Mercredi 27 Août 2025
Jacques, Baptiste, Sylvie et Julie Guinaudeau.
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27.08.2025
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Dans une lettre datée du 24 août, la famille Guinaudeau, qui préside à la destinée du célèbre Château Lafleur à Pomerol et du Château Grand Village à Fronsac, fait part de sa résolution de ne plus revendiquer les appellations Pomerol et Bordeaux à partir du millésime 2025. Toutes leurs cuvées seront désormais en appellation Vin de France. Une décision qui semble davantage dictée par pragmatisme dans un contexte de réchauffement climatique que comme une provocation à l’égard des appellations.
C'est un coup de tonnerre qui vient bousculer l'ordre établi et ne va pas manquer de faire parler à Bordeaux et bien au-delà - voire même, qui sait, donner des idées à certains. En escamotant les mentions « Pomerol » sur les étiquettes du Château Lafleur et « Bordeaux » sur celles de Château Grand Village, la famille Guinaudeau reste fidèle à sa singularité, qu'elle estime aujourd'hui malmenée par le réchauffement climatique : « C’est un choix fort à l’image des nombreux choix forts que nous avons faits depuis 1985, millésime qui nous a vu prendre en mains les destinées de Lafleur. C’est un choix fort qui nous permet aujourd’hui de faire face à la réalité du changement climatique, avec précision et efficacité. »
Dans leur missive, les Guinaudeau l’assurent, cette décision de sortir des AOC a été prise « tout en gardant un réel respect pour l’ensemble de nos collègues vignerons, et les syndicats de Pomerol et Bordeaux ». Il ne s'agit donc pas d'une défiance, ni envers Pomerol, ni envers Bordeaux, ni envers leurs confrères. De fait, les Guinaudeau sont solidement ancrés dans la région : dans le Fronsadais, la présence de la famille est attestée depuis 1650. En 1980, Jacques et Sylvie Guinaudeau reprennent le Château Grand Village puis, en 1985, le Château Lafleur à Pomerol, d’abord en fermage ; ils acquerront l’intégralité des parts au début des années 2000.
Avec Château Lafleur dans la cour des grands et Grand Village comme berceau familial, la famille Guinaudeau a tracé son propre chemin. En 2002-2003, le fils de Jaques et Sylvie, Baptiste, rejoint les propriétés avec son épouse Julie. Le couple ambitionne de pratiquer une viticulture de grands crus sur des aires de productions mésestimées. Cette approche « terroir », peu commune à Bordeaux, donne naissance à des cuvées comme « Les Perrières » ou « Les Champs libres » : « Notre philosophie hors des sentiers battus nous conduit à prendre des virages forts et parfois radicaux, mais au combien important si nous voulons continuer à élaborer les vins de Lafleur tels que nous les aimons. Nous entendons par là des Vins issus de Grands Terroirs et d’une Noble et Ancienne Génétique exprimant au mieux l’Essence et l’Esprit de Lafleur, dans le climat du Millésime ». Aujourd’hui, c’est donc le changement climatique qui justifie une décision radicale.
Dans leur courrier, la famille Guinaudeau, à qui s’associe l’ensemble de l’équipe de la Société Civile du Château Lafleur, revendique ce renoncement : « C’est un choix fort qui permet à toute « la Famille Lafleur », à laquelle vous appartenez toutes et tous, d’assurer sans aucun doute la pérennité de nos vignobles, la qualité et l’identité de nos vins. En un mot, Le Futur ». Plutôt que de s’arc-bouter sur des principes qu’ils considèrent comme caducs au regard des conséquences du réchauffement climatique : « dans les faits, nous évoluons dans les choix de conduite de nos vignes plus rapidement que ne l’autorisent nos systèmes d’Appellations d’Origine Contrôlées », ils font le choix d’adapter leur méthode… en s'autorisant, par exemple, plus de souplesse au regard de l'irrigation que ne le permettent actuellement les AOC ? Même si cela n'est pas ouvertement précisé, le scénario du millésime 2025, fortement marqué par le réchauffement climatique, peut le laisser penser. Connaissant le haut niveau d'exigence et la viticulture de précision qui caractérisent le travail de la famille, nul doute que cette décision visera avant tout à préserver la grande qualité des vins.
Jacques, Sylvie, Baptiste et Julie Guinaudeau ainsi que leurs équipes déclarent ainsi prendre une décision unanime... et assez courageuse, même si elle ne manquera pas de faire grincer quelques dents du côté de Pomerol. Sous l’appellation « Vin de France », ils gagnent une liberté qui semble leur manquer pour innover. Néanmoins, en se retirant des destins collectifs institués par les appellations, ils choisissent de faire cavalier seul. Mais le risque constitue toujours le prix de la liberté.
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