Accueil Château de Millery, le jardin secret de la famille Manoncourt

Château de Millery, le jardin secret de la famille Manoncourt

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

17.02.2021

Partager

Si le nom de Manoncourt est indéfectiblement lié à celui de Château Figeac, le Premier Grand Cru Classé de Saint-Émilion qui est le joyau de la famille depuis 1892, on peut désormais l’associer à une autre propriété, restée jusqu’ici confidentielle bien que dans le giron familial depuis près de 80 ans : Château de Millery.

Depuis 1892, Château Figeac est la propriété de la famille Manoncourt. La renommée mondiale de ce Premier Grand Cru Classé ‘B’ de Saint-Émilion, au terroir si distinct et aux vins si identitaires, doit beaucoup à Thierry Manoncourt, qui en prit les rênes à partir de 1947 et s’y consacra avec passion jusqu’à son décès en 2010. Tous les amateurs de vin connaissent le nom de Figeac ; tous les amoureux de grands bordeaux qui ont eu le privilège d’y goûter entretiennent un lien particulier avec les vins de la propriété. Peu, en revanche, connaissent le nom de Château de Millery.

Millery, c’est le « bijou caché », le jardin secret de la famille Manoncourt. Vignoble de moins d’un hectare, situé sur un terroir argilo-calcaire typiquement saint-émilionnais (et donc bien différent de celui de Figeac, si particulier avec ses croupes de graves) de Saint-Christophe-des-Bardes, il est resté jusqu’ici un cru discret et confidentiel. Pourtant, son histoire est ancienne et passionnante : la propriété avait été acquise en 1942 par la mère de Thierry Manoncourt, avec la solde d’aspirant officier de ce dernier alors qu’il était en activité. Espérant que son fils reviendrait, elle avait « investi » cet espoir en prenant des vignes à son nom, à l’est de Saint-Émilion. De retour de la guerre, Thierry Manoncourt, fort de son diplôme d’ingénieur agronome, identifiera la belle qualité du terroir de Millery et en dessinera lui-même l’étiquette, encore en vigueur aujourd’hui – les premiers croquis sont encore dans les archives familiales.

Pendant près de 80 ans, Château de Millery est resté dans l’ombre de Figeac. Sa petite production (4000 bouteilles par an, tout au plus) passant par un contrat d’exclusivité auprès des Caves Legrand et une présence dans quelques établissements de prestige comme La Scène, Guy Savoy ou Ze Kitchen Galerie, il a surtout touché jusqu’ici un public de happy few. Ayant fait l’objet d’une restructuration du vignoble dans les années 1970-1980 et bénéficiant de la conduite attentive des mêmes équipes que Château Figeac, les vins n’ont cessé de gagner een régularité au cours des derniers millésimes. Alors qu’une longue séquence de travaux se termine à Figeac, la fille de Thierry Manoncourt, Blandine de Brier – Manoncourt, et le directeur général Frédéric Faye ont estimé que le moment était venu de faire entrer Millery « dans la lumière ». De nouvelles installations techniques devraient prochainement voir le jour. Quant aux vins, se positionnant sur une gamme de prix très cohérente pour un Saint-Émilion Grand Cru (autour de 40 € TTC), ils méritent toute l’attention des amateurs, comme le confirme la verticale ci-dessous.

Château de Millery 2009
On discerne d’emblée un profil très saint-émilionnais sur une année solaire, avec son merlot mûr à point, généreux, diffusant des notes de fruit noir juteux, de pruneau à l’eau-de-vie et de réglisse. Des notes d’évolution tertiaire se devinent, entre champignon et sous-bois. Le vin est d’un joli crémeux, doté d’une bouche pleine, fraîche, enrobée de tannins fins et portée par une jolie acidité. Finale subtilement crayeuse. [15-15,5/20]

Château de Millery 2010
On monte d’un cran dans la précision, avec un nez plus éclatant, encore en pleine jeunesse, où le fruit noir exubérant se pare de nuances florales. L’aromatique est camphrée et complexe. La bouche s’avère tonique, à la fois charnue et droite, bien élancée, musculeuse sans excès. Les tannins sont présents mais d’une belle élégance, la matière tenue par une belle énergie. Avec le temps, la palette s’élargit, la finale dévoilant des touches de cuir, de boîte à cigare et un léger viandé. [16,5/20]

Château de Millery 2011
Voilà un millésime « classique » qui convient bien à ce terroir. Style feutré, sur la retenue et la finesse, des arômes de menthol et de mûre sauvage se dessinent. La bouche est très fraîche, construite sur un fruit croquant et juteux, la cerise noire se devine, voire même l’amaretto. Les tannins ciselés confèrent à ce vin, moins puissant que 2009 et 2010 mais très distingué, une touche de classe. Finale désaltérante. [15,5/20]

Château de Millery 2012
Une certaine concentration se devine dans ce merlot pimpant, qui déploie un registre gourmand (mûre, cassis, touche vanillée, violette). La bouche se révèle centrée, sur un fruit légèrement acidulé, une aromatique de tarte aux fruits rouges et un élevage qui demande encore à se fondre. Plus ouvertement séducteur, moins long et complexe que les précédents. [14,5/20]

Château de Millery 2013
Nul n’ignore les difficultés liées à ce millésime, mais cette bouteille prouve que l’on pouvait faire de jolis vins en 2013. Le nez assez délicat, floral, sur un style printanier, rehaussé d’une touche de zan. La bouche est à l’avenant, fuselée, acidulée, sans matière exubérante mais avec un joli équilibre, de la souplesse, un côté digeste et aimable. À boire dès à présent. [13,5-14/20]

Château de Millery 2014
D’approche un tantinet austère, 2014 se livre progressivement. De la profondeur, de la densité, un côté un peu atramentaire, de la crème de cerise pour la gourmandise, une touche de fraîcheur. La bouche est droite, nette, tendue, sur la verticalité, articulée autour d’un fruit caressant et précis. Tannins stricts mais élégants, jolie trame calcaire délivrant une finale finement crayeuse et mentholée. Un beau potentiel de garde. [15/20]

Château de Millery 2015
Un séducteur, qui s’annonce sur un nez crémeux, un fruit très mûr et enjôleur, où se devine le caractère généreux du millésime. La matière se montre onctueuse, avec un toucher de bouche extrêmement soyeux, pulpeux, comme une caresse de fruit noir nantie d’une mâche gourmande mais sans exubérance. De la richesse mais de la tenue dans ce 2015 dont l’élevage demande encore à se fondre. [15,5/20]

Château de Millery 2016
Le rubis éclatant de la robe ne trompe pas, nous sommes en présence d’un vin en pleine jeunesse et riche de promesses. Beaucoup de netteté et d’intensité au nez, grande précision, la réglisse et le cassis sont tonifiés par un côté sanguin, vibrant. La matière juteuse, séveuse, sapide, la texture précise et charnue, escortée de tannins d’une belle classe, donnent à ce vin un caractère élégant, que vient ponctuer une finale minérale. Très accompli et taillé pour une longue garde. [17/20]

Château de Millery 2017
Très jolie concentration, beaucoup de finesse, ce 2017 s’avance avec un profil un peu moins tonitruant que le 2016 mais très intriguant. Une délicate palette de fruits noirs se décline, avec de subtiles notes florales, une fraîcheur emballante. En bouche, très joli équilibre entre la matière, souple, suave, sapide, les tannins fondus et la trame acide qui propulse l’ensemble. Belle harmonie. [15,5-16/20]

Château de Millery 2018
Effet « wow » garanti dès le premier nez, pulpeux, sensuel, dont le fruit noir mûr à souhait se rehausse d’une note sauvage, sanguine. La bouche est tonique, salivante, à la fois épicée et saline, gourmande en diable mais toujours désaltérante. C’est soyeux, sapide, électrisé par une belle minéralité et enrobés de tannins précis. On a hâte de le re-goûter dans vingt ans. [16,5/20]