Lundi 29 Septembre 2025
Le scénariste Mark Eacersall et la dessinatrice Amélie Causse ©DR
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27.09.2025
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Le Médoc, ses vignes, ses châteaux, ses codes parfois intimidants… Et, à des milliers de kilomètres, l’effervescence de Shanghai. Entre ces deux univers, une passerelle inattendue : la bande dessinée. Les éditions Grand Angle publient Bordeaux-Shanghai, signée par le scénariste Mark Eacersall et la dessinatrice Amélie Causse.
L’histoire met en scène Wei, fils d’un riche homme d’affaires chinois, jeune playboy qui brûle sa vie à mille à l’heure. Pour le remettre sur les rails, son père l’expédie à Bordeaux, dans un château récemment acquis. Punition ? Pas vraiment. Entre les rangs de vignes et au contact d’une œnologue passionnée, Wei découvre un monde qui l’oblige à ralentir, à comprendre que certaines choses, entre autres, le vin et l’amour, exigent patience et humilité. « Ce que je voulais vraiment raconter, c’est l’éloge du temps long », confie Mark Eacersall. Le scénariste, fils d’un courtier en vin bordelais, s’est nourri des souvenirs familiaux pour bâtir un récit dans lequel le vin devient « une archive sensorielle, faite de terre, de climat, de mémoire ».
Au-delà du parcours initiatique, la BD explore la mondialisation. L’installation des investisseurs chinois dans le vignoble bordelais y sert de toile de fond. « J’ai voulu que les langues se croisent comme dans la vraie vie, raconte Eacersall. Les dialogues dans les bulles changent de couleur : rouge pour le mandarin, bleu pour le français, noir pour l’anglais. Parfois, les personnages ne se comprennent pas – et c’est là que naît la comédie, mais aussi le vrai décalage culturel. » Cette dimension ancre le récit dans une réalité contemporaine. L’auteur s’est documenté auprès d’œnologues, de négociants et même d’étudiants chinois venus apprendre à Bordeaux, afin de nourrir ses personnages et leurs maladresses très humaines.
Pour donner vie à cet univers, Amélie Causse a choisi une approche sensible. Elle qui ne boit pas de vin a pourtant trouvé sa place dans ce projet : « Ce qui m’a touchée, c’est le rapport au temps et à la saisonnalité. Dans une BD, on voit passer l’année. J’ai travaillé les teintes pour que le lecteur ressente la rondeur d’un été, la rudesse d’un hiver, comme s’il arpentait les vignes lui-même ».
Son trait granuleux, volontairement éloigné du rendu trop lisse du numérique, donne aux paysages et aux visages une profondeur organique. « Le grain, c’était essentiel : on parle de terre, de soleil, de peau », souligne-t-elle.
Au fil des pages, Bordeaux-Shanghai ne se contente pas de raconter un amour naissant ou un vignoble en danger : il interroge aussi notre rapport au vin. « Je voulais désacraliser, dit Mark. Comme en dégustation, il n’y a pas de mauvaise réponse. Ce qui compte, c’est l’émotion ressentie. » Ce refus du snobisme irrigue l’album, jusque dans des scènes volontairement impertinentes – une intrusion dans une dégustation de primeurs, une remise en cause des classements figés. Là encore, le vin devient miroir de la société, avec ses codes et ses fractures, mais aussi son potentiel de rencontre et de partage.
Si Bordeaux est au cœur du récit, l’album dépasse largement le cercle des connaisseurs. C’est une histoire d’apprentissage, de transmission et de métissage. Un récit qui mêle comédie romantique, chronique sociale et hommage à un terroir.
Avec Bordeaux-Shanghai, Mark Eacersall et Amélie Causse signent sans doute l’une des premières grandes BD contemporaines sur le vin – une œuvre qui parle autant de Bordeaux que du monde dans lequel il s’inscrit.
À noter pour les Bordelais : l’album est disponible à la Librairie Krazy Kat (11 rue Saint-James, Bordeaux), avec une couverture collector exclusive (500 exemplaires).
Bordeaux-Shanghai, éditions Grand Angle, sortie le 17 septembre 2025
200 pages - 24,90 euros
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