Mardi 20 Mai 2025
Dîner de lancement cuvée La Grande Dame 2018 et portrait de Didier Mariotti ©Veuve Clicquot
Auteur
Date
20.05.2025
Partager
Pour la présentation de ce 25ème opus de La Grande Dame, la Maison Veuve Clicquot avait réuni onze chefs comptabilisant ensemble 18 étoiles pour composer un repas au service de cette cuvée célèbre pour sa mise en valeur des pinots noirs des grands crus de la Montagne, vivifiés d’un soupçon de chardonnay de la Côte des Blancs. Le lieu en lui-même, la galerie de minéralogie au Jardin des plantes, pouvait être lu comme un hommage au terroir, à cette craie qui donne à ce champagne ce caractère si épuré. Le chef de caves, Didier Mariotti, sans nous révéler tous ses secrets de fabrication, a bien voulu nous éclairer davantage sur le style de ce millésime 2018 et la philosophie générale de cette cuvée.
En quoi La Grande Dame est-elle le reflet de la philosophie qui animait le personnage historique de la Veuve Clicquot ?
Il y a quelque chose qui m’inspire beaucoup chez Madame Clicquot, c’est son côté pionnier, elle a toujours voulu changer les choses. Elle a inventé la table de remuage, elle a créé le premier rosé d’assemblage. Pour moi, Madame Clicquot, c’est cette femme qui avait cette force de caractère, cette énergie. C’est vraiment quelque chose que je cherche à insuffler dans le vin. On a la chance qu’elle soit tombée amoureuse du pinot noir, car c’est sans doute le cépage qui exprime le mieux en Champagne cette force. Et c’est pour cela que l’on a voulu faire de La Grande Dame une cuvée centrée sur le pinot noir en plaçant ce cépage autour de 90 % de l’assemblage.
2018 succède donc à 2015, comment décririez-vous cette campagne viticole ?
Comment ne pas se souvenir de cette vendange 2018 ? D’abord parce qu’elle suivait 2017 ! Si vous pensez à 2017 en Champagne, c’était une année très compliquée en termes de qualité et d’état sanitaire des raisins. On a dû beaucoup trier, déguster, isoler les vins qui ne nous plaisaient pas. L’année 2018 au contraire a été très qualitative ce qui fut un soulagement, même si elle a commencé de façon assez difficile parce qu’on a eu énormément de pluies pendant l’hiver. Mais finalement, avec le printemps, elles se sont arrêtées et on a pu commencer à travailler nos vignes, en dépit de quelques orages… L’été qui a suivi a été très chaud, avec très peu de pluie. Et ce sont les pluies de l’hiver qui ont alors sauvé les vignes de la canicule. Elles ont pu puiser dans les nappes rechargées. C’est une vendange qui a commencé assez tôt, le 23 août. Et quand on voyait les raisins sur les pressoirs, on n’avait qu’une envie, c’était de déguster les jus.
On observe depuis peu un léger raccourcissement du vieillissement des cuvées spéciales en Champagne, est-ce l’effet du réchauffement climatique produisant des vins plus mûrs qui ont tendance à être prêts plus vite ? La Grande Dame 2008 était sortie au bout de onze ans, La Grande Dame 2018, est quant à elle restée sept ans en cave…
Nous n’avons aucune règle en ce qui concerne la durée passée en cave, si ce n'est un objectif entre sept et dix ans. Nous dégustons simplement chaque année pour savoir si le vin est prêt. Je voulais dans un premier temps montrer une expression plus verticale du millésime, et pour cela il me semblait qu’il ne fallait pas attendre davantage, parce qu’il s’exprime en ce moment à nous de manière très précise et très élégante, tandis qu’avec l’âge, il va développer une autre expression, en gagnant en horizontalité. Ce sera également intéressant, mais différent et il serait dommage de ne profiter que d’une seule facette. Quant à savoir si le profil des années plus chaudes va avoir un impact sur le raccourcissement du vieillissement, j’ai du mal à m’en persuader. On a d’autres manières de maintenir la fraîcheur et la verticalité, en jouant plus sur des pinots noirs de la Montagne Nord, sur des vins sans malo… 2018, même si on a vendangé en août, c’est quand même un millésime qui s’exprime avec beaucoup d’énergie, 2019, c’est pareil, pour moi, il a un gros potentiel de vieillissement et peut-être qu’il ne sera libéré que dans dix ans. Honnêtement, je n’en sais rien. Une fois encore, la dégustation tranchera.
Comment procédez-vous pour déterminer les crus qui intègreront l’assemblage de la Grande Dame ?
Chaque année, en novembre, décembre, on déguste tous nos vins et nous mettons de côté ceux qui nous paraissent avoir un potentiel de vieillissement. On travaille ensuite en janvier l’assemblage du Yellow (le brut sans année). Puis, en mars, avril, nous allons redéguster les vins que nous avions sélectionnés en novembre/décembre pour arbitrer cette fois entre trois destinations : la mise en réserve, l’intégration à l’assemblage de La Grande Dame ou à celle du Millésime. Et si on fait ces dégustations en même temps, c’est parce que la priorité numéro un sera toujours de reconstituer le stock des vins de réserve, indispensable pour la qualité des Bruts sans année des futures éditions. En 2018, mon prédécesseur Dominique Demarville, lorsqu’il a fait l’assemblage, n’a fait que La Grande Dame et pas de cuvée Millésime, parce qu’il fallait reconstituer les réserves suite à 2017, où on en avait beaucoup utilisées. Dans ce choix rentre en compte évidemment l’identité de chaque cuvée. Pour La Grande Dame, on cherche des vins qui sont davantage sur la verticalité, pour le Millésime, plutôt sur un univers d’horizontalité, de gourmandise. Bien sûr, on voit certains crus revenir régulièrement pour l’un ou pour l’autre, mais il y en a certains qui basculent aussi d’un côté ou de l’autre selon les années, et c’est ce qui est intéressant.
Qu’est-ce qui fait l’originalité de ce 2018, qu’on n’avait pas dans le 2015 ?
Pour moi la salinité de 2018 me rappelle un peu celle de 2012. Mais sans avoir la concentration que l’on avait sur 2012. S’il fallait le situer, il serait quelque part entre 2012 et 2015, mais plus proche de 2012. Parce que 2018 a aussi été une vendange d’août, mais sans que l’on ait la chaleur de 2015 ni la même générosité.
Un reproche fait au millésime 2018, cela a été parfois une certaine dilution…
Ceux qui disent cela n’ont pas goûté les vins ! Certes, il y a eu du rendement, mais il y avait un très bel ensoleillement ce qui a permis de concentrer et d’avoir des vins qui goûtaient bien. Pour moi, il n’y avait pas de dilution. Une dilution, c’est quand il n’y a pas de matière, or il y a une belle matière et de la profondeur, la nuance simplement, c’est qu’on reste élégant et précis.
Est-ce que dans la Grande Dame vous prévoyez à l’avenir une intégration de vins élevés sous bois ?
Je ne l’ai pas vraiment en tête. Je ne trouve pas que ce soit dans l’esprit de La Grande Dame. Cela réduirait un peu la verticalité. Cela correspond plutôt à Millésime où on travaille déjà avec dix, quinze pourcents de foudre.
Quel accord recommanderais-tu pour cette cuvée ?
Je parlais de cette minéralité saline sur laquelle La Grande Dame 2018 s’exprime vraiment en ce moment, j’ai fait récemment une expérience au Japon où je l’ai dégusté sur des sushis. Le chef nous avait préparé trois parties différentes du thon. Et en même temps nous avions servi La Grande Dame dans deux verres différents, le premier plus étroit, qui laisse davantage la dimension verticale de la cuvée s’exprimer, et le deuxième, très large, qui permet de donner un premier aperçu de la dimension horizontale de ce vin qui se renforcera dans les années à venir. C’était impressionnant de voir à quel point la pièce de thon taillée dans la partie la moins grasse du poisson mettait en valeur, le caractère iodé, collant parfaitement avec la minéralité exprimée par le verre plus étroit et combien la partie taillée dans la partie la plus grasse épousait bien le vin dans le verre plus large, révélant une texture et une structure de la cuvée très différente. Je suis très attaché d’ailleurs à cette notion de texture qui renvoie au touché en bouche, alors qu’aujourd’hui la manière dont on décrit le vin se concentre trop, je trouve, sur le nez. Il y a cinquante ans, on y accordait davantage d’importance et dans les dégustations de la maison, c’est resté une notion capitale.
Retrouvez la Maison Veuve Clicquot et la cuvée La Grande Dame 2018 à la Maison de la Mutualité, le samedi 24 mai prochain !
Articles liés