Vendredi 18 Juillet 2025
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17.07.2025
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Ancien président du groupe Moët-Hennessy, Frédéric Chandon de Briailles avait 97 ans et il est décédé le 24 avril dernier aux Baléares. Alors qu’il fait partie des très grandes personnalités qui ont façonné la Champagne moderne pendant les Trente Glorieuses, sa disparition est passée inaperçue dans la presse, aussi la rédaction de Terre de vins tenait-elle à lui rendre hommage en retraçant son impressionnant parcours.
Héritier de la Maison Moët & Chandon à Epernay, Frédéric Chandon de Briailles n’a que 17 ans lorsqu’il s’engage en 1944. Au lendemain de la guerre, il est recruté par l’entreprise Monsavon qui appartient alors à L'Oréal où il travaillera pendant six ans et nouera des liens d’amitié très forts avec le directeur général François Dalle. Membre du conseil de surveillance de Moët & Chandon, il ne tarde pas à être remarqué par l’un des patrons de l’époque, Robert-Jean de Vogüé, qui l’incite à rejoindre le conseil de gérance où il succède à Ghislain de Maigret. Frédéric Chandon de Briailles accepte et s’installe en Champagne au château de Louvois (la demeure n’était pas encore la propriété de Laurent-Perrier).
Robert-Jean de Vogüé apprécie en effet les idées modernes du jeune homme et voit en lui un potentiel allié pour défendre ses vues et équilibrer les conceptions plus conservatrices et familiales de l'entreprise défendues par Paul Chandon-Moët. Ce sera le cas en particulier lorsque se posera la question de l’entrée en bourse de la Maison. Pour Robert-Jean de Vogüé et Frédéric Chandon de Briailles, c’est le seul moyen de permettre les investissements nécessaires pour suivre une demande qui explose, alors que Paul Chandon-Moët préfère limiter la croissance de peur de voir la famille perdre le contrôle de la maison. Après six mois de discussions, Paul Chandon-Moët se ralliera à leur opinion et la maison entrera en bourse en octobre 1963.
Un autre grand fait d’armes de Frédéric Chandon de Briailles sera le rachat de Dior parfum. Dans les affaires, tout se joue au golf ou à la chasse. C’est entre deux coups de fusil en Alsace, au détour d’une conversation, que le banquier Jacques Vizioz lui confie une information précieuse : Marcel Boussac souhaite vendre la branche parfum de son groupe pour mieux sauver la partie couture. À l’époque, l’industriel est en grande difficulté face à la nouvelle concurrence des tissus synthétiques. Le groupe de cosmétique américain Revlon est sur la brèche et souhaite se porter acquéreur, mais Boussac est un patriote et préfèrerait un acheteur français. Bernard Picot, le président de Parfums Christian Dior, organise une visite de l’usine de Rueil-Malmaison au cours de laquelle Robert-Jean de Vogüé et Frédéric Chandon de Briailles sont frappés par la ressemblance du process avec le champagne, notamment la place que tient l’assemblage.
Les deux hommes voient aussi l’extraordinaire complémentarité économique entre les deux produits. D’un côté l’univers du champagne, dont la croissance est très sûre mais limitée par les approvisionnements dans une appellation où les rendements sont régulés et les surfaces plantées restreintes. De l’autre, un univers du parfum où la croissance peut être à deux chiffres certaines années, mais dans un environnement beaucoup plus concurrentiel, si bien que les investissements marketing doivent être considérables si on veut rester dans la compétition. Ce mariage offre donc un équilibrage parfait. Il permet d’appuyer le monde du parfum sur le coffre-fort du champagne, dont les stocks énormes de bouteilles en cave rendus nécessaires par le vieillissement sur lie constituent une garantie pour les banques lorsqu’il s’agit de prêter de l’argent pour les investissements marketing du parfum.
La négociation se fait à l’ancienne. Nul besoin d’avocats. Marcel Boussac écrit tout sur un petit cahier, et annonce son prix, ce sera 36 fois les bénéfices. À l’époque, Moët Chandon ne disposait absolument pas de ces fonds et comptait sur le soutien de la Banque de l’Union européenne. Mais les événements de 1968 et l’incertitude économique qu’ils créent conduisent cet établissement à se raviser. Le projet est reporté par le conseil d’administration de Moët & Chandon. Frédéric Chandon de Briailles ne peut se résoudre à une telle capitulation. Juste après la réunion, et alors que les administrateurs sont restés déjeuner, il appelle son ami Jacques Vizioz qui consent un prêt à 8 % non indexé sur quinze ans ce qui, dans le contexte d’inflation de l’époque, représente une offre très intéressante. Au même moment, les administrateurs allument la radio et entendent l’allocution du général de Gaulle qui annonce qu’il ne se retirera pas. Nous sommes le 30 mai, l’ordre est sauvé. Plus rien ne s’oppose au projet…
Frédéric Chandon de Briailles n’était pas seulement un fin stratège dans les affaires qui accompagnera la maison dans le rachat de Ruinart et la fusion avec Mercier puis Hennessy, ou encore dans la création de grands domaines à l'étranger. C’était aussi un champion des relations publiques, mettant à profit sa passion pour la course automobile pour faire du champagne le symbole de la victoire, du dépassement et de l’excellence. Il organisait ainsi avec Jean-Marie Dubois des rallyes Moët-Ford et recevait les coureurs pour des fêtes somptueuses au château de Saran. Mais il avait surtout marqué l’histoire de la F1 lors du tout premier championnat dont l’une des manches s’était tenue sur le circuit de Gueux le 2 juillet 1950, en offrant au vainqueur Juan Manuel Fangio un jéroboam de Moët & Chandon, marquant le début d’une longue tradition. Notons au passage que Moët & Chandon a renoué avec celle-ci il y a quelques mois en redevenant le champagne officiel des compétitions de F1, une place qui avait été cédée depuis au prosecco…
Frédéric Chandon de Briailles a fini sa carrière en beauté, en prenant la succession de Kilian Hennessy à la présidence de Moët-Hennessy. Après le départ de Robert-Jean de Vogüé en 1972, Kilian étant plus âgé que lui, Frédéric avait tenu à ce qu'il soit le premier à prendre la tête du nouveau groupe et ce n'est qu'après le mandat de Kilian que Frédéric a accepté d'accéder à cette responsabilité. Il est vrai que les relations entre les deux hommes étaient très fortes, Kilian Hennessy étant un ami de ses parents.
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