Mercredi 22 Octobre 2025
©Baptiste Beauvais
Auteur
Date
22.10.2025
Partager
Dynamique et singulière, la Côte des Bar affirme plus que jamais sa personnalité. Porté par le collectif Empreintes, Le Chien de l’Aube 3e édition a transformé la Halle des Riceys en carrefour mondial de la bulle artisanale. Immersion dans cette Champagne du sud qui ne perd pas le nord.
Majestueuse et intemporelle, la Grande Halle des Riceys respire l’histoire. Nous sommes au cœur de l’épicentre de la Côte des Bar — le versant sud de la Champagne, dans l’Aube, entre Bar-sur-Seine et Bar-sur-Aube, aux portes de la Bourgogne. Dès l’entrée, le vrombissement des conversations se mêle au bruissement des pas, et l’on comprend que ce Chien de l’Aube 3e du nom n’a rien d’un événement de niche : c’est une réunion de famille élargie, un ban des vendanges convivial orchestré par Empreintes*, un collectif de 8 vignerons. Rapidement, on perçoit que le monde de la bulle a fait le voyage (contrairement aux Parisiens, « Il faut qu’on trouve comment les faire venir », nous confiera un des vignerons). On y parle italien et coréen, anglais et portugais, et l’on s’étonne à peine de croiser des agents venus de Zurich, Tokyo ou Londres. Les verres s’entrechoquent, les carnets se noircissent, et la moyenne d’âge — autour de 35 ans — donne le ton d’un renouveau tranquille.
« L’avenir de la Côte des Bar est plus que prometteur, glisse le célèbre journaliste suisse Peter Jauch. Il y a tout pour réussir : un terroir qui s’affirme avec le réchauffement climatique, des vignerons qui travaillent avec intelligence et passion, et un collectif dynamique autour d’une gastronomie locale riche. » À quelques mètres, Thibaud Brocard (Champagne Pierre Brocard) rappelle la genèse d’Empreintes : « Montrer que la Côte des Bar réunit grands vignerons et grands terroirs, et que l’ambiance qui nous relie vaut autant que nos vins. Le Chien de l’Aube, c’est la vitrine de notre vitalité, de notre énergie, de nos idées. » Le ton est donné.
Ici, les stands ne sont pas (que) des guérites commerciales, mais des tables d’échange entre passionnés. On y parle pressurage délicat, choix de matières, fermentations au cordeau, bio et biodynamie. Delphine Brulez (Champagne Louise Brison) aime cette mise en relation des éléments techniques : « On se connaît bien donc on se dit les choses. On ne ressent pas la concurrence entre nous parce qu’on sait qu’en avançant de concert, on ira tous plus loin. » On sent un engouement, une certaine curiosité pour ces vignerons dont on ne parle pas beaucoup. Alexandre Pauget, chef sommelier du Rouf à Rouen, est bluffé par ce qu’il déguste : « J’ai fait le tour d’une trentaine de domaines et j’y trouve une constance de précision : des écritures singulières, une lisibilité qui donne envie de travailler les gammes en salle. »
Le midi, la file s’allonge devant le food truck de Sacré Bistro (Épernay), clin d’œil gourmand, simple et juste, qui prolonge les échanges. Le soir, Le Garde Champêtre (Gyé-sur-Seine) orchestre un dîner pour 175 convives : cuisine de produits, assiettes nettes, en écho aux vins de champagne. À table, agents, amateurs éclairés et vignerons se mêlent ; on compare des 2018 solaires et des 2022 plus fuselés, on parle de dosages qui s’effacent quand l’équilibre porte le vin. Les magnums circulent — mention pour le pinot blanc La Loge 2016 d’Aurélien Gerbais. « Le consommateur se tourne de plus en plus vers ces champagnes d’artisans, précis et sincères », note Benjamin Didier (cave Le Carafon, Le Vésinet).
Le dialogue avec l’histoire s’invite naturellement. Hugo Drappier sourit : « On n’est pas forcément venus pour faire des affaires — même si tout peut arriver. Mais on se doit d’être là pour représenter la Côte des Bar et mettre le collectif en avant. C’est comme ça qu’on avance tous ensemble vers un regain de reconnaissance. » À ses côtés, Alexandre Moutard incarne ce pont entre maisons établies et jeunes pousses. Une manière de dire que l’héritage n’est pas un frein mais un levier. Un verre de son ratafia sept cépages en main, le vigneron de Buxeuil savoure le chemin parcouru : « Aujourd’hui, j’ai l’impression que le message est bien passé ; les professionnels sont venus en nombre, par fidélité mais aussi et surtout par curiosité, car la côte des Bar attire le regard. Et c’est justifié : il suffit d’aller déguster à chaque stand pour s’en rendre compte… »
Dans ce sud champenois longtemps dit périphérique, les vieux calcaires reprennent voix. Les Riceys, seul village de France à porter trois AOC (Champagne, Coteaux champenois et Rosé des Riceys), devient la scène où s’écrit une Champagne d’auteurs. On goûte les pinots élancés et singuliers de Florent Douge (Champagne Douge, Neuville-sur-Seine), la douce salinité des jus de Billy Doussot (Champagne Doussot-Bourdot, Loches-sur-Ource), les bulles caressantes de Karine et Julien Prélat (Champagne Julien Prélat, Celles-sur-Ource) et la texture fine des vins de Clément Piconnet (Champagne CH.Piconnet). Dans un coin, un agent japonais basé à Beaune est charmé par le travail d’Axelle et Sébastien (Champagne Guenin, Essoyes). « On ne sait pas si ça donnera un élan commercial, confie la vigneronne, mais on comprend pourquoi on revient chaque année aux Riceys. » Un importateur britannique lève le doigt : « Et Montgueux ? (Colline crayeuse aux portes de Troyes) Ses chardonnays parlent aussi pour la Champagne du Sud… » La vigneronne Hélène Beaugrand passe, sourire complice.
Ce qui frappe, c’est l’absence de posture. Pas d’école, mais des intentions. Dans les allées, on croise les plus médiatiques Vincent Couche et Jérôme Coessens et leurs champagnes d’auteur, on se régale des jus délicats signés Yann Le Prophète, Davy Dosnon ou Simon Normand. Il y a une vraie effusion de plaisir pour qui sait saisir l’instant. Que l’on aime les vins tendus ou caressants, les élevages mesurés ou non, les dosages pertinents — des vins de Champagne, au sens plein. À la fin de cette journée, on repart avec le sentiment que la côte des Bar n’attend plus l’aurore, l’Aube est déjà levée.
*Le groupe Empreintes regroupe 8 domaines : Champagne La Borderie (Bar-sur-Seine), Champagne Arnaud Gallimard (Les Riceys), Champagne Pierre Brocard (Celles-sur-Ource), Champagne Jean Josselin et Fils (Gyé-sur-Seine), Champagne Yann Prophète (Landreville), Maison Moutard (Buxeuil), Champagne C.H. Piconnet (Gyé-sur-Seine), Champagne Louise Brison (Noé-les-Mallets).
Champagne Gallimard, Les Meurgers (base 2022), 28 € TTC (prix public)
Le terroir des Riceys en bouteille : précis, solaire, gourmand, avec ce grain crayeux qui signe le lieu. Une bulle qui a fait hocher bien des têtes dans la Halle.
Champagne Julien Prélat, Les Vignes Basses (base 2022), 40 € TTC (prix public)
Ici le meunier joue à plein : chair gourmande, sapidité nette, un fruit presque exotique. La finale est juteuse à souhait. Une cuvée qu’on a retrouvée sur les carnets de notes.
Champagne Guenin, Nature d’Argile (base 2021), 55 € TTC (prix public)
Un pinot noir non dosé qui a du caractère autour de la fraise des bois, la mûre, la violette et de petites épices douces. Finale aussi longue que la table du banquet du Chien !
Articles liés