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Rosé des Riceys : les 70 ans d’une belle AOC

Auteur

Thierry
Perardelle

Date

28.06.2017

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La Champagne n’en finit pas de nous réjouir… et de nous surprendre. Les stars, cette fois, n’étaient pas les bulles mais le rosé des Riceys. Pour les 70 ans de l’AOC, une verticale de 2010 à 1947 vient de prouver l’extraordinaire potentiel de vieillissement de ces vins tranquilles. Et la forte personnalité du pinot noir des contrées auboises.

Pour les champagnes, ne vous posez pas de question. S’ils sont à vendre, c’est qu’ils sont à boire. Ils peuvent certes se garder, longtemps d’ailleurs pour les grands millésimes, mais s’apprécient déjà dès l’achat, en toute confiance. Pour les rosés de saignée des Riceys, vins tranquilles de personnalité, c’est pareil. Ils sont délicieux dans leur jeunesse (vendus souvent après 3 à 5 années de garde quand même), finement épicés, gourmands et croquants sur le fruit (cerise, framboise, fraise). Mais si vous oubliez ce vin dans votre cave et le ressortez 10, 20 ou 30 ans plus tard pour les meilleurs millésimes, surtout gardez le sourire, car il sera au pire plaisant, au mieux exceptionnel.

C’est tout l’enseignement d’une dégustation rare organisée dans cette belle commune auboise aux portes de la Bourgogne. Une expérience teintée d’émotion, d’histoire et de mémoire, avec comme témoins la vingtaine de vignerons champenois élaborateurs mais aussi des œnologues et journalistes spécialisés.

« Le rosé des Riceys rayonne dans l’univers de la gastronomie »

L’AOC rosé des Riceys fête cette année ses 70 ans. Eh bien goûtons voir si le vin est (toujours) bon ! 17 millésimes servis, verticale de 2010 à 1947, mythique… Avec, pour les chanceux présents, le ressenti de Philippe Jamesse, chef sommelier du restaurant Les Crayères à Reims (2 macarons) et l’éclairage riche d’anecdotes de Pascal Morel, porte-parole des vignerons des Riceys.

Confidentiel (50 000 bouteilles en moyenne les années de production), ce vin tranquille de la Champagne du sud « rayonne dans l’univers de la gastronomie », confirme Philippe Jamesse, soulignant encore « la singularité de ces vins, leur typicité dans l’expression des contrées et le remarquable travail des vignerons ».

Hallucinante verticale

Impossible ici de restituer en intégralité l’incroyable plaisir de la dégustation, palette de couleurs (dont ce classique rouge garance), de parfums et d’arômes, de textures et sensations. Voici le résumé de millésimes commentés par le chef sommelier des Crayères.
2010 : « Puissant sur la pulpe et le noyau de cerise, univers forestier, très légères notes de fève de cacao. Bouche plus resserrée sur les tanins. Structure et joli grain en densité, riche et généreux. » Déjà délicieux et prometteur. Bonne nouvelle, des vignerons en vendent encore !
2003 (année très chaude, tous les vignerons s’en souviennent) : « Des sensations de liqueur, qui rappellent le vin de Porto. Un vin qui pinote, élégant, concentré, long. Belles notes de pivoine et fleurs séchées. »
2002 : « Magnifique équilibre, parfums toujours frais sur le fruit (fraise, framboise) et intéressant contraste avec une ambiance sur la terre humide, la truffe noire ».
1996 : « Somptueux. Sur le fruit généreux, la crème de fruit. Des touches de liqueur, beaucoup de chair et de richesse. Onctuosité et remarquable longueur. »
1990 (encore une année très chaude) : « Epices, patine orientale, fleurs séchées, datte et pruneau… Un vin suave et sensuel. Quelques notes oxydatives, bouche aux accents de Porto… magnifique signature du millésime ».

« Ce vin nous fait descendre dans les profondeurs de l’âme »

1989 : « On touche à la noblesse, à la quintessence du pinot noir. Notes de soja et de viande fumées, allonge très élégante. »
1985 (millésime très compliqué, record de froid avec des températures jusqu’à moins 32 °c) : « Vin subtil qu’il faut aller chercher. Délicat aussi (truffe, humidité maritime, coing, cuir) même si moins expressif que le 89. »
1976 (année de sécheresse, petite récolte vendangée le 28 août. Les vaches broutaient du marc de raisin faute de foin…) : « Puissant, concentré, riche, rien ne dépasse ! Profil d’un Gevey-Chambertin avec une jolie signature. »
1969 (année très chaude) : « Une construction qui fait penser à un mille-feuille identitaire. Sur le mousseron, la balade automnale en forêt, un mixte sucrosité-acidulé. Il faut au moins une demi-heure pour le découvrir. Tout en énergie et profondeur, très concentré. »
1964 (les années de mémoire de l’AOC dira Pascal Morel, partageant une pensée pour les ancêtres) : « Surprenant, nous entrons comme dans un autre vignoble, un autre environnement : Sauternes, Jurançon… Ambiance mistelle et vin d’apéritif (coing, abricot, prune séchée). Encore une autre personnalité du pinot noir des Riceys. »
1947 (année très chaude, première vraie récolte d’après-guerre, vendangée en août. Les vins titrait 14 degrés, les soucis de fermentation se sont multipliés et la moitié des vins sont partis en vinaigrerie…) : « C’est merveilleux, ce vin nous fait descendre dans les profondeurs de l’âme, dans les profondeurs d’une cave », dira Philippe Jamesse. « Puis en surface, caractère entêtant lié notamment à la fleur de lys. Dimension très fine sur le fumé (grand jambon ibérique), arômes sur la trompette de la mer, la morille. Lien maritime aussi, ambiance terre et mer (bisque de crustacés, angle iodé). Exceptionnel millésime, il faut prendre le temps de vivre avec et d’écrire dessus. »

Cela démangeait depuis longtemps mais cette fois c’en était trop, pas question de recracher ce nectar.