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Covid-19 : l’anosmie ou le cauchemar des dégustateurs

Auteur

Yves
Tesson

Date

07.12.2020

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C’est la hantise de tous les œnologues et des dégustateurs : l’anosmie (perte de l’odorat) provoquée par le coronavirus, qui peut durer plusieurs mois et exiger une longue rééducation. Terre de vins vous propose un point sur ce symptôme très répandu de la Covid-19, dont le mécanisme n’a pas encore été complètement cerné par les scientifiques.

La perte de l’odorat peut être provoquée par d’autres maladies comme la grippe, mais dans le cas de la Covid-19, elle se distingue par son caractère brutal et le fait qu’elle ne succède pas forcément à une obstruction nasale. Au point que ce symptôme est dit « pathognomonique » : il suffit à lui seul pour diagnostiquer une infection au coronavirus. En général, l’anosmie est associée à une forme bénigne de la maladie, ce qui en fait un symptôme plutôt rassurant. Mais elle peut avoir une fâcheuse tendance à durer. Environ 30% des personnes concernées ne récupèreront pas l’odorat dans le mois qui suit et on sait qu’aujourd’hui encore 8% des personnes touchées par l’anosmie au cours de la première vague n’ont toujours pas retrouvé l’intégralité de leurs facultés. Il n’est pas impossible que cette perte d’odorat se révèle définitive dans certains cas.

Il existe des disparités entre les types de population affectées. D’abord en fonction des pays. En Asie, les symptômes d’anosmie sont très rares. En France, au contraire, l’anosmie touche 50% des malades et en Iran 98% ! Enfin, les femmes sont davantage concernées que les hommes.

La perte d’odorat n’est pas toujours totale et des phénomènes comme la « disgueusie » peuvent aussi survenir : le fait de prendre un goût pour un autre. C’est ce que décrit Yann Dufouleur, distributeur spécialisé dans les vins de Bourgogne (Dyvin), touché par le coronavirus au début du mois de novembre et qui considère aujourd’hui avoir récupéré 80% de ses capacités. « À un moment sur les vins rouges, j’avais des sensations difficiles à décrire, cela faisait presque serpillère, quelque chose de pas net, qui n’avait rien à voir avec la qualité du vin. »

Les journalistes spécialisés dans le vin ont de plus en plus de difficulté à rencontrer les chefs de cave en Champagne, que les maisons souhaitent désormais protéger au maximum de l’anosmie – simple désagrément collatéral pour la plupart des gens, mais véritable maladie professionnelle chez les œnologues.

Explication scientifique et thérapie

Sur les causes de cette perte d’odorat, les scientifiques émettent différentes hypothèses. Le coronavirus n’attaque en général que les cellules de soutien sustentaculaires qui protègent les neurones olfactifs. Cela provoque alors un œdème, qui sans endommager les neurones, coupe la perception. Une fois cet œdème résorbé, l’odorat peut revenir presque aussi vite qu’il avait disparu. Dans les cas d’anosmie plus persistante, on suppose que les neurones olfactifs sont attaqués. Heureusement, à la différence des cellules visuelles ou auditives, ils peuvent se renouveler, même si ce processus est assez lent (ils meurent et se régénèrent tous les trois à six mois), et ce particulièrement chez les personnes plus âgées. Patience donc. L’autre bonne nouvelle c’est qu’on peut accélérer le processus par une rééducation. L’association ornaise « Anosmie » propose un protocole déjà téléchargé plus de 40.000 fois depuis le mois de mars, à partir de six huiles essentielles qu’il faut essayer chaque jour de reconnaître à l’aveugle. Une alimentation riche en fruits et légumes peut également améliorer la récupération nerveuse grâce aux vitamines B et aux antioxydants.

Et en attendant de retrouver l’odorat et le goût, on peut toujours s’entraîner à décrypter le vin en ne s’appuyant que sur l’observation méticuleuse de sa robe. Louis de Funès dans « l’Aile ou la Cuisse » nous donne une leçon magistrale. Directeur du Guide Duchemin, atteint d’agueusie, il vole au secours de son fils incarné par Coluche et s’en tire avec brio : « une robe merveille, un peu violette, un bel éclat : c’est un Bordeaux, un grand Bordeaux ! Un peu de pourriture noble en suspension, les impuretés descendent lentement : ce vin a 23 ans, c’est un 1953, une très grande année. Le vin, c’est la terre, celle-ci est légèrement graveleuse : c’est un Médoc ! Le vin, c’est aussi le soleil : ce vin a profité d’une belle exposition Sud-Ouest sur un coteau de bonne pente, c’est un Saint-Julien Château Léoville Las Cases 1953 ! »