Mercredi 24 Décembre 2025
©YoannPalej
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Date
24.12.2025
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Au Duende, la table nîmoise étoilée de Pierre Gagnaire, un déjeuner « Rosés de terroirs – expérience » organisé avec l’AIRT a rappelé qu’une autre famille de rosés existe, loin des clichés estivaux : des rosés de terroir, assumés, structurés, taillés pour la gastronomie d’automne, d’hiver et les menus de fête.
« On peut désormais compléter la gamme par des rosés différents, qui osent à nouveau la couleur, le goût, voire l’âge et l’élevage. » En préambule, la phrase de Jérémy Arnaud claque dans le salon du Duende. Le fondateur de Terroir Manager et développeur de l’AIRT n’est pas un adversaire du rosé “lifestyle” : pendant près de vingt ans, il a contribué à construire ce modèle de rosé tendance qui a porté la croissance du segment à l’échelle mondiale. Mais, pour lui, ce cycle est arrivé à maturité. L’enjeu est désormais de raconter une autre histoire du rosé. Ce midi-là, autour de la cuisine de Kévin Kowal et du service du sommelier Tony Irazabal, une dizaine de cuvées – de Bandol à Tavel, des Costières de Nîmes aux Riceys – se succèdent. L’idée est simple : montrer que certains rosés sont capables de tenir tête à une cuisine d’auteur en plein mois de novembre.
En vingt ans, le rosé est passé du fond de carte au statut de vin « aspirationnel ». Sec, pâle, rafraîchissant, calibré pour les terrasses et les réseaux sociaux, il représente aujourd’hui environ 10 % des volumes de vin vendus dans le monde. Le succès est spectaculaire, mais la croissance se tasse et l’offre se standardise, prise en étau entre bulles, blancs et cocktails. C’est dans ce paysage que l’AIRT veut dessiner une voie complémentaire. Lancée dans le sillage de l’appel « Rosés de terroirs, unissons-nous ! » initié par l’AOP Tavel en 2020, l’association fédère aujourd’hui près de 80 à 90 cuvées issues d’une soixantaine de domaines en France, Italie, Grèce, Liban ou Autriche. En volume, cela représente environ un million de bouteilles, soit 0,035 % de la production mondiale de rosé : un micro-segment assumé.
À la présidence de l’association depuis 2023, Philippe Guigal, propriétaire du Château d’Aquéria à Tavel, résume la ligne : « Les rosés de terroirs sont d’abord des vins porteurs d’authenticité. Par leurs goûts et couleurs, ils racontent l’histoire des lieux dont ils sont issus et des vignerons qui en sont les artisans. » Pour lui, ces cuvées ne remplacent pas les rosés de soif, elles les complètent.
Pour l’AIRT, la haute saison des rosés de terroir se joue d’octobre à mars, quand les plats gagnent en relief, que les jus se concentrent et que la cuisine se fait plus généreuse. C’est à ce moment-là, et non au cœur de l’été, que ces rosés structurés, parfois légèrement tanniques, révèlent le mieux leur relief aromatique. Le déjeuner du Duende en a été la démonstration : plats terre-mer, textures superposées, jus corsés, accords parfois inattendus… D’un Bandol 2010 à un Tavel de haute couture, en passant par un Costières de Nîmes ambré ou un Rosé des Riceys de gastronomie, la palette chromatique et stylistique débordait largement l’image d’un rosé uniforme, pâle et glacé. On parlait autant de structure, d’amertume, de salinité que de simple fraîcheur.
Pour ces rosés-là, le passage par le verre du sommelier est décisif. « Sur la carte, le rosé ne représente même pas 3 % des références », constate Tony Irazabal, qui pilote la cave du Duende. En revanche, il gagne du terrain en accords mets-vins, proposés au verre : « C’est là qu’ils se vendent et là où ils ont leur place. Sur ce type de cuisine, on a besoin d’un vin qui ait l’intensité d’un rouge mais la fraîcheur d’un blanc. » Reste à dépasser les réflexes visuels. Le réflexe du rosé très pâle demeure, au détriment de rosés plus soutenus, pourtant taillés pour la table. Le travail consiste à décorréler la teinte de la légitimité, à parler texture, structure, température de service plutôt que simple « couleur d’été ».
Pour ancrer ce discours, l’AIRT se structure comme un référentiel. Les cuvées sont cooptées à l’aveugle deux fois par an, par un jury de professionnel. Un tiers seulement des vins est retenu, et chaque nouveau millésime doit repasser l’épreuve. L’association travaille aussi à la création de la première cave au monde dédiée aux rosés de collection, gardés de 5 à 15 ans. Objectif : constituer un stock de référence destiné aux chefs, sommeliers et cavistes, afin de montrer, verre en main, la capacité de garde de ces vins. Des rosés de terroir, authentiques, intemporels et capables de conquérir de nouveaux marchés précisément par leur différence.
Sainte-Catherine 2019 – Domaine La Suffrène (AOP Bandol)
Un Bandol rosé qui assume le temps : le fruit rouge croquant laisse place aux agrumes confits, à la garrigue et au thé, sur une bouche ample, portée par une belle salinité.
La Forêt 2022 – Domaine Alexandre Bonnet (AOP Rosé des Riceys)
Un Rosé des Riceys tout en finesse, sur la cerise croquante, l’orange sanguine et de délicates notes fumées, soutenues par une trame crayeuse droite et tendue.
Héritage d’Aquéria 2023 – Château d’Aquéria (AOP Tavel)
Le Tavel de haute couture : robe soutenue, fruits rouges intenses, pivoine, zestes d’agrumes, bouche ample et structurée, allongée par une fine amertume qui signe le terroir.
Capitelle Ambré 2022 – Château Mourgues du Grès (AOP Costières de Nîmes)
Un Costières à la robe ambrée, marqué par l’orange sanguine, les fleurs séchées et les épices, avec une matière ample, une fraîcheur bien présente et une touche saline en finale.

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