands crus classés (notamment dans le secteur Corbin), mais surtout beaucoup d’autres propriétés moins bien loties économiquement, qui se retrouvent dans une posture plus que délicate. Il y a ceux qui ont gelé partiellement mais ont tout de même pu faire du vin, souvent au prix de sélections sévères, de rendements très modestes ou de prises de décisions radicales : fallait-il écarter d’emblée les raisins de deuxième génération ou essayer d’aller amener ces derniers au maximum de maturité, en vue de les intégrer à hauteur de 3, 5 ou 10% dans l’assemblage final ? Fallait-il miser uniquement sur ce qui n’avait pas été touché par le gel sur les meilleurs terroirs, au risque de produire très peu de vin et parfois dans un style assez différent des millésimes habituels (certains vins ont ainsi des proportions de cabernet inédites) ? Autant d’arbitrages qui ont beaucoup varié selon les propriétés et qui ont exigé beaucoup d’attention de la part des dégustateurs. A cet égard, des châteaux comme Cheval Blanc, Angélus, Figeac, Canon La Gaffelière, ou encore Fleur Cardinale ont pris des décisions très différentes mais toujours courageuses, et surtout ont fait la démonstration d’une maitrise technique qui force le respect. Enfin, il y a les chanceux qui n’ont pas été frappés par le gel et ont connu un millésime 2017 « normal » (si l’on prend en compte la précocité générale et les épisodes de pluie de septembre entre lesquels il fallait slalomer) : et là il faut clamer que les vins sont très beaux. 2017 n’a certes pas la longueur, la trame acide et la maturité parfaite du 2016, mais l’on trouve un fruit éclatant, des tanins ultra soyeux et un très bel équilibre d’ensemble. Des châteaux comme Canon, Ausone, Pavie, Pavie-Macquin ou encore Laroque et Rochebelle ont ainsi signé de très belles réussites… En conclusion, il faut tirer chapeau à toutes celles et ceux qui, dans des conditions difficiles, ont su garder leur sang-froid et, comme en aïkido, retourner à leur avantage le coup porté par leur adversaire.

Yohan Castaing (Pomerol, Sauternes, Pessac-Léognan, Graves, Médoc)
« De très grandes réussites à dénicher »

Dans le Médoc, vignoble le plus septentrional de la rive gauche, la gelée a touché de manière hétérogène. Malgré cela, les vignerons ont réalisé des vins friands et gourmands avec de beaux touchers de bouche. Poitevin et Fleur la Mothe sont des valeurs sures, La Tour de by offre un compromis entre gourmandise et capacité de garde.
A Pessac-Léognan, l’hétérogénéité qualitative est importante cette année sur l’ensemble de l’appellation Pessac-Léognan. Entre les propriétés qui ne peuvent présenter aucun vin pour cause de gel et celles qui réalisent des prouesses, la sélection s’avère plus que jamais indispensable. Retenons, Château Le Pape, dans une qualité de toucher de bouche magnifique, Les Carmes Haut-Brion à son optimum ou encore Couhins-Lurton en blanc, pur et ciselé, et Haut Nouchet en rouge qui s’affirme par son juteux et ses beaux tanins.
Les Graves sont sûrement l’une des appellations les plus touchées du Bordelais par les épisodes de gel. Les vins s’en ressentent avec des maturités pas toujours abouties. Notons toutefois les beaux efforts de Clos Floridène (en rouge comme en blanc), Château de Portets qui arrive à conserver son juteux et sa gourmandise et Rahoul qui, année après année, continue son effort qualitatif.
A Sauternes, on le sait, le gel a fait des dégâts. Certains, comme Climens, en ne produisant que 2 hl/ha ne proposent pas de vins. D’autres, dans un registre dense et fruité, proposent des vins assez massifs avec de très beaux rôtis nobles. Les sauternes ou bommes s’en sortent toutefois mieux que les barsacs. C’est le cas de Rabaud-Promis qui enchante par son magnifique rôti, d’Yquem qui est au sommet cette année ou bien de Guiraud, Fargues et Rayne Vigneau qui, dans des styles plus épurés, laisseront la part belle à la tension et à une légère acidité.
Lalande-de-Pomerol : ici aussi le gel a mordu sévèrement le vignoble, mais les fers de lance s’en sortent très bien. À l’instar de Denis Durantou avec Les Cruzelles, plus tannique qu’à son habitude mais tout aussi juteux, ou encore Hubert de Boüard avec sa propriété familiale La Fleur de Boüard qui, malgré un gel important, réalise de beaux vins.
A Pomerol enfin : le plateau de Pomerol, le terroir historique, a été épargné par le gel. Et dans un millésime précoce comme 2017, cette appellation réalise de très beaux vins. Petrus, Vieux Château Certan et Lafleur sont au firmament de l’appellation, Bourgneuf confirme tous les espoirs placés en lui et Gombaude Guillot, avec ses deux cuvées, apporte un vent de fraîcheur sur une appellation qui a tendance à se reposer sur ses acquis.

Jean-Michel Brouard (Saint-Emilion, Fronsac, Bordeaux & Bordeaux Supérieur)
« Une grande variété de profils »

La grande majorité des propriétés en Saint-Emilion grand cru et dans les satellites de Saint-Emilion ont été affectées par le gel. Quand il y a un peu de vin produit, les assemblages sont chamboulés et le merlot est souvent très présent (Daugay, Gracia, Candale, Clos de Boüard, etc.). Il en ressort un fruité profond, oscillant entre fruits rouges mûrs et fruits noirs, véritable marqueur du millésime. Les trames tanniques ont souvent une belle densité et s’avèrent rondes. Certains vins offrent des profils particulièrement juteux (Petit-Val, Lyonnat). Les grands classiques de Fronsac (Fontenil, Dalem, La Dauphine) sont réussis et bien équilibrés. Les Bordeaux et Bordeaux supérieurs ne sont pas en reste avec, évidemment, une grande variété de profils. Friands (Thieuley), séveux (Penin) avec même parfois une volonté de jouer dans une division supérieure (Pabus, Malromé)… une appellation à redécouvrir qui cache bon nombre de bons voire très bons vins.


Retrouvez toutes les notes et tous les commentaires en Primeurs dans « Terre de Vins » n°53, le 15 mai dans les kiosques.