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Les Cévennes, terres de résistants

paysage cévennes lozère

©IGP Cévennes

Auteur

Yoann
Palej

Date

28.05.2025

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Sur les hauteurs cévenoles, un vent de rébellion souffle entre les pierres sèches et les ceps oubliés. Grâce à l’extension de l’aire de production en Lozère, à l’ouverture à l’Ardèche et à la relance de cépages anciens, rares ou interdits, la Fédération Gardoise des vins IGP trace un sillon audacieux.

« On a réparé une erreur de l’Histoire ! » David Flayol, vigneron au Clos de la Rouvière à Molezon, a le sens des mots. Longtemps exclue du cahier des charges, la Lozère signe enfin son retour officiel dans l’IGP Cévennes. Une avancée symbolique et concrète, dans un département où la vigne couvrait plus de 1 000 hectares au XIXe siècle. Replanter ici, à plus de 500 mètres d’altitude, c’est tout sauf anodin. C’est reconstruire des terrasses de pierres sèches, raviver une polyculture paysanne, et redonner des couleurs à des paysages menacés de déprise. « En 2008, je faisais du vin le week-end, sans formation. Puis les restaurateurs ont accroché », raconte-t-il. En 2025, ils sont seize domaines à être actifs. Ce n’est plus un engouement passager, mais un véritable enracinement profond.

vignes en bancels cévennes lozère
©IGP Cévennes

« Replanter, c’est transmettre un paysage », souligne Jérôme Villaret, coordinateur de l’Observatoire des cépages patrimoniaux et figure active de la reconquête cévenole. Sur ces bancels qui terrassent les pentes, relevés à la main, entre les châtaigniers et les vieux mas, la vigne revient avec une dimension écologique, sociale et identitaire forte. Soutenue par le Parc national des Cévennes et intégrée à une démarche UNESCO, cette viticulture d’altitude devient une actrice à part entière de la valorisation d’un territoire classé.

Les cépages oubliés face aux défis de demain

Dans cette reconquête, les cépages patrimoniaux jouent un rôle clé. Et pas uniquement pour faire joli dans un conservatoire : « On ne veut pas préserver pour figer, mais pour recréer », insiste Jérôme Villaret, coordinateur de l’Observatoire des cépages patrimoniaux. Ces variétés longtemps marginalisées — qu’elles soient interdites, disparues du catalogue officiel ou simplement oubliées — reviennent sur le devant de la scène pour leur résilience au changement climatique, leur résistance naturelle aux maladies, et leur personnalité aromatique singulière.

Ces cépages ne bénéficient pas tous du même statut. Certains, comme Noah, Clinton ou Jacquez, sont interdits à la vinification commerciale depuis un décret de 1934, accusés — à tort — de nuire à la santé ou à la qualité. D’autres, tels qu’Isabelle ou Othello, ne figurent plus dans le catalogue officiel, ce qui rend leur plantation juridiquement floue. Et puis il y a ceux que l’Observatoire expérimente activement — comme le G9, le Villard blanc ou le Négret de la Canourgue — avec l’espoir de les faire réintégrer légalement la filière viticole.

Cette complexité administrative rend le combat à la fois technique et politique. « Ce qu’on défend, ce n’est pas seulement un goût ou une plante, c’est un droit à la diversité viticole », martèle Jérôme Villaret. Créé en 2022, l’Observatoire multiplie les micro-vinifications en partenariat avec l’ICV (Institut Coopératif du Vin), pour mieux comprendre le comportement de ces variétés hors normes. « Ce n’est pas un musée végétal, c’est un laboratoire vivant », poursuit-il.

Les résultats interpellent dans le bon sens. Jean-Christophe Dumas, du Domaine de la Vaillère, a présenté son Noah 2024 lors d’une récente dégustation à Nîmes : « C’est droit, c’est franc, ça parle. Pourquoi l’interdire ? » À ses côtés, Jérôme Pépin, vigneron au domaine Quartier Lander, défend le G9, un blanc vif et aromatique qui coche toutes les cases : résistance, buvabilité, faible degré. « Il a un vrai potentiel, notamment pour les blancs secs à boire jeunes et les bulles. »

Un manifeste, “Les vignes en résistance”, signé par vignerons, techniciens et chercheurs, demande à Bruxelles de revoir ses copies. Pendant ce temps, Harini Soundaravdivelou, une jeune stagiaire émérite, a été engagée pour compiler fiches techniques et mémoires de terrain. Ce travail s’inscrit dans les pas de pionniers engagés : Hervé Garnier, Daniel Dematéis, Gilbert Bischeri… Grâce à leur ténacité, certains cépages ont survécu aux injonctions d’arrachage, ont grimpé jusqu’aux cimes des châtaigniers, et reviennent aujourd’hui au chai.

Une IGP sans frontières, ni œillères

L’ouverture récente à 29 communes ardéchoises consacre une évidence géographique et culturelle : les Cévennes ne s’arrêtent pas aux frontières administratives. « En Lozère comme en Ardèche, ce sont les mêmes paysages, les mêmes histoires, les mêmes gestes », souligne Christel Guiraud, président de l’IGP Cévennes et vigneron à Anduze. Dans les Hautes Vallées cévenoles, la vigne a toujours accompagné la vie. Elle alimentait autrefois les mines d’Alès. Aujourd’hui, elle rallume la flamme d’une économie rurale sobre et ancrée. Le programme “Treilles et Terrasses”, coordonné par le Syndicat des Hautes Vallées Cévenoles avec le soutien de la Fondation Carasso, incarne cette approche : restaurer les murs, replanter des treilles, transmettre les savoir-faire.

Dans les Cévennes, on ne plante pas pour séduire un marché. On replante pour réparer, transmettre, faire lien. Derrière chaque cep redressé, il y a un paysage, une histoire, une promesse. Christian Vigne, président de l’IGP pendant 14 ans et infatigable passeur de mémoire, l’a bien compris : « Ce qu’on construit ici, ce n’est pas juste une IGP. C’est une manière d’habiter le territoire. » Alors, entre bancels relevés, cépages résistants et coopérations nouvelles, cette IGP autrefois marginale trace sa propre ligne de crête : libre, collective, profondément enracinée. Et désormais tournée vers demain.

igp cévennes cépages résistants
©Yoann Palej

Terre de Vins aime

Assemblage Isabelle / Clinton / Jacquez – Domaine des Cabridelles (Lozère)
Un trio de cépages jadis oubliés pour une cuvée tout en gourmandise. Nez de mara des bois, bouche juteuse aux épices douces et finale généreuse : un vrai bonbon de plaisir, croquant et sans complexe.

Villard Blanc – Domaine de la Vaillère (Gard)
Un blanc de caractère, porté par une belle vivacité. Fruits blancs, légère note fumée, rondeur caressante et gras en finale : un vin à la fois franc, ample et vibrant. À suivre de très près.

Cuvée Omega – Clos de la Rouvière (Lozère)
Un 100 % Baco Noir signé David Flayol, à la personnalité bien affirmée : nez charmeur, bouche dense, acidité mordante, notes de pierre chaude et petits fruits rouges. Goûté également en assemblage avec de la syrah - l’équilibre devient alors magistral. « Goûter ces vins, c’est comme feuilleter un herbier vivant : chaque gorgée fait remonter à la surface un morceau d’histoire, un éclat d’avenir », conclura David Flayol.


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