Accueil Château Grand Village, ici tout commence

Château Grand Village, ici tout commence

Jacques, Baptiste, Sylvie et Julie Guinaudeau.

Auteur

Mathieu
Doumenge

Date

18.12.2020

Partager

Propriété historique de la famille Guinaudeau, à la tête du prestigieux Château Lafleur à Pomerol, Château Grand Village est un secret de moins en moins bien gardé sur la Rive Droite. Ici, sur les terroirs du Fronsadais, une équipe passionnée s’applique à donner naissance à de grands vins de lieux.

Les amateurs de grands vins connaissent tous – au moins de réputation – Château Lafleur à Pomerol, discret voisin de Petrus, produisant des vins d’une pureté incroyable (voir notre article sur les Primeurs 2019). Peut-être connaissent-ils moins le nom de Château Grand Village. Et pour cause : cette propriété relevant de la « simple » appellation Bordeaux & Bordeaux Supérieur n’appartient pas à la galaxie des étiquettes spéculatives du vignoble girondin. Pourtant, Grand Village a tout d’un grand. Situé à Mouillac, sur de très beaux terroirs jouxtant Fronsac et bénéficiant d’une géologie complexe, ce vignoble est depuis plusieurs siècles le « camp de base » de la famille Guinaudeau, qui a propulsé Château Lafleur au firmament.

De la polyculture à l’élite bordelaise

Un peu d’Histoire : pour les Guinaudeau, c’est en effet ici que tout commence – à une époque où les vins et les terroirs de Fronsac jouissaient d’une haute reconnaissance. L’implantation de la famille sur ces terres est au moins attestée depuis 1650. La vigne faisait partie d’un grand ensemble polycole, ne dépassant pas 30 hectares sur les 200 que couvrait alors l’ensemble du foncier. Mais le XXème siècle n’est pas tendre pour le vignoble fronsadais, si bien qu’en 1979, c’est une propriété réduite et amenuisée que reprennent Sylvie et Jacques Guinaudeau : le jeune couple (Jacques le Bordelais a rencontré Sylvie l’Auvergnate sur les bancs du brevet de technicien agricole au Puy-en-Velay) ne roule pas sur l’or mais ne manque pas d’énergie. Progressivement, le vignoble est redressé, l’élevage arrêté, et en cette décennie des années 1980 synonyme de renouveau pour Bordeaux, la fortune sourit aux audacieux. En 1985, Jacques et Sylvie reprennent Château Lafleur en fermage à la suite de deux cousines, Marie et Thérèse Robin – ils en reprendront l’intégralité des parts au début des années 2000.

Alors que les vins de Lafleur ne cessent de gagner en qualité, en reconnaissance et en prix (jusqu’à intégrer le top de l’élite bordelaise), la famille Guinaudeau n’oublie pas d’où viennent ses racines et continue de consacrer une pleine attention à l’évolution de Grand Village. Le fief emblématique, avec ses 70 hectares – dont 15 hectares de vignes, en rouge et en blanc – bénéficie de la dynamique de son parent pomerolais, qui lui permet de se consolider. Études de sols, implication des mêmes équipes à la vigne comme au chai permettent à Grand Village de devenir en quelque sorte le laboratoire, le « vignoble-école » de Lafleur. Un équilibre confirmé par l’arrivée au côté de Sylvie et Jacques Guinaudeau, en 2002-2003, de leur fils Baptiste et son épouse Julie. L’objectif de Baptiste et Julie est véritablement de pratiquer une viticulture de grand cru sur cette aire de production mésestimée, bénéficiant pourtant d’un patrimoine géologique exceptionnel. Ici, sur l’ancien delta de l’Isle, un cordon calcaire coupé en deux dessine des zones de fracture où peuvent naître des vins qui n’ont rien à envier aux plus belles expressions du plateau de Saint-Émilion.

Les Perrières, ou la quête du grand terroir

Dès lors, les Guinaudeau ne vont avoir de cesse de dénicher les meilleurs « spots » pour signer de grands vins – à commencer par un grand rouge d’identité calcaire, complémentaire des rouges de Grand Village. Ils se mettent en quête des plus beaux terroirs, là où la roche affleure sous 20 ou 30 centimètres d’argile. « Mais même sur de grands sols, la meilleure génétique clonale atteint ses limites », explique Baptiste Guinaudeau. « On constatait un fossé gigantesque entre les vieilles vignes de bouchet [cabernet franc, NDLR] de Lafleur et les bouchets de Grand Village, issus de sélections clonales. Il fallait remettre en question tout le matériel végétal si l’on souhaitait franchir un palier ». Ainsi commence, en parallèle de la quête des plus beaux sols calcaires de la région, d’un patient travail de sélection massale sur les terres de Grand Village, pour identifier les plus meilleurs individus de cabernet et de merlot. Un projet de longue haleine qui, bien sûr, bénéficie à Grand Village, mais provoque surtout la naissance d’un nouveau cru qui s’appellera Les Perrières. Avant cela, il faut trouver ses marques : il faudra neuf millésimes pour ajuster la bonne adéquation entre vignes et terroirs, neuf « Actes » numérotés de 1 à 9 entre 2009 à 2017. Un exercice méticuleux, une sorte d’orfèvrerie terroiriste. « Un cru naît d’une intuition, mais il ne se crée pas en un jour. Nous, il nous a fallu plus de dix ans », précise Baptiste Guinaudeau. « Aujourd’hui le vignoble est pratiquement abouti, il tend vers 6,5 hectares, constitué d’une mosaïque de mini-terroirs éclatés ».

En parallèle de cette genèse (de l’Acte 1 à l’Acte 9), l’équipe se lance aussi dans la production d’un grand blanc qui serait l’alter ego des Perrières. À partir d’une sélection massale de sauvignons de Sancerre, plantés sur un terroir plus argileux (« de grands blancs sur sols de rouges, de grands rouges sur sols de blancs ») au cœur du vignoble de Grand Village, va naître Les Champs Libres. Produite à partir de lots méticuleusement suivis et identifiés, vinifiés séparément, cette cuvée connaît dès son premier millésime en 2013 une reconnaissance immédiate. 2013, c’est aussi l’année de l’arrivée d’un nouveau collaborateur, Omri Ram, qui rejoint la direction technique des vignobles familiaux pour continuer à hisser les vins de Lafleur et Grand Village vers les sommets. Aujourd’hui, les vignobles Guinaudeau couvrent 20 hectares entre Pomerol et le Fronsadais, et donnent surtout naissance à six crus très distincts, à forte valeur identitaire : Lafleur, Les Pensées de Lafleur, Les Perrières, Les Champs Libres, Grand Village Rouge et Grand Village Blanc. Une magnifique palette, riche de promesses (si Lafleur est dans la fleur de l’âge, Perrières et Champs Libres sont encore des vignobles en pleine jeunesse), confiée à 37 ambassadeurs à travers le monde pour sa commercialisation, depuis que la famille Guinaudeau a retiré ses vins de la Place de Bordeaux. Cette palette est surtout passionnante pour le dégustateur.

Château Grand Village rouge 2016
Un nez plein de netteté mais d’abord sur la réserve ; il laisse progressivement apparaître des notes épicées et une fraîcheur appétissante. En bouche, beaucoup de séduction : matière juteuse, énergie, profil sanguin, tanins électrisés, très belle longueur, sapidité, beaucoup de fond. Une jolie mâche portée par un fruit noir à point et ne touche finement réglissée. Le vin se dessine en droiture mais il est charnu, signé par une finale salivante et séveuse.

Acte 9 (millésime 2017)
Dernier « acte » avant le premier millésime officiel des Perrières, ce 2017 est atypique pour cause de gel : il affiche 100% merlot sur calcaire. La couleur, profonde, intense et brillante, est invitante. Le nez est encore marqué par l’élevage, déployant une certaine opulence de fruit noir. Se devinent ensuite le menthol, le floral (pivoine…), la cerise noire, le poivre. Les tanins ciselés affirment le terroir crayeux, l’ensemble est à la fois parfumé, soyeux et mordant. Une certaine finesse et de l’allonge.

Acte 8 (millésime 2016)
52% merlot, 42% cabernet franc, et un millésime superlatif. Le ton est donné d’emblée, avec ce nez plein d’éclat, tonique et fin, vertical. Racé. La fraîcheur et l’élégance de ce vin en soulignent la puissance maîtrisée ; c’est à la fois ample et contenu, précis, aérien dans la matière, enrobé de tanins fuselés, vibrant et doté d’une superbe longueur. L’élevage, très soigné, demande encore à se fondre mais c’est la finale, minérale, calcaire à souhait, qui emporte l’ensemble.

Château Lafleur 2014
« Dernier millésime classique » à Bordeaux, et cela sied bien à ce vin gentleman, tout en délicatesse et en profondeur. La matière est dense, centrée, svelte, l’aromatique est déjà complexe, convoquant tabac, menthol, violette… Le jus est superbe de soyeux et de droiture, caressant et élancé, serti de tanins nobles et policés. Un vin magnifique, encore en pleine jeunesse.

Château Grand Village blanc 2017
70% sauvignon, 30% sémillon. On est séduit par ce nez légèrement fumé, évoquant la pierre à fusil. Gourmandise et élégance se combinent, soulignant des arômes de tilleul, de poire blanche, d’aubépine. La bouche est croquante, saline et juteuse, entre poire et cerise blanche, un gras maîtrisé qui tapisse la bouche et une très agréable fraîcheur, conclue par une finale subtilement citronnée. Délicieux.

Les Champs Libres 2017
100% sauvignon. Robe d’une remarquable brillance, nette et élégante. Le nez d’équilibriste, entre notes grillées et minéralité, invite à une étude approfondie et surtout à la patience. On est en présence d’un blanc de garde. La bouche est pleine et riche, presque tannique dans son intensité, énergique. On monte d’un cran sur tous les curseurs, c’est à la fois plus typé, plus gras, plus subtil, plus équilibré. La finale est fumée, presque cendrée, sur l’écorce d’agrume et des arômes légèrement confits. On en reparle dans longtemps.

Les Champs Libres 2016
100% sauvignon. Nez opulent et expressif, on devine le fruit à coque, la noisette. La bouche est dense, presque musculeuse mais très racée, portée par une superbe trame acide qui déploie le vin et le propulse. Une certaine exubérance, un charnu sensuel, mais beaucoup de précision et d’élégance. C’est un vrai vin tactile.